Aujourd’hui l’histoire immédiate est devenue un domaine à part entière de la recherche historique française et internationale. « Des revues comme le Bulletin et les Cahiers de l’Institut d’histoire du temps présent, XXe Siècle. Revue d’Histoire et les Cahiers d’histoire immédiate publient de riches articles d’épistémologie » mais il n’existe pas « d’ouvrage de synthèse permettant aux chercheurs débutants d’avoir une idée d’ensemble des sources et des pratiques de l’histoire immédiate ». L’auteur s’est fixé pour objectif de combler cette lacune. Il s’adresse prioritairement aux étudiants de Masters et aux doctorants mais il peut être sur bien des points fort utile aux professeurs d’histoire pour la préparation et la mise à jour de leurs cours.
L’ouvrage comporte deux parties très inégales en volume. La première partie consacrée à l’historiographie est assez courte ; la seconde traite des sources et des méthodes sur les trois quarts du volume. Plan détaillé et bien structuré, titres et sous-titres apparents, idées directrices clairement énoncées : autant de qualités qui rendent la consultation facile et la lecture aisée.
J.-F. Soulet fut en 1989 l’un des créateurs du « Groupe de Recherche en Histoire Immédiate » à l’Université de Toulouse-Le Mirail que dirige aujourd’hui Guy Pervillé et qui publie une revue semestrielle intitulée Les Cahiers d’Histoire immédiate : pour ces raisons il a choisi le terme d’histoire immédiate de préférence à celui d’histoire du temps présent qui est plus connu et dont il est synonyme.
La longue tradition de l’histoire immédiate
Le premier chapitre rappelle que la pratique d’une écriture « à chaud » de l’histoire est loin d’être récente, qu’elle est déjà celle d’Hérodote et de Thucydide qui procèdent par enquêtes orales auprès des témoins et sont conscients de la nécessité d’une critique des témoignages. Les chroniqueurs et « historiographes » des périodes médiévales et modernes ne se situent pas sur le même plan et ne peuvent être considérés comme les précurseurs des historiens d’aujourd’hui qui travaillent un passé proche, dans la mesure où ils visent surtout à glorifier les puissants qui les paient et à édifier le public qui les lit, sans maintenir la nécessaire distance par rapport à leur sujet. Voltaire apparaît au contraire comme un précurseur dans le traitement des faits contemporains : il dénonce les travers du subjectivisme, se montre soucieux pour composer Le Siècle de Louis XIV d’acquérir une documentation ample et sûre, recourt à des sources d’archives, interroge des témoins.
Au XVIIe siècle, des religieux en mettant au point la science diplomatique valorisent les documents écrits qu’ils parviennent à rassembler, à dater et à authentifier. La recherche sur les temps reculés devient un métier qui repose sur l’exploitation critique des documents. L’Assemblée nationale décide le 29 juillet 1789 la création d’un service d’archives ; l’École des Chartes est fondée à Paris en 1821. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, faire de l’histoire est devenu un métier et c’est à la pratique des documents écrits que se mesure désormais la notoriété de l’historien. L’Université rejette l’histoire qui ne se construit pas sur des archives écrites. Paradoxalement, l’histoire immédiate continue à intéresser une partie de l’opinion et à faire l’objet durant tout le XIXe siècle et le début du 20e de nombreuses publications : la Révolution française, la guerre de 1870, la Commune suscitent de nombreux ouvrages, mais ils sont écrits par des hommes de lettres (Thiers, Lamartine, Tocqueville) à l’exception de Michelet qui est agrégé d’histoire.
On assiste parallèlement à une instrumentalisation croissante de l’histoire immédiate par le pouvoir politique. Pour les historiens républicains, l’histoire immédiate est indispensable et Lavisse préconise qu’elle occupe la moitié du temps d’enseignement durant les deux dernières années du Primaire ; mais elle doit être une histoire militante, tournée vers l’exaltation des valeurs républicaines et patriotiques. Ce fut à ce prix qu’elle entra précocement dans les programmes des écoles et des lycées.
« Épargner à la chaste Clio de trop brûlants contacts »
– La mise en place du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale en 1951. Dirigé par des historiens (Georges Lefebvre, Edouard Perroy et Henri Michel), il recueille des témoignages et publie des études historiques rigoureuses sur le passé récent.
– Le plaidoyer de Réné Rémond. Jeune agrégé d’histoire, il publie dans la Revue française de Sciences Politiques en 1957 « un article qui, aujourd’hui, s’impose comme le véritable manifeste universitaire de l’histoire immédiate ». Avec objectivité, en prenant des exemples concrets, il montrait que le fameux « recul » n’apportait pas nécessairement la sérénité du regard et l’intelligibilité des événements, que les archives officielles n’étaient pas plus précieuses que certaines archives privées accessibles, que les historiens anglo-saxons se montraient moins timorés.
– Les publications de « journalistes en quête de légitimité historique » dans les années 1960 : travaux de G. Elgey sur la IVe République, de J. Fauvet sur le PCF, de J. Lacouture et Y. Courrière sur les conflits coloniaux etc.
– L’introduction de l’histoire immédiate dans les programmes des lycées en 1959 pour la Seconde Guerre mondiale, puis en 1982 pour la période de 1945 à nos jours.
– La création de l’Institut d’Histoire du Temps Présent en 1978. Laboratoire spécifique au sein du CNRS, il prit le relais du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale en 1980, poursuivit les études sur la guerre et s’orienta vers des questions plus contemporaines. Diffusant ses recherches par de solides publications, il fit progresser l’historiographie la plus contemporaine : avec lui la recherche en histoire immédiate obtenait la reconnaissance institutionnelle.
En 1989 J.-F. Soulet et Pierre Vayssière créaient à l’Université de Toulouse-Le Mirail le Groupe de Recherche en Histoire immédiate. En ouverture du colloque international organisé par ce Groupe en 2006, René Rémond pouvait affirmer : « La bataille pour étendre le champ de l’histoire jusqu’à celui de l’actualité est donc maintenant gagnée ». L’ouvrage lui est dédié.
Les caractères spécifiques de l’histoire immédiate
Le second chapitre analyse les caractères spécifiques de l’histoire immédiate : un autre rapport au temps, un autre rapport aux sources documentaires, un autre rapport aux sciences sociales.
La contemporanéité du sujet-historien et de l’objet historique est une caractéristique essentielle. Cette « absence de recul », loin d’être une tare, évite à l’historien du temps présent « à la fois le schématisme simplificateur du discours et son finalisme réducteur » mais exige de lui une grande vigilance pour éviter partialité et subjectivité. L’histoire immédiate redonne toute sa place à l’événement (qui ne doit pas être confondu avec le fait divers et l’anecdote), à l’individu e
L’historien du temps présent doit maîtriser une énorme documentation qui n’est plus exclusivement fondée sur l’écrit et qui n’émane plus majoritairement des Archives publiques. Cette documentation est appropriée à l’étude des représentations qui devient l’un de ses champs privilégiés : après avoir parlé d’« histoire des mentalités », à la suite des travaux de R. Mandrou, G. Duby, J. Le Goff, on parle d’« histoire culturelle » qui est d’abord une histoire des représentations individuelles et collectives.
Travaillant sur le passé proche, l’historien du temps présent se trouve en concurrence avec les chercheurs des autres sciences sociales : sociologues, psychologues, anthropologues, qui ont une longue expérience de sources qui sont nouvelles pour l’historien. S’appuyant sur quelques exemples, l’auteur montre que l’historien a tout à gagner à faire à ces chercheurs quelques emprunts techniques (analyse des images) et méthodologiques (approches comparatistes et approches systémiques peuvent s’appliquer à l’histoire), « sans perdre son âme d’historien » car il est celui qui toujours ancre dans le passé les faits contemporains.
La seconde partie de l’ouvrage comprend six chapitres consacrées aux sources de l’histoire immédiate et aux méthodes que le chercheur doit maîtriser pour les exploiter : les archives, la presse, les sources littéraires, les sources orales, les sources iconographiques et audiovisuelles, les sources numérisées.
Les archives publiques et privées
Bien que l’histoire du temps présent se soit imposée face à une corporation historienne tenante inco
Un assez long chapitre est consacré à l’utilisation des archives publiques et privées de la période la plus contemporaine. Après avoir souligné l’importance –en volume et en qualité- des archives en libre accès, l’auteur consacre un solide développement aux documents soumis à des délais de communication (souvent accessibles sur dérogation), analysant l’évolution et la diversité de la législation puis les enjeux des archives contemporaines.
Les archives privées sont bien plus difficiles à utiliser car, souvent, non classées et mal répertoriées. La présentation des différents types d’archives privées en France sera bien utile au chercheur débutant : archives politiques, archives syndicales et associatives, archives d’entreprises et artisanales, archives religieuses. Une note optimiste conclut le chapitre : malgré une législation contraignante, beaucoup d’archives publiques ou privées existent et sont à la disposition de l’historien.
La presse
« Gisement documentaire de choix pour l’historien du temps présent », la presse nécessite de sa part « une maîtrise parfaite de son histoire, de ses techniques, de ses méthodes, et de son évolution ». Les spécificités de la presse contemporaine dans les démocraties libérales, les pays de type autoritaire et les pays en transition sont exposées ainsi que l’évolution des techniques (« de la galaxie Gutenberg à la galaxie Macintosh ») et des pratiques : diminution du nombre des envoyés spéciaux et des grands reporters, tendance actuelle aux articles courts, concentration des agences de presse (Associated Press, Reuters –aujourd’hui cotée en bourse et au Nasdaq- Agence France-Presse).
L’auteur distingue ensuite la démarche de l’historien de l’immédiat de celle du journaliste et met en évidence les raisons majeures qui conduisent l’historien à s’intéresser à la presse : elle est une entreprise et, à ce titre, relève de l’histoire économique ; elle est une source documentaire qui fournit des informations de deux types : des retransmissions de données brutes émanant de sources externes au journal, des études analytiques et critiques rédigées par les journalistes. « Le dépouillement systématique de cette « presse d’information » est riche pour tous les types d’histoire pratiqués : histoire économique, histoire sociale, histoire culturelle et histoire politique ». Cette dernière est également concernée par le journalisme d’investigation qui est devenu une forme spécifique de journalisme, d’abord aux Etats-Unis avec l’affaire du Watergate puis en France dans les années 1980 (affaire du Rainbow Warrior en 1985). Enfin, pour l’historien intéressé par les phénomènes d’opinion, la presse s’impose comme un instrument privilégié : « Pour qui veut analyser un courant politique ou idéologique, rien n’est plus pratique que de recourir à la presse qui, tout à la fois, la reflète et la construit ».
Les méthodes d’analyse de la presse sont ensuite présentées, en distinguant « la méthode de base » (étude du milieu journalistique, analyse de l’espace occupé dans le journal par le thème étudié, analyse du discours journalistique sur le thème étudié) et les apports de la numérisation.
Les sources littéraires
La presse ne constitue qu’une partie des « sources imprimées » à la disposition de l’historien du temps présent. Le terme de « sources imprimées » est d’ailleurs de plus en plus inapproprié car il existe des versions numériques de publications imprimées et des publications électroniques de plus en plus nombreuses.
L’historien dispose de très abondantes sources littéraires dont l’ampleur et la diversité sont mises en évidence : publications à caractère scientifique et culturel (revues et mémoires de recherche), manuel scolaires (qui sont « d’un apport certain pour les études des identités collectives et des propagandes étatiques » et qui « se révèlent aussi une vraie mine documentaire pour les recherches sur les représentations »), Mémoires et autobiographies. Dans ce vaste corpus documentaire l’historien trouvera « au moins trois types d’éléments pour ses recherches : des informations, des témoignages et des représentations ».
Un développement plus inattendu et fort intéressant est consacré aux œuvres de fiction romanesque. L’historien s’est toujours montré méfiant à l’égard du roman qu’il se refuse à intégrer vraiment parmi ses sources documentaires. Regrettant cette « attitude frileuse », l’auteur montre qu’au contraire l’œuvre de fiction « parce qu’elle est écrite et lue dans un contexte déterminé, est à considérer, tout à la fois, comme un miroir d’une époque –actuelle ou passée- et comme un producteur privilégié de représentations ».
Les sources orales
Les sources orales occupent une place particulière parmi les sources de l’historien du temps présent dans la mesure où « elles participent à la définition même de l’histoire immédiate : une histoire vécue par l’historien ou ses principaux témoins ». L’histoire immédiate ne s’élabore évidemment pas à partir des seuls témoignages oraux : « loin d’être la clé magique permettant au chercheur d’accéder enfin sans encombre et avec certitude à la réalité du passé, la source orale (…) exige de l’historien, en raison des particularités de sa constitution et de son interprétation, une approche critique et une réflexion approfondie ».
L’auteur établit une nette distinction entre l’histoire immédiate et l’histoire orale née aux Etats-Unis dans les années 1960, dans un contexte militant, puis caractérise ce qu’Annette Wieviorka a appelé « l’ère du témoin » dans un ouvrage publié en 1998 : obsession du témoignage, émergence massive de la « mémoire » confondue avec l’histoire, puis rappelle que « la majorité des historiens (…) préfèrent réaffirmer que l’histoire ne peut se réduire à des témoignages et que le témoin ne doit pas se substituer à l’historien ».
Les apports du témoignage sont « irremplaçables pour l’étude des infrasociétés (…) et pour la reconstitution des parcours individuels ». Leur collecte et leur exploitation doit obéir à de strictes règles méthodologiques qui sont brièvement exposées : préparation rigoureuse de l’entretien, conduite à tenir durant l’entretien, mise en forme de son contenu, archivage, exploitation critique du témoignage comme de toute autre source.
Les sources iconographiques et audiovisuelles
A l’instar du témoignage oral, la documentation iconographique et audiovisuelle ne fut d’abord admise que comme simple illustration d’un discours exclusivement fondé sur l’écrit. Depuis une trentaine d’années, les historiens du temps présent ont reconnu l’intérêt des images comme source de l’histoire.
Trois sources d’« images fixes » intéressent particulièrement l’historien : la caricature, la bande dessinée et la photographie. L’apport de chacune d’elle à l’histoire est souligné avant que ne soient présentées les méthodes à mettre en œuvre pour leur étude rigoureuse. Le professeur trouvera d’intéressants exemples de décodage de la photographie de presse et de décryptage de bande dessinée.
Les sources audiovisuelles sont des supports nouveaux et déroutants pour l’historien ; « l’apport essentiel de Pierre Sorlin » et celui de Marc Ferro « pour qui le film doit devenir une des sources de base de l’historien des sociétés contemporaines » sont bien soulignés avant que ne soient présentés les centres de conservation des documents cinématographiques, radiophoniques et télévisuels, puis les types de productions audiovisuelles intéressant l’historien : journaux télévisées, films documentaires, films de fiction (films réalistes et néo-réalistes, cinéma social, films « de mémoire »). Quelques pages sont enfin consacrées à l’approche méthodologique de l’étude de film.
Internet et les sources numérisées
Utiles au chercheur, elles le sont aussi au professeur qui souhaite utiliser cet immense espace de documentation avec méthode et efficacité, et qui doit apprendre à ses élèves à le faire quand ils les encadre dans leurs activités de recherche.
« Internet se révèle comme un instrument utile, pratique et rapide tout au long d’une recherche en histoire immédiate : depuis le moment où l’historien teste un sujet, hésite sur la problématique, s’efforce de repérer les principaux gisements de sources, jusqu’à la phase d’analyse de la documentation numérisée ».
Dictionnaires, encyclopédies (dont Wikipédia), sites généralistes et institutionnels, moteurs de recherche sont identifiés et présentés. Le lecteur apprend à constituer une bibliographie, à repérer des sources, à analyser de la documentation numérisée.
L’intérêt d’Internet est aussi d’offrir aux historiens sur certains thèmes une documentation nouvelle et originale. De nombreux sites sont présentés ou évoqués, sites officiels, sites de journaux, d’associations, de mouvements et de partis ; des dizaines d’adresses sont données.
Internet est à l’origine de plusieurs nouveaux supports d’expression individuelle et collective qui permettent de faire partager ses connaissances et d’en débattre : « sites personnels », « pages personnelles » proposées par les serveurs à leurs abonnés, forums et listes de discussions, « chats, « blogs ». Autant de gisements de nouvelles archives dont il faut connaître et maîtriser les outils d’exploitation.
Internet pourrait être un lieu d’échanges, de débat, de diffusion pour les historiens. Une communication scientifique peut en effet s’établir entre trois types de site : les sites personnels de chercheurs, les sites d’équipes de recherche, les « portails » généralistes. Force est de constater que ces sites sont encore rares et, qu’à la différence de leurs collègues américains (l’auteur signale l’existence du « remarquable portail H-net de l’Université du Michigan »), les « historiens et chercheurs français n’ont pas encore fait du Web un lieu de débat » et qu’ils semblent souffrir d’une « absence d’une culture de la discussion ».
Le livre se termine par un plaidoyer pour que « la maîtrise de ces nouvelles technologies » qui « modifient considérablement et avantageusement les conditions de la recherche (…) trouve toute sa place dans la formation universitaire des historiens ; ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui en Europe, notamment en France ».
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