Maya Beauvallet est économiste et a déjà publié il y a trois ans « Le rôle de l’Etat ». Son domaine de recherche concerne les indicateurs de performance. Autant dire que son ouvrage sorti au début de l’année garde une actualité importante. Dans ce petit ouvrage (150 pages), elle aligne les exemples où, pour reprendre son sous-titre, on fait pire en croyant faire mieux. Le livre n’est jamais ironique inutilement, et la multiplication des exemples suffit à nous interroger, voire à nous faire grincer les dents.
En une douzaine de chapitres, Maya Beauvallet démontre donc que la politique du chiffre, que la manie de la quantification aboutit parfois à des résultats étranges, voire contre-productifs !
Ce qu’elle critique notamment, c’est l’invasion de la « science managériale » dans l’ensemble de la société. Or, la société n’est pas à gérer comme une entreprise.

Evaluer partout et tout le temps

Dans un premier chapitre, l’auteur démontre les effets pervers d’une tentative d’évaluation d’implication de bénévoles. Une étude révèle ainsi qu’en les payant, ne serait-ce qu’un peu, on diminue leur assiduité et leur implication. La monétarisation peut donc conduire à la démotivation. Sans jamais surcharger son livre de notes, l’auteur livre néanmoins en quelques références de bas de page le lien pour en savoir davantage. D’autres problèmes apparaissent quand on cherche à évaluer, par exemple, l’activité de déménageurs de piano. Ceux-ci sont obligés de fonctionner par deux et, dans ce cas, il faudrait des indicateurs collectifs. On note alors que ceux-ci exercent une pression sur les plus mauvais déménageurs, mais également sur les meilleurs qui ont tendance à s’aligner sur une performance moyenne. Finalement, on fabriquerait donc davantage un comportement grégaire. Il existe d’autres façons d’aboutir à un nivellement : c’est de fixer des objectifs à long terme. Sur le papier, cela semble une bonne idée, mais là encore l’être humain a tendance à atteindre le seuil fixé…. et à en rester là. On effleure alors la question du chiffre à atteindre ; autant dire que cette thématique est récurrente dans les discours actuels.

La technique du salami

Restons néanmoins encore sur cette idée que l’être humain est habile face à l’épreuve, et ce que l’auteur appelle la « technique du salami » le prouve bien. « Les tests de mesure des performances s’améliorent toujours une fois passée la période de leur mise en place » certes, mais cela ne prouve qu’une chose : le test mesure la connaissance du test et rien de plus. Ici l’auteur s’appuie sur l’exemple de l’enseignement, ce qui risque de conduire certains professeurs à travailler sur des points précis plutôt que sur le fond. A l’heure où paraissent des rapports parfois critiques sur les comparaisons internationales des systèmes scolaires, le propos a du poids. Nathalie Mons, maître de conférences à l’université de Grenoble II, spécialiste de l’analyse internationale des politiques éducatives, pour la Commission Européenne déclarait récemment : « les outils d’évaluation ne doivent jamais être conçus comme des instruments techniques neutres, ils sont au service d’une vision de l’école ».

Qu’est-ce qu’un bon chercheur ?

Les chapitres 8 et 11 traitent de la question des enseignants chercheurs et de leur évaluation. D’une manière très argumentée, Maya Beauvallet décortique les moyens envisagés pour estimer l’activité des chercheurs et donc à terme le financement de leur laboratoire. Faut-il comptabiliser le nombre d’articles, et si oui, toutes les revues se valent-elles ? On constate par exemple que la volonté de quantifier, de classer, aboutit à peu de choses puisque un chercheur déjà âgé est souvent multicité par des collègues : on ne mesure pas alors son activité actuelle mais son aura ou ses réseaux. Surtout, on ne sait rien de l’actuel et l’outil n’a donc aucun sens. Pour ne citer qu’un exemple mineur de dysfonctionnement de cet inventaire, on peut évoquer le cas des femmes chercheurs qui lorsqu’elles se marient peuvent parfois être comptabilisées sous deux noms différents ou encore les problèmes d’homonymie des chercheurs appelés Martin. Moralité : en comparant des bases bibliométriques, on s’aperçoit que 40 % des citations sont communes aux trois principales bases et le reste est donc suspect !

Le chapitre final sur la justice résume bien les questions de base que l’on devrait se poser quel que soit le sujet. Souhaite-ton une justice plus rapide, plus prudente, plus équitable ? En tout cas, s’il n’ y a pas de consensus sur ce qu’est une bonne justice, « l’instrument prend le pouvoir ». Le plaidoyer final invite au bon sens. Modéliser, c’est bien, mais observer avant de décider est une évidence à ne pas oublier.

Tout en s’appuyant sur des exemples précis, on ne peut s’empêcher à la lecture de ce livre d’effectuer des transferts, des comparaisons avec d’autres domaines puisque le même genre de tics évaluatifs se diffusent dans la société. Une lecture à la fois instructive, qui interpelle et conduit à réfléchir sans jamais céder au pamphlet.

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