Alexis Metzger est docteur en géographie et enseignant-chercheur contractuel à l’ENS-Ulm. Ses recherches portent sur l’histoire du climat, la géohistoire des risques et les représentations de la nature, dont les peintures de paysage. L’ouvrage présenté est issu de sa thèse soutenue en 2014, intitulé « Le froid en Hollande au Siècle d’Or. Essai de géoclimatologie culturelle », sous la direction de Martine Tabeaud. 

La problématique est l’étude des représentations culturelles du climat par une lecture géoclimatique d’oeuvres d’art. Alexis Metzger analyse les relations entre des faits climatiques et leurs représentations culturelles. Pour cela, la méthodologie retenue croise de nombreuses sources écrites sur l’histoire du climat (dont notamment celles de Jan Buisman, historien et géographie néerlandais du XVIe-XVIIe siècles) et des peintures de paysages hivernaux (comme celles de Bruegel l’Ancien et d’Hendrick Avercamp). L’analyse est conduite à mésoéchelle (entre 2 km et 2 000 km). Chronologiquement, Le Siècle d’or hollandais s’étend de 1581 (date de la fondation de la République des Provinces-Unies) à la fin du XVIIIe siècle (la guerre de Hollande de 1672-1678 menée par Louis XIV mettant fin à la prospérité de cette république). Pour « donner le primat à la géohistoire d’un territoire, les Provinces-Unies » (page 17), Alexis Metzger ressert sa fenêtre d’étude sur les années 1600-1672. Une autre raison est avancée pour expliquer ce bornage chronologique : le début du XVIIe siècle serait celui où le Petit Âge Glaciaire (vers 1300 – vers 1860) aurait atteint sa plus forte intensité de froid.

Dans le premier chapitre, « L’invitation au voyage », Alexis Metzger explique les causes de l’apparition du paysage dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Pour répondre à la question « pourquoi là et pas ailleurs ? », l’auteur parle de « contexte géohistorique » (page 51). Parmi les raisons, il faut citer le développement de la bourgeoisie au dépend de la noblesse, la petite ou grande bourgeoisie achetant beaucoup de tableaux. Au Siècle d’Or, les déplacements dans les Provinces-Unies sont facilités par l’aménagement du territoire (création de routes mais surtout de canaux). Selon Alain Corbin, le transports en barques « a contribué à ordonner l’appréciation de la campagne et son rôle est grand dans la genèse du paysage hollandais » (page 48). Ainsi, pour Alexis Metzger, il faut nuancer la thèse de Svetlana Alpers pour qui l’apparition des paysages dans la peinture hollandaise est seulement causée par l’essor de la cartographie (page 44).

Dans le second chapitre, « Ressources et contraintes du froid », l’auteur s’interroge sur l’adaptation des Hollandais au froid. Cela passe par les pratiques de loisirs sur glace (Kolf, patinage…). Les pratiques alimentaires sont aussi analysées comme la consommation de neige dans les boissons, déjà mentionnée par Fernand Braudel dans sa thèse sur la Méditerranée (page 110). Le goût du boire frais est introduit en Flandres et dans les Pays-Bas par la présence espagnole au XVIe siècle. Dans une optique comparable au Chapeau de Vermeer de Timothy Brook1, Alexis Metzger analyse la provenance des fourrures portées par les personnages des peintures, ce qui permet une incursion dans la mondialisation du XVIIe siècle. L’importance accordée aux représentations de vêtements chauds rappelle la plateforme qu’était la Hollande dans le commerce de la fourrure, les marchands des Provinces-Unies s’approvisionnant autant chez les négociants russes que chez les Iroquois ou les Mohicans outre-atlantique.

Dans le troisième chapitre, « Les trois temporalités météo-climatiques au Siècle d’or », l’ouvrage analyse les différentes temporalités du froid. Les indices des variations du froid sont recherchés, ainsi que son intensité. Les temporalités sont ici à comprendre dans le sens historique mais aussi climatologique. Alexis Metzger se concentre sur trois principales temporalités : celle du climat (le Petit Âge Glaciaire), celle de la saison (l’hiver), celle du type de temps (la journée).

Enfin, dans le quatrième et dernier chapitre, « Les faiseurs de glace », l’ouvrage s’interroge sur « l’appropriation géoculturelle du froid au XVIIe siècle en Hollande » (page 211). Par une abondante représentation picturale, l’hiver serait devenu un topos, une « identité façonnée » (François Walter) par et pour les Hollandais » (page 224). Dans cette dernière partie, Alexis Metzger pose l’hypothèse d’une fabrique nationale d’un paysage hivernal pour ce tout jeune pays que sont les Provinces-Unies. Cette identité picturale serait à opposer aux peintures de l’ancien occupant espagnol, dans lesquelles le paysage (notamment d’hiver) est beaucoup moins présent. « La figure paysagère climatique hollandaise a pu se construire sur un rejet de la saison qui dominait les toiles espagnoles et surtout sur une envie de refléter une figure paysagère identitaire. » (page 221).

D’un point de vue didactique, ce livre sera utile comme ressource documentaire et scientifique pour les enseignants du collège et du lycée. En effet, le thème 3 d’Histoire de l’année de 5e invite les élèves à étudier « Les bouleversements scientifiques, techniques, culturels et religieux que connaît l’Europe de la Renaissance », ainsi que la première mondialisation des XVe-XVIe siècles. De son côté, le futur chapitre 2 du thème 2 d’Histoire de la classe de 2nde (nouveau programme 2019), bien que très axé sur une renaissance à l’italienne, permettra néanmoins la mise en avant  » [d’]une vision renouvelée de l’homme qui se traduit dans les lettres, arts et sciences ». Dans les deux cas, l‘étude du tableau de Bruegel l’Ancien, Les chasseurs dans la neige (1565) serait un intéressant support pédagogique, à mettre en miroir avec celui du Printemps de Sandro Botticelli (1478-1482). Enfin, ce livre sera un très bon support documentaire pour le nouveau programme d’Histoire des Arts en 2nde. Dans le cadre de l’étude de foyers chrono-géographiques, le professeur doit « faire acquérir aux élèves des repères et des connaissances sur l’ensemble des grandes époques artistiques emblématiques de l’histoire des arts. Celles-ci sont organisées en foyers chrono-géographiques recoupant cinq périodes historiques. »2 La troisième période qui s’étale du XVIe au XIXe siècle comprend une étude des Pays-Bas au XVIIe siècle.

En résumé, c’est un beau livre que nous offre ici Alexis Metzger, tant sur le fond que sur la forme. En effet, le plaisir de la lecture est facilité par le fait que les tableaux dont parle l’auteur se trouve insérés à côté du texte et non relégués dans un carnet central ou en annexe où il faudrait constamment se référer. Le plaisir des mots est accompagné du plaisir des yeux. On se prête à rechercher dans les tableaux les analyses et les descriptions lues.

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1 : Timothy Brook, Le Chapeau de Vermeer. Le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation, Paris, Payot, 2010.

2 : BO spécial n°1 du 22 janvier 2019, page 34.