Rendre compte au plus près des navires et des hommes, au ras du pont, tel a été le pari d’Alexandre Jubelin, auteur d’une thèse sur l’abordage et le combat rapproché dans l’Atlantique au début de l’époque moderne.
Il nous décrit la réalité du combat sur mer entre le début du XVIe siècle et le milieu du XVIIe siècle. Entre ces deux dates, des évolutions majeures apparaissent., le combat naval se modifie. C’est le temps de l’évolution entre le progrès technique des navires et de l’artillerie, ainsi que des pratiques toujours tournées vers l’abordage. On ne peut comprendre l’un sans l’autre, l’abordage restant le point culminant de l’engagement sur mer, moment intense de l’affrontement face à face, les yeux dans les yeux où la mort devient palpable. L’auteur nous offre à travers son ouvrage un récit vivant de ce que furent les réalités du combat sur mer.
Dans l’Atlantique du début du XVIe siècle, la bataille se déroule au contact, corps à corps. Si des pièces d’artillerie sont présentes, elles ne permettent pas encore le combat à distance faute de technique poussée et d’équipage maîtrisant cette arme. Surtout, celles-ci se taisent progressivement à mesure que la bataille avance, les difficultés de rechargement poussant les équipages à se contenter de les faire tirer une fois chacune. De ce fait, le combat prend alors corps sous la forme de l’assaut, à la main et à l’arme blanche, qui pourrait rappeler fortement la prise d’une place forte médiévale. Un siècle plus tard, les canons sont devenus des armes suffisamment efficaces pour battre un ennemi sans jamais à avoir prendre le risque du corps à corps. Ils s’ouvrent ainsi la voie à un combat naval désormais centré sur l’affrontement à distance et qui prendra forme pendant le siècle et demi suivant dans la pratique de la ligne de bataille, où les flottes cherchant à en découdre de disposent en fil et se pilonnent à distance jusqu’à ce qu’une d’elles abandonne.
Révolution néolithique
C’est donc du décalage et de l’évolution entre deux pratiques du combat si éloignées qu’il est question dans cet ouvrage : un changement radical et définitif se produit en effet au cours de cette période, bousculant les contours de la bataille. A partir du XVIIe siècle, l’affrontement se déroule dans la très grande majorité des cas avec un équipage concentré sur son navire et ses canons pour en maximiser l’efficacité ; ce qui relègue le face-à-face meurtrier à des situations désormais exceptionnelles.
L’auteur nous fait remarquer que ce changement prend du temps : un siècle et demi au moins dans le cadre de son étude, qui commence au début du XVIe siècle. Ce point de départ correspond au moment où l’artillerie atteint un niveau de perfectionnement minimal qui permet d’en faire une arme efficace sous certaines conditions. Ce n’est pas un déclic. Non pas une révolution au sens radical du terme mais plutôt une révolution de type néolithique, c’est-à-dire lente, inégale selon les endroits mais, in fine, radicalement transformative. Ce changement n’est pas surdéterminé par les innovations techniques, notamment dans la construction et le maniement des canons : bien que les progrès aient lieu de manière constante, c’est non seulement par le perfectionnement très progressif, mais aussi par l’intégration de ces techniques nouvelles dans les pratiques du combat.
L’auteur tente donc de retracer cette histoire, celle de l’évolution symbiotique entre le progrès technique et le changement des pratiques, dans le cadre d’une étude du combat qui cherche à rendre compte au plus près des objets et des hommes.
Un océan disputé
Alexandre nous fait découvrir que les combats portent essentiellement sur l’océan Atlantique où l’Espagne est une puissance que l’on pourrait qualifier de prédominante. Même au sommet de sa puissance, le royaume Habsbourg ne contrôle que certains territoires stratégiques en Amérique et une grande partie de la route maritime, notamment certains points de passage comme les Açores. Et si la puissance navale espagnole est capable de s’imposer jusqu’à la Manche, elle n’est en aucun cas de taille à éliminer toute présence étrangère, même à proximité directe de ses possessions. D’une manière générale et à l’échelle de la période, elle se trouve de plus en plus défiée par la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies.
L’ambition de l’auteur n’est pas une histoire des marines européennes au début de l’époque moderne, ni même une histoire globale de la guerre dans l’Atlantique aux XVIe et XVIIe siècles. Le sujet de cette étude se focalise sur le combat, et en particulier l’abordage, qui est une manière de nommer les combats rapprochés entre navires. Ce libre pénètre avec brio l’intérieur des navires, ce monde complexe et très souvent mortel pour nous embarquer, ensuite, vers les flottes et les navires à mesure qu’ils se rapprochent de l’affrontement jusqu’à pénétrer au cœur de la bataille où l’on ne discerne plus que le brouillard et la fumée, puis les cris des marins et des soldats. Ensuite, la focale se resserre sur l’artillerie et les hommes qui la manient avec techniques et dextérité.
Au final, un livre assez technique mais très agréable à lire. Les explications des manœuvres, de la structure des navires ou bien de la préparation des combats sont claires et vivantes. Un libre qui vous embarque dans un monde inconnu et méconnu. A lire absolument.
Bertrand Lamon pour les Clionautes