CR par Céline Dubois

Anne-Marie Tillier est archéoanthropologue et Directrice de recherche au CNRS au sein de l’unité « De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie ». Elle a publié en 2009, aux éditions du CNRS, L’homme et la mort, l’émergence du geste funéraire durant la préhistoire. Les sept chapitres qui composent cet ouvrage posent la question de l’apparition d’une préoccupation vis à vis de la mort et de l’émergence de différentes formes d’attention portées aux défunts.
Dans l’étude des sociétés préhistoriques, où l’absence de textes écrits voire de figurations oblige à se tourner vers l’archéologie, les chercheurs se sont souvent limités à l’étude des productions matérielles. L’influence de l’ethnologie a fait évoluer ses approches vers une analyse du comportement et des motivations des hommes préhistoriques. Le travail d’Anne-Marie Tillier s’inscrit dans cette nouvelle approche en réfléchissant sur la signification accordée aux gestes funéraires et aux croyances qui les accompagnent dans ces sociétés dites “du passé”.

Ch. 1 L’appréhension de la mort

Dans un premier chapitre didactique, l’auteur traite des différentes manières connues de traiter les corps des défunts : l’inhumation, les exhumations et les sépultures secondaire, la crémation, l’anthropophagie (essentiellement endogamique ici) et les morts d’accompagnement. Chacune de ces formes particulières de traitement funéraire est illustrée d’exemples précis et explicites datant de la période préhistorique mais pas uniquement. De nombreux parallèles sont ainsi faits avec la période historique, le plus souvent en empruntant des exemples au folklore et à l’ethnographie.

Ch. 2 L’anthropologie de la mort passée

Après avoir décrit les différentes pratiques funéraires existantes dans le traitement des corps, l’auteur aborde l’historiographie de l’anthropologie. Anne-Marie Tillier s’interroge ainsi sur l’évolution de l’anthropologie physique à travers les grandes découvertes de la fin du XIXe siècle qui ont suscité de nouvelles problématiques. D’un homme sauvage sans geste intentionnel réfléchi, l’anthropologie associée à plusieurs autres champs disciplinaires, a fait de l’homme préhistorique un être doté d’un certain degré de spiritualité et d’intention. L’auteur retrace avec concision cette évolution de la recherche, au rythme des nouvelles découvertes qui se sont succédées depuis plus de 150 ans.

Ch. 3 L’archéologie de la mort : apport de l’archéothanatologie

L’évolution de l’anthropologie physique a amené Henri Duday et Bruno Boulestin à parler d’archéothanatologie pour l’anthropologie de terrain. L’auteur explique ce terme et reprend les travaux des deux anthropologues. Ainsi, l’archéothanatologie ne concerne pas l’étude des ossements en dehors de tout contexte de découverte. Elle tient compte du type de sépulture, du matériel qui peut l’accompagner etc.… L’accent est mis sur l’enregistrement des données recueillies sur le terrain, l’idée étant que la même méthode d’analyse des gestes funéraires peut-être appliquée à toutes les sépultures quelles que soient l’époque ou l’appartenance culturelle du défunt. De la qualité de l’enregistrement de l’ensemble des données (ostéologiques mais pas uniquement…) dépendent ensuite les analyses ultérieures et les conclusions que l’on peut en tirer sur les gestes funéraires d’une société.

Ch. 4 : Genèse de l’archéologie funéraire. La sépulture primaire individuelle & Ch.5 : De la sépulture individuelle à la sépulture multiple. Le regroupement des morts.

Dans les chapitres 4 et 5, l’auteur revient sur les apports de l’anthropologie et de l’archéothanatologie dans l’étude des sépultures depuis les dernières années. Elle décrit avec précision les différents types d’inhumation : sépultures primaires individuelle, multiples, regroupement de défunts…. En retraçant de manière diachronique les découvertes, elle donne au lecteur une vision d’ensemble de l’évolution des gestes funéraires au Paléolithique. Chaque mode d’inhumation est illustré par au moins un exemple concret pris essentiellement sur le continent eurasiatique.

Ch. 6 : Que nous apprennent les dépôts archéologiques associés aux morts ?

Pour compléter son approche, l’auteur expose dans un chapitre les différents dépôts archéologiques associés aux défunts. Il s’agit du matériel (objets, faune, flore…) découvert à proximité des corps et identifié comme étant déposé de manière intentionnelle. Anne-Marie Tillier dresse ici une typologie succincte des dépôts découverts à ce jour. Si elle admet que les valeurs symboliques données à ce matériel échappent aux chercheurs pour le moment, elle tente une première interprétation pour les objets dont la présence peut sembler insolite, et notamment l’ocre qu’elle relie à des rituels funéraires précédent la mise en terre.

Ch. 7 Doubles funérailles et crémation laissent-ils des témoins archéologiques ?

Pour conclure son tour d’horizon des gestes funéraires des sociétés préhistoriques, l’auteur aborde dans un dernier chapitre les problèmes d’analyses des ossements dans le cas des crémations et des doubles funérailles. En effet, le caractère incomplet de certains squelettes apporte également des informations et permet d’émettre des hypothèses : pratique de la sépulture secondaire (squelette déplacé quelque temps après l’inhumation), prélèvement d’ossements directement sur le corps ou encore rituel d’anthropophagie dans certaines régions. Malheureusement, comme le rappelle Anne-Marie Tillier, il est souvent difficile d’établir avec certitude les intentions voire même les rituels qui sous-tendent les différentes découvertes. Il en est de même pour l’identification des ossements humains ayant subi l’action du feu. S’agit-il réellement de crémation avec geste funéraire intentionnel ? Pour l’auteur, ce n’est qu’à partir du Mésolithique que l’on peut fixer avec certitude des cas de crémations.

L’ouvrage d’Anne-Marie Tillier peut être considéré comme une synthèse des différents travaux et découvertes autour des gestes funéraires préhistoriques. Très accessible, il permet au lecteur d’appréhender en près de 150 pages la manière dont les hommes “du passé” traitaient leurs défunts. Loin d’être des sauvages sans réflexion, elle nous démontre qu’il s’agissait d’individus avec des pratiques funéraires propres témoignant de préoccupations qui dépassaient le simple cadre utilitaire de la vie.

Céline Dubois Collège Belle de Mai, Marseille
– Doctorante en histoire et archéologie grecque
– Université de Fribourg et Université Aix-Marseille I