Collection KUBABA série Actes 2006 Université ParisI/Institut catholique de Paris
Paris, édition L’Harmattan, 2006, 337 pages
Un titre prometteur, une quatrième de couverture qui propose un ouvrage ambitieux sur le rapport homme/ nature du second millénaire avant notre ère à nos jours. Ces Actes du colloque organisé en décembre 2004 par l’association Kubaba sont un recueil d’articles très pointus qui visent un public étroit de spécialistes de disciplines diverses (archéologie mais aussi littérature ou musique…).

L’ouvrage se présente en deux grands chapitres. Si le premier regroupe, sous le titre: la reconstruction de l’espace, des contributions sur la protohistoire et la haute antiquité en Égypte, Anatolie et Mésopotamie; le second réunit des contributions très diverses, tant dans le temps et l’espace : des Hittites à l’Islande du premier XXe siècle, que dans les approches: littérature, musique ou archéologie poésie et mythologie.

Au chapitre premier:

Sydney Aufrère, (université d’Aix-Marseille) aborde à partir des textes funéraires de Haute Egypte au XVème siècle av. JC, la représentation du “paradis” égyptien: la campagne de Hotep, pourvoyeuse de récoltes abondantes. Cette contrée divine est très proche de la réalité de la vallée du Nil et décrite comme une géographie mythique idéale. Cette présentation très technique des textes est complétée des transcriptions des formules étudiées.

Roberto Bertolino (université Paris I) analyse la représentation iconographique des animaux domestiques dans l’aire Syro-Mésopotamienne à l’époque Parthe. Ce catalogue des ovins aux volailles, chiens et cochons montre que les animaux anciennement domestiqués comme les ovins sont peu présents alors que dominent les bovins, en particulier le taureau du culte de Mithra. Le cheval est le plus souvent associé au cavalier et les camélidés restent les animaux les plus représentés. Pour l’essentiel l’époque Parthe reprend le bestiaire mésopotamien traditionnel. Les illustrations proposées sont hélas de très médiocre qualité, peu lisibles.

Catherine Cousin (université Nanterre-Paris X) nous entraîne dans les bocages et prairies du royaume des morts chez Homère: un monde végétal humide évoquant la fertilité et l’abondance mais aussi un monde obscur comme le bois sacré de Perséphone.

Martin Makinson propose une étude du paysage du haut Euphrate syrien à l’époque sargonide entre vallée verte et plateau steppique. Il s’agit de montrer l’émergence des villes à partir de l’exemple d’Aslan Tas/Hadatu. Comment et quand se fait sentir l’influence assyrienne dans l’aménagement de la ville et la “colonisation” de la plaine avec un véritable maillage de villages et hameaux. Le texte est complété de quelques cartes, schémas et photographies.

Dennis Pardee (université de Chicago) analyse des textes religieux de l’ancienne Ougarit mais aussi hébreux pour mettre en évidence le récit mythique de la sédentarisation avec des divinités comme Attartu/Astarté, tantôt associées aux champs cultivés tantôt à la steppe, monde nomade.

Isabelle Pimouguet et Jérôme Wilgaux (université de Nantes) présentent rapidement un pré-rapport des fouilles du site de Kelbessos sur le territoire de Pisidie, une agglomération rurale avec son système fortifié, ses deux nécropoles et un secteur d’habitations aux époques hellénistique et romaine.

Avec Maria Grazia Massetti-Rouault, on revient sur le moyen Euphrate pour une étude de l’évolution de l’occupation humaine au second millénaire av. autour de la cité de Terqa: un espace où s’opposent 2 modes d’utilisation de la terre et de l’eau entre ville et culture irriguée dans un état organisé et semi-nomadisme associé à une petite agriculture de subsistance sur les terrasses alluviales. Les travaux récents remettent en cause la vision traditionnelle d’une irrigation “étatique” avec de gros travaux (canaux…) comme “dictée” par les contingences naturelles. Les fouilles du Tell Masaïkh (VI – II mill. Av.) montrent un comptoir d’échange de l’obsidienne, une petite agriculture irriguée de terrasses dès l’âge du bronze avant la “grande culture irriguée” à l’âge du fer sous contrôle assyrien.

Le second chapitre

débute par un texte “lyrique” de Padro Azara (Scuela de arquitectura de Barcelona) sur l’architecte et l’agriculteur, créateurs de l’espace aménagé, protecteur face aux terres soumises à tous les dangers: le toit, le foyer face à l’obscurité des forêts.

Marie-Anne Evrard évoque la “colonisation” poétique à la Renaissance à partir des poètes français du XVIème siècle qui associent âges de la vie et cycles de la nature: printemps/ moment de la rencontre amoureuse chez Ronsard par exemple, été/ moment du désir et automne-hiver / le temps qui passe.

Avec Patrick Guelpa (université Lille III) un grand saut dans le temps et l’espace pour une rencontre avec les textes du poète islandais Einar Benediktsson (1864-1940). On y découvre les mythes islandais (huldufolk / gens cachés, les treize pères Noël, les sabots de Sleipnir) associés à la nature alors que ses poèmes urbains décrivent les villes de ses voyages (Rome, Milan, Bruxelles…).

René Lebrun (Université de Louvain/ institut catholique Paris) recherche dans la terminologie des Hittites l’esquisse d’une perception rationnelle de la nature. Les dieux “campagnards” associés à la nature sauvage sont omniprésents dans les funérailles, les textes des traités et le rocher est le lieu idéal pour la construction du sanctuaire.

Michel-Yves Maurienne s’interroge sur l’influence de la nature sonore sur la musique des premiers hommes à nos jours. Depuis les battements du cœur, l’imitation des animaux ou son du bel outil il y a continuité de l’appropriation par l’homme des sons de la nature et de leur traduction en musique et ce jusqu’à la fin du XIX ème siècle. Avec l’industrie l’irruption du bruit a conduit à la décomposition du son dans la musique du XX ème siècle avec des compositeurs comme Xénakis, Pierre Henri ou John Cage. C’est une tentative de survol des rapports sons de la nature et musique, en relation avec les mathématiques comme outil de référence.

Michel Mazoyer (université Paris I) nous replonge dans l’univers hittite avec l’opposition entre espaces cultivés et habités d’une part et d’autre part espaces sauvages de la steppe et montagnes sacrées, opposition constatée tant dans la littérature que dans la réalité. Et pourtant ses étendues sont complémentaires: pâturages de la steppe, réserve de pierre, bois… de la montagne sont indispensables aux villes et villages anatoliens comme l’atteste le panthéon hittite.

Eric Raimond (Institut catholique de Paris) s’interroge sur le modèle “dumezilien” d’analyse des divinités agraires dans le monde lycien en prenant comme par exemple la déesse de la rivière Maliya, notamment à l’époque achéménide ou Ertémi…Il montre l’importance des divinités liées à la nature (fleuve, montagne…) Dans le panthéon lycien.

Avec Ephrem Sambou (i.f.e. Ucad), l’occasion nous est offerte d’un voyage vers l’Afrique et le pays Diola ou comment les agriculteurs de basse Casamance ont conquis leur espace agraire sur la forêt. La forêt est vénérée comme don du dieu Ata Emit réserve de fruits, de viande et du vin de palme indispensable à la relation entre les vivants et les puissances invisibles. C’est sur les confins que la forêt a été défrichée pour installer la culture sèche du riz alors que dans la proximité des villages on trouve les cultures de haricots et d’arachides, les rives du fleuve étant occupées par la rizière inondée. L’auteur propose une description précise des divers espaces et des techniques agraires traditionnelles ainsi que de l’organisation de la société diola (propriété du sol, place des femmes…) et des traditions religieuses.

Claude Sterckx clos l’ouvrage sur le symbolisme du cerf chez les Celtes souvent représenté qui semble associer l’animal au monde de la mort, de l’Au-delà…

On regrettera l’absence de synthèse et de fil conducteur entre ces textes qui traitent surtout de la haute antiquité: extraits de rapport de fouilles, tranches d’analyses épigraphiques complétées pour certaines contributions de documents iconographiques de piètre qualité de reproduction. Pour autant, il représente une mise au point intéressante sur les fouilles récentes qui peuvent renouveler notre approche de l’histoire des civilisations.

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