Christian Grataloup, géohistorien bien connu, auteur entre autres de « Le monde dans nos tasses » ou de « L’Atlas historique mondial », propose avec cet ouvrage sur l’histoire du monde de rassembler ses chroniques parues chaque trimestre dans la revue « La Géographie ». Chacune fait en moyenne cinq pages.
Une mondialisation par le quotidien
Comme le dit l’auteur en introduction, « nos gestes familiers convoquent à chaque instant le vaste monde et ce depuis longtemps. C’est ce que tente d’évoquer ce puzzle ». D’une certaine façon ce livre fait aussi écho à celui de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre « Le magasin du monde : la mondialisation par les objets du XVIIIème siècle à nos jours ». Les sujets abordés sont donc très variés puisque les chroniques ici rassemblées se sont étalées sur une dizaine d’années. La compilation de ces textes laisse apparaitre quelques thèmes récurrents, comme le cheval ou le petit-déjeuner. Le parcours de la table des matières montre la diversité des angles d’approche : le gazon, l’or, le pousse-pousse, les portulans ou encore brousse, jungle et maquis.
Alimentation et mondialisation
C’est au siècle des Lumières que les petits gobelets munis d’une anse ont été codifiés. Comme le dit Christian Grataloup, la « tasse est fille de la consommation de thé ». L’auteur rappelle que le thé était rarement dégusté bouillant en Chine et la nécessité d’une anse ne s’était donc pas imposée. Un autre article revient sur la pipe à opium et montre combien il s ‘agit d’un objet métissé. « Sa géohistoire, du continent américain au Lotus bleu, est un modeste témoignage de l’unification du Monde depuis le XVI ème siècle et, simultanément, de sa diversification ». Un autre article développe le cas de la patate douce. Cette plante a été diffusée mondialement mais le débat tourne autour du fait de savoir si cette diffusion est due à l’homme ou à un processus naturel. Ce que l’on sait aujourd’hui c’est que la patate douce a la « particularité d’une géographie ancienne centrée sur le Pacifique à l’envers d’un monde eurocentré ». Le tour d’horizon autour de la nourriture se poursuit, entre autres, avec l’ananas, mot d’origine guarani, qui signifie fruit parfumé. Pour l’anecdote, le premier rapporté en Europe par Jean de Léry avait été offert à Charles Quint qui refusa de le gouter. Le fruit resta longtemps réservé à une consommation aristocratique , même lorsque fut mis au point le navire frigorifique, et il faudra vraiment attendre les années 1980 pour voir sa consommation se répandre.
A propos du cheval
Christian Grataloup évoque l’importance du mors puis de l’étrier inventé il y a 2500 ans, sans doute par les peuples des steppes. Un autre article s’intéresse à la selle. Christian Grataloup souligne ensuite la force de certaines images associées aux Indiens dans les westerns. Pourtant, les Amérindiens ne connaissaient pas le cheval avant le XVI ème siècle. C’est à cette époque que 1 000 chevaux traversèrent l’Atlantique au XVI ème siècle, dont la moitié arrivèrent à bon port. Les Indiens les chassèrent d’abord pour les manger puis « ayant constaté la pratique de la monte des colons et subi son efficacité, ils en dressèrent certains qu’ils apprirent à chevaucher. »
Observer le quotidien
Ce qui est particulièrement appréciable dans la démarche de l’auteur, c’est qu’il arrive à faire surgir du quotidien, du banal même, tout ce qu’il révèle de plus profond. Ainsi, un acte comme tondre sa pelouse pourrait apparaitre, dans le premier sens du terme, insignifiant. Christian Grataloup montre pourtant que la pelouse gazonnée est une pratique d’origine occidentale qui s’est ensuite généralisée dans le monde entier. On peut aussi citer l’entrée sur l’heure puisque jusqu’à la fin du XIX ème siècle, beaucoup d’horloges publiques, dont celles des gares, affichaient deux aiguilles des minutes, l’une pour l’heure locale et l’autre pour celle de la capitale.
Du voyage et du transport
Plusieurs articles abordent la thématique des voyages. On lira par exemple une entrée sur les portulans. On connait aujourd’hui l’importance du chinois Zhang He mais Chrisitan Grataloup souligne que « les explorations océaniques les plus oubliées sont celles des navigateurs polynésiens car il n’ y a en plus aucune trace ». L’auteur présente les trois types de cartes qui pouvaient exister. Un peu plus loin, il évoque Tasman, ce capitaine de la VOC au XVII ème siècle, qui a été le premier Européen à reconnaitre les côtes de la Nouvelle Zélande. Les résultats commerciaux de son exploration furent à l’époque jugés décevants. Christian Grataloup évoque également les deux tombeaux de Christophe Colomb car savoir où il est enterré reste un enjeu symbolique fort. L’auteur relate également comment le pousse-pousse s’est d’abord développé au Japon quand le pays s’ouvrit au XIX ème siècle. Avec l’amélioration des voies de communication, ce mode de transport se diffusa alors dans d’autres pays d’Asie.
Le dernier article nous projette vers demain et pose la question de la langue impériale. L’interrogation finale se demande si on peut envisager avec la traduction automatique et la reconnaissance vocale la fin de l’impérialisme linguistique au risque d’une dépendance technologique.
Ce recueil de chroniques de géohistoire éclaire donc de façon originale notre quotidien et certaines de ses pratiques. Il invite surtout à ouvrir l’oeil pour découvrir derrière ce qui peut parfois sembler le plus évident la marque d’une histoire mondiale.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes