Si le paysage reste l’un des thèmes classiques de la géographie, les géographes l’étudient aujourd’hui entre permanence et rupture, à la croisée du patrimoine au sens large et des changements climatiques. La géographie des productions alimentaires s’inscrit aussi dans la longue durée mais elle trouve autant sa place, souvent à partir des combinaisons savantes élaborées par les hommes en transformant l’espace et en l’adaptant à leurs besoins, dans les productions variées qui donnent odeurs et saveurs à la diversité culturelle contemporaine. Elle est ainsi partie d’une géographie sensorielle qui contribue à définir les contours d’une collectivité ou d’un groupe humain.
Jean-René Trochet, spécialiste de géographie historique, s’intéresse aussi aux différents types d’architecture de la sphère rurale. Guy Chemla, directeur de recherche, a pour domaine de recherches l’aménagement et urbanisme, le développement des territoires mais aussi l’urbanisme commercial. Enfin, Vincent Moriniaux, maître des conférences à la Sorbonne est un ancien étudiant de Jean-Robert Pitte. Tous trois dirigent cet ouvrage. La tâche s’annonce rude puisque ce livre a pour objectif de mettre en évidence les différentes facettes de la carrière de Jean-Robert Pitte.
Ce dernier, géographe français, est actuellement président de la Société de Géographie, professeur émérite et ancien Président de l’université Paris-Sorbonne. Auteur prolifique, il s’intéresse particulièrement au paysage et son histoire mais aussi à la gastronomie et au vin français et à la géographie de l’alimentation en général.
Variétés paysagères
Evoquant les objets fossiles intégrés dans des paysages et des systèmes géographiques contemporains (vestiges de voies romaines, de guerres mondiales…) mais aussi la place du militaire dans le paysage français (ex : les forts Vauban) cette première partie fait part belle aux nuances paysagères. « La notion de paysage naît du besoin de maîtriser le terrain de manière structurée et consciente… » (p. 118) Tous ces articles rendent hommage et connectent avec le parcours de J-R. Pitte, « Quel axe choisir qui s’inscrive fidèlement dans son œuvre, tout en permettant au modeste contributeur d’apporter sa propre pierre ? » se demande Sylvie Brunel en introduction de sa contribution Un paysage construit…et menacé, la Camargue. L’article de Jean-Pierre Husson, Le potager, bel objet géographique, rend hommage à J-R. Pitte en valorisant le lien entre paysage, alimentation et espace social : Le potager est à la fois surface nourricière, espace intime et également lieux ouverts sur les autres.
Des vignes et des vins
A la lecture de l’entretien de J-R. Pitte, on comprend aisément que l’homme est un bon vivant et que ses recherches sur les espaces viticoles sont motivées. Construit comme une étude de cas la publication d’Henri Rougier peut intéresser les professeurs du secondaire en ce qui concerne l’étude des espaces productifs. Le deuxième article de cette partie est une étude comparative (en France et en Allemagne) des aménagements et mises en scène des parcelles (et donc des paysages) vitivinicoles. C’est avec la Tequila que Vincent Marcilhac nous entraîne dans la patrimonialisation mexicaine de cette boisson, contribution qui pourrait être réutilisée par les candidats des concours de l’enseignement pour le sujet sur le tourisme. Enfin, cette partie est conclue par un voyage en Chine, dans une « ville internationale de la Vigne et du Vin », Yantai. Guillaume Giroir propose là une analyse du Bordeaux de futur (et de ses châteaux !), surnommé le « Bordeaux oriental ».
Géographies culinaires
En proposant toujours des exemples très actualisés avec pour exemple Le développement des food trucks à Paris ce chapitre s’intéresse via un objet alimentaire à la géographie. Dans pour une géographie des sauces au vin Raphaël Schirmer propose une analyse des sauces au vin dans la géographie et particulièrement dans la restauration américaine ! On apprend aussi dans cette partie que la bergamote de Nancy est l’unique bonbon (à ce jour) à avoir reçu une IGP (indication géographique protégée). L’impression d’être dans un livre de recette se fait encore plus fort lorsque sont abordés les Cuisines de la mer…par Alain Miossec : « La cuisine à base de morue et sans doute la plus fascinante. Ce poisson, honni longtemps à cause de l’huile que l’on tirait de son foie, méprisé il y a quelques décennies si l’on en juge par le prix qu’il valait sur les marchés, est devenu un des poissons les plus chers, pas en tant que cabillaud frais mais en tant que morue séchée. » Le dernier article de cette partie, signé de Paul Claval, rends compte du surprenant croisement entre le canard de Barbarie et d’une cane pékinoise qui permet d’obtenir un fois gros mais rend stérile l’animal.
L’alimentation : entre histoire, cultures et sociétés
Elisabeth Crouzet-Pavan nous propose tout d’abord un article étoffé qui traite du cannibalisme. Basé sur des témoignages : « En de nombreux endroits, cette faim atroce poussait à consommer non seulement des animaux immondes ou des reptiles mais aussi la chair d‘hommes, de femmes ou d’enfants : on ne respectait rien, pas même les liens de parenté. » (1005, d’après Adhémar de Chabannes, cf. bibliographie dans le livre) l’auteur évoque le Moyen-Age, et en particulier la société judéo-chrétienne. Jean-Pierre Poulain explique le concept d’« espace social alimentaire » et détaille sa méthodologie d’analyse. En quoi diffère le « manger protestant » du « manger catholique » au XVII et XVIIIe siècle ? Dennis Crouzet nous donne des éléments de réponse avec sa contribution Fantasmes alimentaires dans le temps des guerres de Religion. Sont aussi abordés dans cette fraction du livre l’art du toast à l’arménienne, les alcools et boissons Hawaïennes, le riz à Taïwan et enfin la gastronomie philippine riche d’échanges et d’influences du monde entier.
Géographies sensorielles
Dans le premier article de cette partie rédigé par Alan R. H. Baker ce dernier déplore que « The sounds of places -soundscapes- remain a relatively neglected field of geographical enquiry. L’article, en anglais, évoque le paysage sonore français. Valérie Gelézeau propose une lettre ouverte à Jean-Robert Pitte où elle vante les qualités qui constituent la beauté coréenne. Une petite géographie de l’œuvre de Berlioz (Jean-Pierre Bartholdi) traite de géographie imaginaire et donc, sensorielle au sein du travail du compositeur. Le tout est illustré par une une carte schématique (pages 558-559). Enfin, Une étude comparative est menée sur les exemples de Saint-Tropez et de Mykonos par Olivier Etcheverria. Cette étude se positionne sur une perspective culturelle : le paysage et l’atmosphère gastronomique.
Kaléidoscope japonais
Plus récemment dans sa carrière, Jean-Robert Pitte, s’intéresse à L’Asie et plus particulièrement au Japon. Dans cette partie du livre part belle est donnée à cette région du monde. Ainsi, La gastronomie, le vin, la culture et les paysages japonais sont commentés. Le second article, les plus grandes villes du Japon et le système urbain japonais du point de vue des sièges sociaux et des succursales des grandes entreprises privées en 2010, ne manquera pas d’intéresser les géographes urbains.
Ce livre est un magnifique objet. En effet, la qualité d’impression et du papier est indéniable. Le contenu scientifique est d’une diversité incroyable et peut intéresser tout type de public. En tant que professeur du secondaire, l’utilisation de ce recueil peut se faire dans de nombreux thèmes de géographie au collège et lycée.
Il s’agit là d’une jolie photographie de l’impressionnante carrière de Mr Pitte. L’un de mes professeurs à l’Université avait pour habitude de dire que seul Jean-François Gravier (Paris et le désert français) resterait dans les mémoires de la géographie française, et pas uniquement pour des bonnes raisons. A la lecture de ce titre, j’aimerais lui répondre que Mr Pitte est probablement sur cette liste lui-aussi, et que de part son influence il a ouvert de nombreuses portes pour les jeunes géographes et la géographie française en général.