Des dictionnaires, la Cliothèque en a vu défiler (migrations, environnement, analyse spatiale, géographie « générale » bien sûr). Mais celui-ci apparaît d’emblée particulier de par l’opposition entre les deux termes clés de son titre : comment un objet a priori rugueux comme la modélisation urbaine pourrait-il être vu comme passionnel par ses praticiens et les futurs lecteurs que ceux-ci cherchent à intéresser ?
Sortir de la rigidité des publications scientifiques en adoptant une forme grand public (références en notes de bas de page – très variées d’ailleurs – sans bibliographie finale, présence d’illustrations signées Elsa Hieramente) et un langage compréhensible qui dépasse le jargon techniciste des disciplines, tel est l’objectif du précieux contenu rédigé par quinze auteurs, géographes, psychologues, politologues, ingénieurs dans différentes spécialités et dirigé par trois d’entre eux, Céline Bonhomme, Hadrien Commenges et José-Frédéric Deroubaix.
Libérés, délivrés du quotidien des rencontres avec les pairs qu’il faut convaincre et les décideurs qu’il faut séduire, les auteurs « se lâchent » pour exposer les coulisses de leur métier et prouver son « utilité » (p 215). Et c’est sous l’angle de la confession honnête qu’ils nous disent « qu’un modèle n’invente rien et n’a fait que traduire ce que nous lui avons mis dans le ventre » (p 69) ; qu’en suivant Lévi-Strauss « le modélisateur apparaît comme un bricoleur déguisé en ingénieur » (p 42) ; que les décideurs, à l’image du Kâma Sûtra, piochent dans des « catalogues de bonnes pratiques » (p 137).
C’est que la donnée elle-même a ses faiblesses : de par l’appareil de mesure qui l’a récolté, de par sa représentativité spatiale (où exactement a-t-elle été prélevée ?) et temporelle (quand ? un jour avec ou un jour sans ?). Et pour les catégorisations ? Si elles sont trop stables, les nouveautés s’en vont dans le résiduel (cas du secteur tertiaire dans la classification de Colin Clark). Si elles sont trop changeantes, on ne peut mesurer des évolutions. Si elles sont trop hétérogènes, on risque des mises en équivalence abusives. On le comprend aisément, le sujet lui-même n’est pas facile à appréhender et à délimiter, d’où une domination d’entrées sur « l’aide à la décision », « l’erreur », « la confiance », « l’incertitude », « l’intuition »…
Les enseignants en retireront des explications claires sur la « prospective » (p 167), nouveauté des programmes qui a laissé de nombreux professeurs de cycle 3 dans l’incompréhension. En résumé, la prédiction évoque un futur sans raisonnement sur le présent. La prévision évoque un avenir probable basé sur les observations du présent. La prospective présente des scénarios alternatifs s’appuyant sur des prévisions. Elle ne cherche pas à prédire l’avenir, juste à aider à le construire.
Les illustrations n’apportent pas toujours grand chose sur le fond et on aurait pu souhaiter, ça et là, quelques graphiques ou schémas pour justement illustrer certains concepts parmi les moins évidents à cerner. Côté textes, il y a là aussi de grandes variantes selon les rédacteurs. Certains s’en sont tenus à une présentation assez neutre, voire austère des entrées dont ils avaient la charge, d’autres, la majorité, sont, au contraire, vraiment partis dans des divagations particulièrement délicieuses ! Convoquer Monsieur Jourdain, Steven Seagal et Sisyphe pour définir la géographie n’est pour le moins pas banal…
Les spécialistes de la question souriront certainement de voir leur quotidien ainsi dépeint, les autres se délecteront du raffinement linguistique de cet exercice de vulgarisation particulièrement réussi. Et en prime, un nouvel éditeur, l’Oeil d’or, dont nous suivrons désormais les annonces de parution.