Afin de donner un peu de hauteur à l’histoire des hommes et des femmes, quoi de mieux (et de plus simple ?) que de lever les yeux vers le ciel étoilé, par une belle nuit d’été ?

En effet, plonger les yeux vers cette obscurité scintillante, c’est regarder loin… dans le passé. C’est dans ce rêve de tout historien qu’Hubert Reeves nous entraîne au cours d’une discussion nocturne avec sa petite-fille.
On ne présente plus Hubert Reeves, astrophysicien franco-québécois passé maître dans l’art de diffuser la connaissance de la cosmologie actuelle. En effet, chacun de ses ouvrages réalisent le tour de force d’exposer clairement et simplement l’histoire de l’univers et des grandes théories astrophysiques.
Dans ce petit livre, Hubert Reeves, entraîné par l’insatiable curiosité de sa petite-fille, tente de questionner la voûte céleste et de dissiper quelque peu le halo de mystère qui entoure le cosmos.
Ainsi, au gré des observations du ciel étoilé et des questions de sa petite-fille, à grand renfort de métaphores et de petites histoires, Hubert Reeves évoque successivement les étoiles, le soleil, l’histoire de l’univers, puis de la vie et s’interroge sur les nombreux mystères qui hantent les cosmologues, l’énergie sombre et la matière noire, l’avenir de l’univers.

Nous sommes des poussières d’étoiles

C’est quasiment devenu le slogan poétique d’Hubert Reeves et le titre d’un de ces très grands ouvrages destinés au grand public et paru pour la première fois, en 1984, qui ouvre ce petit ouvrage.
Comment des astres si lointains auraient-ils un quelconque rapport avec notre existence ?
C’est dans l’infiniment petit que se niche la réponse et l’indéfectible lien qui nous unit à elles. En effet, les atomes nécessaires à la vie, oxygène, carbone, fer, azote, ont été forgés dans ces cœurs stellaires, il y a des milliards d’années. Il a ainsi fallu, pour que nous naissions, que des étoiles naissent, vivent et meurent en expulsant, dans la froideur et l’obscurité du cosmos, ces précieux atomes nés de la fusion nucléaire des forges stellaires.
La clé de cette connaissance généalogique ? La lumière. C’est elle qui nous permet, par les informations qu’elle transporte, de connaître la composition des astres lointains.

Notre soleil, une étoile ordinaire perdue dans la banlieue de la Voie Lactée

Ces atomes qui nous constituent et ces étoiles d’où ils proviennent nous racontent également l’histoire et le futur du soleil, une étoile ordinaire. La découverte de la radioactivité a permis d’évaluer l’âge du soleil à 4,5 milliards d’années…
Celui émet de l’énergie de manière continue depuis ce temps-là sans jamais fléchir, ce sont les bienfaits de la fusion nucléaire contrôlée qui consomme de l’hydrogène et le transforme en hélium qui, plus tard se transformera en azote, oxygène et carbone, les atomes de la vie…. Le Soleil peut briller ainsi durant près de 10 milliards d’années.
Le Soleil serait né dans une « pouponnière d’étoiles », une gigantesque nébuleuse de gaz et de poussières qui se serait effondrée sous son propre poids et la force de gravité aurait fait le reste…
Et si le Soleil a un âge et donc une histoire, l’Univers également.

L’Univers a une histoire, un passé et un avenir

L’idée d’histoire de l’Univers est assez récente, elle date du début du XXème siècle. Elle a pu éclore grâce aux observations d’Edwin Hubble, astronome, remarquant que les galaxies s’éloignaient les unes des autres, il en conclu alors que l’Univers était en expansion et grâce à la théorie de la relativité d’Einstein que l’Univers était en voie de refroidissement.
Mais le concept d’histoire n’a pris forme qu’avec le chanoine Georges Lemaître qui a eu, en 1930, l’idée de remonter le film à l’envers. Si l’Univers est en expansion et se refroidit, c’est qu’avant, dans le passé, il a pu être plus chaud et plus dense, tel un atome primitif, ce sont les premiers pas de la théorie dite du Big Bang.
Cependant cette théorie restait encore à vérifier de manière scientifique. Tel un archéologue, un astrophysicien russe, George Gamow, eut l’idée de rechercher le rayonnement fossile du Big Bang. En effet, si l’Univers était chaud et dense « au départ », il émit forcément de la lumière, lumière primitive dont il pourrait rester des traces sous forme d’ondes radio.
Ce rayonnement primitif venu du fin fond des origines fut découvert par hasard par deux radio-astronomes de la compagnie Bell Telephone, en 1965. Il confirmait alors la théorie du Big Bang selon laquelle l’Univers n’a pas toujours été semblable à ce qu’il est aujourd’hui. Il a changé, il a une histoire.
Outre ce rayonnement fossile, les vestiges de l’univers se cachent également dans les cendres de ce brasier primordial de plus d’un milliard de degré. Ces cendres sont les atomes d’hydrogène et d’hélium nés des réactions nucléaire qui ont eu lieu une minute après le Big Bang et ont encore cours au sein du Soleil.
Si l’Univers a un passé, il a donc un âge. D’après les calculs, si on passe à l’envers le film de l’expansion de l’Univers, on arrive à un âge de 13,7 milliards d’années. De plus, il n’existe pas d’atome et d’astres plus vieux que cet âge-là, dans l’Univers observable… C’est-à-dire que 13,7 milliards d’années ne constituent pas forcément l’âge de l’Univers mais le temps que les cosmologues peuvent remonter. Cet instant daté de 13,7 milliards d’années constituent donc l’horizon, pour le moment indépassable, de la connaissance cosmologique.

La nature est une écriture et la vie un roman…

Cet âge, ce temps, est-ce ce qu’il aurait fallu à la matière pour s’organiser et atteindre le plus haut degré de complexité que l’on connaisse à savoir la vie ?
On ne le sait guère, mais selon Hubert Reeves, l’organisation de la matière et l’apparition de la vie ont nécessité du temps, c’est le sens de sa jolie métaphore sur la nature et l’écriture.
En effet, telle une écriture, la matière est un assemblage de différents éléments : les quarks (éléments incassables d’après nos connaissances) sont des lettres, les protons et les neutrons sont des mots, les atomes constituent les mots utilisés par les molécules afin de former des phrases, les cellules, des paragraphes….Et, au final, la vie, un roman…
Cependant, le moment et les conditions d’apparition de la vie sur Terre échappent encore aux scientifiques. Elle serait apparue sur Terre après la naissance du système solaire, voilà 4,5 milliards d’années et avant 3 milliards d’années, âge des plus vieilles traces de vie microscopique, les stromatolithes, qui auraient permis de créer de l’oxygène à l’aide du gaz carbonique.
Cependant, il faut attendre 2 milliards d’années pour voir apparaître la vis sous la forme que nous connaissons actuellement, à savoir différentes associations de cellules dont on dénombre deux cent variétés.
L’intelligence humaine est alors le fruit d’une combinaison de ces cellules.
L’intelligence humaine constitue-t-elle le sommet de l’échelle de la complexité de la matière dans l’Univers ?
Cette combinaison a-t-elle pu se produire ailleurs dans l’Univers ?

Pourquoi le chaos s’organise-t-il ?

« Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » se demandait le philosophe Leibniz au XVIIème siècle ?
Existe-t-il un grand horloger ayant agencé ces rouages de la vie comme le supposait un Voltaire, par exemple ?
Hubert Reeves est ici contraint de capituler devant la puissance de la curiosité enfantine. La matière est née du jeu des forces identifiées par la physique, les forces de la gravité pour les astres, de l’électromagnétique pour les atomes et molécules, et les forces nucléaires pour les protons et noyaux atomiques.
Cependant, selon Hubert Reeves, la chaîne des « pourquoi ? » reste sans fin.
Malgré tout, un paradoxe intrigue, l’Univers change, est en mouvement, alors que les lois qui semblent le régir, elles, paraissent immuables et
Plus curieux encore, ces lois semblent avoir permis le développement de propriétés propres à l’émergence de la vie…. En clair, si on modifiait les paramètres de l’Univers primordial (la température, par exemple), les étoiles n’auraient pu se créer ou fabriquer l’atome de carbone (brique essentielle de la vie), ou l’hydrogène se serait entièrement transformée en hélium sans jamais pouvoir participer à l‘élaboration de l’eau…
La cosmologie se fait alors spéculative et imagine un multivers, c’est-à-dire la possibilité d’univers multiples possédant chacun des lois physiques différentes. Ainsi, certains auraient la « recette fertile », et d’autres, non.

Mais pour Hubert Reeves, on s’écarte ici de la science et il préfère se dire qu’il est tout simplement possible que les projets de l’Univers, son « pourquoi ? » reste hors de portée du cerveau humain comme peut l’être la géométrie pour un chat…

Les zones d’ombres de l’Univers et les secrets encore bien gardés de la matière…

L’Homme et la science ne sont pas omniscients et la modestie doit être de rigueur selon Hubert Reeves.
Ainsi, les zones d’ombres de la cosmologie surpassent de loin les zones de lumières, pire, on ne connaîtrait que 4% de ce qui constitue l’Univers !
En effet, en calculant la masse de toutes les étoiles de la Voie Lactée, les cosmologistes se sont rendu compte qu’il manquait de la matière pour les maintenir tous ensembles dans ce ballet galactique. En clair, on ne verrait que 4% de la matière, le reste nous serait invisible. C’est ce qu’on a nommé la matière sombre ou la matière noire. Cette matière exotique ne serait pas constituée de protons, neutrons, électrons et photons et n’interagirait pas avec la lumière. Elle représenterait 24% de l’Univers.
Le reste ? Il serait constitué de l’énergie sombre.
Cette énergie sombre expliquerait l’accélération de l’expansion de l’Univers. En effet, si le Big Bang avait déclenché la gigantesque expansion de l’Univers, la force de gravité aurait dû, à terme, ralentir cette expansion. Or, il n’en est rien. De ce constat est née l’hypothèse de l’énergie sombre comme force répulsive des galaxies.
Ainsi donc, le vertige nous prend lorsqu’on se rend compte que 96% de l’Univers échapperait à notre connaissance…

L’avenir de l’Univers, entre Big Chill et Big Crunch ?

Pour le scientifique qu’est Hubert Reeves, il est impossible de prédire l’avenir de l’Univers. Cependant, en partant de la théorie du Big Bang et avec quelques précautions, il est possible d’esquisser deux scénarios de l’évolution de l’Univers que décrit l’aventure d’un caillou qu’on aurait lancé en l’air…
Soit l’Univers continue son expansion et les galaxies s’éloignent inexorablement les unes des autres, l’Univers se dilue alors et se refroidit jusqu’à atteindre le zéro absolu, c’est le scénario du Big Chill.
Soit l’impulsion initiale du Big Bang est insuffisante et les galaxies reviennent alors vers elles-mêmes en sens inverse et la température de l’Univers retrouverait les hauts degrés du Big Bang dans un Big Crunch…
Ces deux scénarios sont possibles d’après la théorie de la relativité générale, mais c’est selon toute vraisemblance l’énergie sombre qui détient la clé du destin de l’Univers, d’après Hubert Reeves pour qui notre avenir, c’est d’abord le défi du réchauffement climatique…

Conclusion : Desserrer l’étreinte de l’anthropocentrisme

Au travers de ce petit livre aux allures modestes, Hubert Reeves nous entraîne aux confins de l’Univers tutoyer les frontières de la connaissance scientifique des cosmologues.
Cette plongée dans l’incommensurabilité de l’Univers nous renvoie cependant à nous-mêmes, à nos doutes mais surtout à nos certitudes et nous poussent à réévaluer le sens de nos existences aux finalités trop souvent étriquées ainsi qu’à la réelle puissance du savoir scientifique.
Car c’est bien de la science et de son statut dont il est question dans cet ouvrage. La théorie scientifique doit toujours être expérimentée et surtout prouvée par les observations et les mathématiques, c’est un des messages que nous martèle Hubert Reeves.
L’autre grand message qu’il souhaite nous délivrer est que l’Univers a une histoire, que cet Univers est une aventure à laquelle nous prenons, très modestement, part. Cette histoire de l’Univers, selon Hubert Reeves, est celle de l’avènement de la complexité et notamment de l’intelligence et de la conscience.
De ce que nous savons, l’apparition de l’intelligence sur une petite planète gravitant autour d’une modeste étoile, marque une étape importante. Ce sur quoi Hubert Reeves souhaite nous interpeller, c’est comment l’intelligence, de bénéfique est devenue problématique, comment résoudre cette ambivalence de l’intelligence ?
Sommes-nous arrivés à un nouveau seuil de cette histoire de l’Univers ?
Comment l’intelligence se frayera-t-elle un chemin ?
C’est sur ces questions que nous laisse méditer, sous la voûte étoilée d’une belle nuit d’été, le cosmologue-philosophe, Hubert Reeves…

Quel est l’intérêt pour l’enseignant d’histoire-géographie ?
L’historien et l’enseignant, qui ont toujours besoin de plus de recul pour comprendre les sociétés humaines, trouveront sans aucun doute, dans la cosmologie, la hauteur de vue nécessaire pour réévaluer les gesticulations humaines sur ce petit caillou dérivant dans l’immensité et l’obscurité du cosmos.
Enseigner la cosmologie dans le secondaire aurait peut-être le salutaire bénéfice, pourquoi pas, de réenchanter le savoir, de redistiller un brin de plaisir dans l’acte d’apprendre et d’évader les élèves, pour quelques instants, de leur quotidien matérialiste.
Pour ma part, j’ouvre mes années scolaires par un petit cours de cosmologie afin de replacer l’histoire de la vie, puis de l’Homme, dans une perspective plus large. C’est assurémment le cours préféré des élèves, une envie de savoir qui ne demande qu’a être satisfaite.
Le relativisme a aussi une dimension civique non négligeable, difficile peut-être à faire passer dans le contexte de notre société actuelle, mais la cosmologie possède ce puissant atout de mêler raison, science et imaginaire, un cocktail délicat que chaque enseignant de ne cesse de vouloir reproduire à chaque heure de cours.