Vivre pendant une année 100 % Français ! Le slogan et le projet sont accrocheurs surtout depuis que cette thématique a été le leitmotiv d’un ancien ministre du redressement productif puis de l’économie comme le médiatique Arnaud Montebourg. Ce documentaire diffusé sur Canal Plus en mars 2014 avait connu un écho certain et la chaîne communiquait d’ailleurs sur le fait qu’il avait fait une audience de plus d’un million de spectateurs.

Une aventure personnelle

Benjamin Carle est donc un jeune homme de 25 ans qui d’une certaine façon décide de prendre au mot le ministre pour voir si une telle chose est réalisable. Il nous entraîne dans son périple. Sans jouer l’ultra naïf, il prend les problèmes les uns après les autres, ce qui crée un ton intimiste et entrainant. A plusieurs reprises, il rencontre des experts comme Charles Huet, auteur d’un guide des produits, ou encore le journaliste Philippe Manière. En amorce du film, Benjamin Carle demande donc une expertise qui fait apparaître que seulement 4,5 % de ses biens recensés sont d’ « origine France garantie » ! Ce début de film est réellement accrocheur et donne envie de rester devant : des adolescents l’ayant aperçu sont restés devant pour suivre ses aventures.

Avant tout, expertiser

Au départ, il se fait donc « expertiser » pour voir où il en est. Il faut déjà partir de la définition « origine France garantie » car on s’aperçoit de suite qu’elle signifie que le produit concerné a pris plus de 50 % de sa valeur sur le territoire français. Cela montre tout de suite qu’une marque française peut ne pas obtenir ce label et qu’à l’inverse une étrangère peut l’être ! Pour conquérir des marchés, Renault s’installe partout dans le monde, mais communique sur sa fabrication « made in France » : sacré paradoxe quand on sait que le total des voitures produites en France par le constructeur ne représentent que 18 %.

Une sacrée hygiène de vie !

De façon radicale, il fait donc disparaitre ce qui n’est pas certifié : son appartement parait alors bien vide. Ensuite commence donc son périple pour tenter de passer en « mode français ». Le film est agréablement ponctué de petits effets de mise en images comme l’apparition de petits drapeaux qui montrent les provenances de tel ou tel objet. Benjamin Carle s’impose donc trois règles de vie : conserver uniquement des biens produits en France, ne pas utiliser de produits étrangers et réaliser l’expérience avec 1800 euros par mois, c’est-à-dire le salaire médian à Paris.

S’habiller français ?

Il se trouve confronté à des problèmes basiques, mais ô combien essentiels. Dans un premier temps, pas moyen de trouver un pantalon ! il faut aussi accepter de vivre une année sans jean. Les prix français sont aussi beaucoup plus élevés et nos habitudes de consommation nous portent rarement à débourser 35 euros pour un tee shirt. Benjamin Carle distille quelques informations en rappelant par exemple qu’il y avait un million d’emplois dans le textile en 1980 en France, mais 100 000 aujourd’hui. Une des explications, c’est évidemment le cout de la main d’oeuvre. Il part en direction de Limoges pour examiner une des dernières usines qui a trouvé comme piste de réduire le nombre d’intermédiaires.

Un appartement peu équipé

Dans le domaine de l’électroménager, le constat est assez terrible. Il n’est pas possible d’avoir un réfrigérateur français et il décide donc de s’en passer, ce qui l’oblige à faire des courses alimentaires régulières, à les conserver sur son rebord de fenêtre et l’oblige à prier pour que la température extérieure ne soit pas trop élevée ! La copine de Benjamin commence à trouver l’expérience un peu limite et elle obtient le droit d’avoir son petit réfrigérateur… Il est difficile de savoir aussi ce que l’on mange. C’est un peu la jungle pour arriver à lire les étiquettes, ou alors cela devient un travail à plein temps.

Se faire beau, oui mais comment ?

Il n’existe plus qu’un seul fabricant français de brosse à dents ! Pas question non plus d’utiliser un rasoir électrique. Pour le reste de la salle de bains, Benjamin Carle est obligé de changer beaucoup de ses habitudes et il se frotte avec le savon de Marseille car, là aussi, le choix est plus que réduit. Au passage, sachez qu’il n’existe pas de coupe ongles français !
Partant sans cesse du concret, du détail, Benjamin Carle nous oblige à nous poser quelques questions essentielles. Si on veut pousser encore plus loin l’expérience, il faut donc aussi écouter uniquement des chanteurs qui chantent en français, ce qui peut conduire à une écoute intensive de Céline Dion.

Travailler français

Benjamin Carle s’attache ensuite à la question sensible du travail. Les emplois de service étaient jusque là préservés, mais la situation est déjà en train de changer : 30 % est aujourd’hui potentiellement délocalisable. A travers un exemple à Casablanca, on comprend bien que cela est possible et existe déjà. On pourra aussi visionner les suppléments du DVD qui s’intéressent à des filières précises (charentaises, accordéon ou encore l’indépendance numérique).

Une approche mesurée

Il faut souligner que ce documentaire n’est pas un plaidoyer stérile sur « vivons français », car Benjamin Carle dit bien qu’il a besoin de produits issus de la mondialisation. Cela est d’autant plus vrai qu’on apprend à un moment qu’il n’a pas fait une croix sur ordinateur et téléphone portable, ce qui est un peu étonnant par rapport à son projet. Il finit par s’en séparer d’une façon un peu définitive ! Il interpelle aussi le consommateur que nous sommes sans jamais être vindicatif ou culpabilisateur.« La France a un problème avec la mondialisation, la mondialisation n’est pas le problème ». Cette formule médiatique de Philippe Manière contient tout de même beaucoup de vrai.

Appuyer là où ça fait mal

Ce Benjamin Carle a aussi l’art de mettre le doigt sur des points grinçants : une armée française qui roule avec des pneus tchèques ou une éducation nationale qui sous-traite certains de ses gros projets à des entreprises qui les sous-traitent à l’extérieur ! Que dire aussi de la Poste équipée avec des scooters commandés à Taiwan. L’Etat est donc loin de jouer le jeu du 100 % français ! On pourra, dans le cadre du chapitre de première de géographie sur « la France dans la mondialisation », utiliser des extraits de ce documentaire pour faire comprendre les liens entre un pays et un système économique.

Voici donc un film à la fois très agréable à suivre, inventif, informatif et parfois plein de surprises. Il ne cède jamais à un populisme facile et souligne plutôt par petites touches ce qu’est notre monde actuel. Il refuse toute solution simpliste en rappelant que la France a exporté 434 milliards d’euros de biens l’an dernier : comment imaginer fermer les frontières dans ces conditions ?

© Jean-Pierre Costille Clionautes.