Josepha Laroche, Professeure de sciences politiques à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste des relations internationales, propose l’étude d’un corpus de vingt films portant sur la Première Guerre mondiale.
L’introduction présente la démarche de Josepha Laroche. Celle-ci explique avoir écarté les films qui utilisent la guerre comme « toile de fond » (p. 26-27), la guerre comme « contingence » (p. 27), la guerre comme « aventure » (p. 27-28), la guerre comme « thriller » (p. 28) et la guerre comment « moment spectaculaire (p. 28-29). L’auteure a retenu vingt films tous considérés comme dénonçant les horreurs de la guerre. Ceux-ci sont classés en deux catégories. La première catégorie présente les films qui désacralisent le patriotisme (p. 37-90). Cette catégorie est elle-même divisée en deux sous-catégories : une qui rend compte d’un processus de déshumanisation des soldats vécu sur le mode du drame (Les sentiers de la gloire de Kubrick, King and country de Losey, Johnny s’en va-t-en guerre de Trumbo, La vie et rien d’autre/Capitaine Conan de Tavernier, Les fragments d’Antonin de Le Bomin) et l’autre qui montre ce processus sur le mode de la comédie (Charlot soldat de Chaplin, Buster s’en va-t-en guerre de Keaton et Sedwick, La Grande guerre de Monicelli, La victoire en chantant d’Annaud). La deuxième catégorie présente les films qui révèlent le processus de brutalisation des soldats (p. 91-141). Cette catégorie est elle aussi divisée en deux sous catégories : une qui montre la réitération des guerres (La grande parade de Vidor, Verdun. Visions d’histoire de Poirier…) et celle qui manifeste l’impuissance du pacifiste (Quatre de l’infanterie de Pabst, À l’Ouest rien de nouveau de Milestone, Les Croix de bois de Bernard, Les hommes contre de Rosi). Le plan d’ensemble propose donc une véritable démonstration. Il justifie le sous-titre de l’ouvrage : « Un pacifisme sans illusions ». Auteure d’un ouvrage intitulé La brutalisation du monde : du retrait des États à la décivilisation (à voir : http://www.dailymotion.com/video/x12krsv_josepha-laroche-la-brutalisation-du-monde-du-retrait-des-etats-a-la-decivilisation_school), paru aux éditions Liber en 2012, Josepha Laroche illustre sa thèse selon laquelle l’affaiblissement des États conduit à un retour des visées destructrices et à une néantisation progressive des individus qui ne peuvent s’y opposer. L’ouvrage fondateur de George L. Mosse, intitulé De la Grande guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes (traduction française : éditions Hachette, 1999) sert de fondement à cette interprétation. Comme Laurent Véray, historien du cinéma, l’a récemment rappelé (http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/07/25/la-grande-guerre-un-prisme-pour-parler-au-cinema-des-dangers-contemporains_4462955_3246.htm), la Grande Guerre reste un excellent prisme pour évoquer les problèmes contemporains.
Josepha Laroche propose une réflexion à partir de films de différentes nationalités (américains, italiens…) et de différentes temporalités (immédiat après guerre, années 1990…). Son hypothèse est que la transposition est créatrice de sens. Les films ne se contentent pas de montrer, de décrire les horreurs de la guerre pour les déplorer. Ils ne se contentent pas davantage de livrer une analyse politique. Ils restituent la dimension émotionnelle de la guerre subtilement inscrite dans l’embrasement politique international. Le pouvoir évocateur de l’image est mis au service d’une compréhension empathique du conflit. La mise en scène de personnages anonymes permet l’identification. Paradoxalement, cette identification que suscite l’image permet la distance qui invite au pacifisme.
Josepha Laroche livre un ouvrage clair et accessible à tous. Le style adopté par l’auteure est précis et imagé. Il plonge le lecteur dans l’atmosphère du film, en faisant régulièrement usage de citations intégrées à la narration. Si l’introduction prend la forme d’un essai, l’ensemble est davantage un instrument de travail qu’une étude sur la manière dont les cinéastes se sont représentés et ont représenté le premier conflit mondial. Josepha Laroche analyse chacun des vingt films en autant de courts chapitres de structure identique. Tout d’abord, elle présente les conditions de réalisation du film et l’intrigue générale. Puis elle soulève une question d’ordre sociopolitique contemporaine. Par exemple, Les sentiers de la gloire posent la question de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Enfin, l’auteure mentionne des précisions biographiques, historiques et littéraires qui illustrent ses analyses. La démonstration d’ensemble est stimulante. Mais on peut regretter l’absence d’une conclusion générale offrant une mise en résonnance des différents films retenus. Cette absence risque de susciter chez le lecteur trop pressé une approche banalisée de ces films comme si, finalement, seule leur succession importait. Or, chacun illustre une problématique et une forme cinématographique du pacifisme.
Aussi cet ouvrage intéressera-t-il d’abord les enseignants qui illustrent leurs séquences sur la Première guerre mondiale et la mémoire du conflit par des extraits de films. Il permettra de préparer une séquence, un questionnement sur chacun des films présentés dans l’ouvrage. Mais l’ouvrage intéressera également tous les passionnés d’histoire militaire et plus particulièrement de la première Guerre mondiale. Mais il peut être utilement complété par l’ouvrage de Laurent Véray, La Grande guerre au cinéma : de la gloire à la mémoire, paru en 2008 aux éditions Ramsay.

Jean-Marc Goglin