CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

A rebours des idées reçues qui circulent sur la mondialisation en France (ex : « elle serait responsable des délocalisations »), les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), sur la base d’une enquête menée pendant 5 ans auprès de 500 entreprises en Amérique du Nord, Europe et Asie, montrent que la mondialisation ne condamne aucun secteur économique à l’extinction. Ils font le constat que les voies menant à la réussite pour une entreprise sont complexes et qu’il ne suffit pas de délocaliser pour réussir.

Suzanne Berger est professeur de science politique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge, aux Etats-Unis. Elle y dirige l’International Science and Technology Initiative. Elle a précédemment publié en français Notre première mondialisation. La République des Idées. Seuil, 2003, et Made in America, dir. Michael L. Dertouzos, Robert M. Solow et Richard K. Lester, Paris, Interéditions, 1990. Lors de sa venue en France, ce printemps, elle a donné une conférence à l’ENS de Lyon. Pour lire une interview de l’auteure : http://www.seuil.com/contenu/entretiens/berger.pdf

La chasse aux idées reçues

Les titres de la presse américaine ou française mettent l’accent sur les délocalisations. Ils répondent en cela aux attentes (aux angoisses) de leur lectorat. Pourtant, d’après les chercheurs du MIT, il semble que chaque emploi délocalisé soit créateur de deux autres emplois aux Etats-Unis. La baisse du coût des ordinateurs fabriqués à l’étranger a généré une hausse de la productivité et un gain de 230 milliards de $ pour le PIB américain entre 1995 et 2002. Les délocalisations ne provoquent que 2% des licenciements. La part de ceux provoqués par l’introduction de nouvelles technologies est bien plus importante. C’est la conséquence de l’augmentation de la productivité. De plus, il est important de ne pas oublier que ces pays à bas salaire sont aussi des marchés à conquérir pour les entreprises occidentales. La part de ces pays dans le PIB mondial va s’accroître avec l’augmentation progressive du pouvoir d’achat de leurs habitants. Il y a donc un enjeu économique important à s’implanter dans ces pays.

Les forces de l’économie internationale

Tout tourne autour du concept de modularisation de la chaîne de production. En confiant les différentes parties de la production à des sous-traitants (basés à l’étranger ou pas), les entreprises peuvent lancer de nouveaux produits très rapidement. Il n’est plus nécessaire, pour fabriquer un produit, de disposer de ses propres chaînes de production. Le cycle du produit est modifié : on peut désormais lancer un produit à l’échelle mondiale directement alors qu’autrefois, la diffusion planétaire n’avait lieu qu’après la fabrication et le test du produit dans le pays d’origine. Aujourd’hui, c’est possible grâce à la libéralisation des échanges et des flux de capitaux, la réduction des coûts de communication et de transport, la révolution informatique mais aussi l’existence d’une masse salariale d’ouvriers et d’ingénieurs dans les pays à bas salaires.
Si on retient l’exemple de l’IPOD d’Apple et son succès (fin 2004, les IPOD occupent 70% des lecteurs numériques de musique portables), force est de constater que cet objet est par excellence le produit de la modularité. Apple s’est servi de composants existants pour créer ce lecteur : mini disque dur Toshiba, lecteur de disquette Nidec, processeur ARM, carte Texas Instrument, interface USB de Cypress et mémoire flash de Sharp, le tout allié à un logiciel de gestion itunes. C’est grâce à la modularité qu’Apple a gagné son pari. Cela n’aurait pas été possible si l’entreprise avait du élaborer son propre disque dur, ses propres puces de mémoire. C’est le résultat, depuis le début des années 1990, de la mise en place de la norme MOSIS pour les composants électroniques qui les rend compatibles. Cela a eu pour conséquence la délocalisation de la production à Taiwan, par exemple, chez des fabricants contractuels. Suzanne Berger appelle cela le système de Lego.
Dans le domaine de l’automobile, c’est moins évident car la standardisation des éléments équivaut à une perte d’identité du véhicule. Dans ce domaine, les acheteurs ne doivent pas avoir l’impression d’acquérir des modèles qui se ressemblent.

Pratiques et stratégies des entreprises

On peut distinguer trois types de stratégies. Celle de Dell qui externalise la quasi-totalité de sa production à l’exception de 4’30 d’assemblage final, celle de Sony, Intel ou Zara qui fabriquent la totalité de leurs produits dans leur pays d’origine (intégration verticale), ou celle de HP qui fait fabriquer seulement certaines parties du produit à l’étranger. Ces différences tiennent à la notion d’héritages dynamiques, c’est-à-dire à l’entreprise et à ses ressources façonnées par le passé mais aussi au contexte national. La politique du moindre coût n’est pas uniquement à prendre en compte dans la compétition. La qualité, les services après vente et la réputation de la marque font la différence. Il n’y a pas de modèle type. Le modèle qui fonctionne le mieux en période de stabilité technologique n’est pas forcément celui qui l’emporte en période d’innovation radicale. Il faut aussi bien distinguer coût de fabrication et coût salarial horaire. Le salaire ne représente qu’une partie des dépenses, y compris dans une industrie fortement consommatrice de main d’œuvre comme le textile. S’il est devenu intéressant de délocaliser en Chine dans ce secteur, depuis la fin des quotas en 2005, il faut tenir compte des frais engagés par l’entreprise pour s’installer dans un pays potentiellement instable comme la Chine : paiement fréquent de « dessous de table » ; emploi nécessaire d’un système de surveillance des locaux à défaut de l’existence d’un service policier efficace ; salaires majorés des cadres, pour cause d’éloignement ; sans compter les frais engendrés par une perte de la production suite au mauvais fonctionnement de certaines machines. C’est ainsi que les lunettiers italiens se refusent à délocaliser leur production. Les ouvriers italiens (au salaire horaire très largement supérieur à celui d’ouvriers chinois) ont un savoir – faire et une connaissance de leur machine qui leur permet d’intervenir rapidement en cas de problème et sans qu’il soit nécessaire d’arrêter la chaîne de production. De plus, l’épidémie de SRAS en 2003 a montré à quel point les échanges étaient vulnérables.

Les leçons à tirer

Il n’existe pas de modèle unique. La diversité l’emporte. Ce n’est pas le secteur qui compte mais les compétences d’une entreprise. Dans un même secteur, comme le textile et le prêt-à-porter, certaines entreprises profitent de leurs points forts pour se hisser au dessus de la concurrence en jouant sur la vitesse de livraison, leur capacité de réaction à la mode. Cependant, aucun avantage n’est éternel et ces firmes devront continuer à développer de nouvelles compétences si elles veulent rester devant leurs concurrents chinois, indiens ou vietnamiens (qui sont en train de développer des compétences autre que celle de disposer d’une main d’œuvre bon marché). Pour cela, il est important de former son personnel, d’investir dans la Recherche et Développement. Prévoir ce que sera l’économie de demain est quasi – impossible. Moins d’un tiers des biens et des services utilisés aujourd’hui ont un lien avec les produits qui existaient il y a un siècle.

Cette enquête, conduite auprès de 500 entreprises sur 5 ans, est particulièrement stimulante. Elle regorge d’exemples que l’on pourra utiliser en classe avec des élèves (voir page 236, l’exemple de la fabrication de la poupée Barbie). Toutefois, le texte, dans son ensemble manque parfois de cohésion. Le plan adopté par Suzanne Berger l’amène à, très souvent, se répéter. L’exemple des 4’30 d’assemblage de l’ordinateur Dell revient à, au moins, 4 reprises dans le texte. Cela nuit à l’ensemble.

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