Agrégé de Géographie, professeur d’études urbaines à l’université de Lyon (école normale supérieure de Lyon) et fondateur de l’école urbaine de Lyon, Michel Lussault travaille spécifiquement sur les acteurs, les représentations, les discours et la production de l’espace urbain. Toujours chez Seuil dans la collection « La couleur des idées », ce livre fait suite à L’Homme spatial, L’avènement du monde dans lequel il montre que la mondialisation urbaine se manifeste par de nouvelles manières d’habiter collectivement la Terre et Hyper-Lieux où convergent les humains et les réalités matérielles et immatérielles.
Dans un prologue légèrement catastrophiste, Michel Lussault commence par repérer plusieurs altérations récentes à notre habitabilité, comme les méga-feux en Californie ou la pandémie du Covid-19. Pour lui, nous devrions en tirer des enseignements pour mieux cohabiter, ici, ailleurs, maintenant et plus tard. C’est l’objet de ce livre.
Stoppant l’Holocène, nous sommes entrés dans l’Anthropocène depuis la fin du XVIIIème siècle. Cette période consacre notre puissance terraformatrice, et notre capacité, en tant qu’espèce humaine à devenir une « force de la nature », capable de rivaliser avec les autres forces « géologiques » par ses impacts sur le système -Terre dans son ensemble. Le dérèglement climatique en serait alors une de ses conséquences. Michel Lussault parle également d’Urbanocène pour soutenir l’idée que l’Anthropocène procèderait de l’urbanisation généralisée de l’habitation humaine de la planète. Dans le cadre de la mondialisation, l’imagination géographique dominante de la World City est imposé par les opérateurs économiques relayés par les politiques, dont Dubaï, Shanghai ou Toronto sont des exemples.
Pourtant, ce modèle puissant possède en lui-même des vulnérabilités à la fois de l’habitat et de l’habitation. Mais elles sont souvent occultées par force ingénierie. Plutôt qu’opposer les habitants pour penser, réfléchir, aménager l’espace, Michel Lussault propose d’appliquer les principes du care, du géo-care définit comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre habitat et les principes de notre co-habitation, de sorte que nous puissions vivre aussi bien que possible et de façon juste avec notre écoumène. Cet écoumène comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie ». Il plaide par exemple pour une résistance éclairée à l’échelle locale contre des aménagements imposés. La correspondance est plus proche du mouvement dit du Buen Vivir (bien vivre) que de celui du NIMBY (not in my back yard).
De manière concrète, Michel Lussault propose 4 vertus du géo-care pour mieux co-habiter : considération (pour les humains et non-humains) loin de la compétition et plus proche de l’échange à un niveau égal de prise en compte / faire attention à l’environnement formant notre expérience spatiale par la dimension relationnelle / ménagement pour infléchir les politiques institutionnelle d’aménagement (topdown) en faisant du cas par cas, du sur-mesure, en partant de chaque situation « locale » de co-habitation « consituant un espace partagé d’existence au quotidien » (pour « faire avec » les habitants) / maintenance de nos habitats et de nos habitations, fragiles et soumis à l’altération. Bien sûr, ces 4 vertus sont liées et peuvent être regroupées dans les 2 « catégories » du care : to care about (considération et attention) et to take care of (ménagement et maintenance).
Michel Lussault conclut enfin par la nécessité d’une géopolitique pirate par le géo-care en promouvant nos capacités coopératives de co-habitation face à l’apologie de la puissance, de la croissance et de la concurrence compétitive. Dans une vision finalement optimiste, il nous rappelle que nous pouvons chacun exercer ces vertus en situation quotidienne d’action, « car personne ne le fera à notre place ».
Ce livre au goût de manifeste et que l’on pourrait qualifier de partisan, dont l’auteur emprunte nombre de concepts à la philosophie, à la sociologie, à l’économie, à la politique, à l’écologie,…nous rappelle combien la géographie est une science capable de décrire, d’expliquer le Monde, notamment par l’emboîtement des échelles, et même d’esquisser des solutions pour améliorer notre co-habitation dans un espace commun du local au global.