On aurait pu croire que l’institution « éducation nationale » et sa maison d’édition, resteraient à l’écart des « effets de mode » et de « l’air du temps » et ignoreraient superbement la vague éditoriale liée aux commémorations des événements de Mai 1968. La recension de cet ouvrage de grande qualité devrait amener ceux qui sont prompts à accabler de sarcasmes les partisans du maintien d’une activité éditoriale à revoir leur copie.

La problématique de l’ouvrage dirigé par Gilles Richard, professeur d’histoire contemporaine à l’IEP de Rennes, est en effet remarquable. Le choix a été fait de commencer l’analyse de la période de façon très classique, en évoquant la douloureuse modernisation de la société française pendant les trente glorieuses, pour terminer par ce discours de campagne de Nicolas Sarkozy, à une semaine du second tour, où l’héritage de Mai 1968 était présenté comme étant à l’origine de tous les maux de la terre !
Ces événements ont constitué une rupture majeure de l’histoire de la Ve République et sans doute en deçà. Mai 68 est la conclusion d’une première phase de modernisation de la société française, industrialisation, urbanisation, consommation et scolarisation de masse et en même temps le point de départ d’une nouvelle période de transformation culturelle, voire de révolution, si la juxtaposition des deux termes n’était pas trop connotée.

Cette ambivalence est remarquablement démontrée par Gilles Richard et ses co-auteurs. Dans la première partie, qui dans la collection est consacrée à une mise au point scientifique, un seul chapitre est consacré aux événements en eux-mêmes. Dans la partie « De mai à juin 1968, de la grève générale au triomphe électoral des droites » les auteurs parviennent à présenter en 25 pages une brillante synthèse où, même un lecteur averti peut apprendre des choses. On appréciera notamment l’interprétation de l’attitude du Parti communiste français, juste après les premiers signes de faiblesse du pouvoir gaulliste et l’hypothèse de plus en plus probable d’une arrivée au pouvoir de la gauche modérée à la faveur de la crise. Le PCF se met alors dans la position du hérisson et, en refusant toute perspective unitaire, parvient à lever l’hypothèque Mendès évoquée par François Mitterrand et dans une certaine mesure à remettre en selle le Général de Gaulle. De son côté, le pouvoir gaulliste entretient l’idée de la menace de subversion communiste – même s’il a déjà des rivaux à cet égard ( discours du 30 mai), ce qui a pour effet de replacer au centre de la gauche, le PCF et donc de maintenir l’ordre gaulliste comme rempart contre la subversion.

La lente reprise du travail

La plupart des ouvrages sur Mai 68 évacuent rapidement le récit de la lente reprise du travail et les déchirements qui s’en sont suivis. Ce n’est pas le cas ici avec une excellente présentation de ces mouvements de grève qui ont perduré y compris après l’élection législative et le raz de marée gaulliste dont l’ampleur, en terme de voix, doit être relativisée.

Mais c’est sans doute dans cet « après Mai 68 » que l’on retrouve les éléments d’analyse les plus pénétrants et les plus pertinents. On ne connaît pas sous une forme aussi synthétique et en même temps aussi précise, un tel travail sur la société française dans les années soixante dix (qui correspondent à la jeunesse de l’auteur de ces lignes.) On citera notamment le chapitre, « entre espoir et crainte d’un nouveau Mai 1968 », le développement de formes de contestation nouvelles comme le féminisme avec le procès de Bobigny ou le combat contre l’extension du camp militaire du Larzac. La période qui s’ouvre en 1974 est marquée par le chômage de masse et une recomposition politique, très bien marquée dans l’ouvrage.

Les enfants de Mai

On appréciera le remarquable développement sur l’antériorité de l’offensive patronale sure terrain idéologique par le biais du CNPF, qui se souvient encore de François Ceyrac ou de Yvon Gattaz ?, qui va donner le Medef dont le discours est clairement libéral et largement entendu par les pouvoirs publics.

Pour le CD Rom, on trouve dans cette série comme dans l’autre une série de documents intéressants et parfois mal connus, notamment en référence à la modernisation de la société française. Place aux jeunes ? Fait référence aux années yéyé, vues par le journal gaulliste l’Aurore ou encore une présentation de ce qu’a été la mini jupe. Les évolutions de la population active: Sont également traitées sous l’angle de l’immigration et de la tertiairisation et l’aménagement du territoire n’est pas oublié. On y retrouve l’aménagement des grands ensembles, comme Sarcelles ou un extrait de l’ouvrage célèbre, « Paris ou le désert Français » de Jean-François Gravier, paru en 1947.
La période pré-68 réunit des documents qui évoquent largement l’usure du pouvoir 1.4 L’usure du pouvoir, comme la télévision : un outil du pouvoir ou le Chômage et pouvoir d’achat : la montée des périls. On retrouve évidemment le célèbre éditorial « la France s’ennuie » et une évocation de la lutte contre la guerre du Vietnam et au niveau social, la grève des SAVIEM. Parmi les acteurs de Mai, Alain Krivine – dont la longévité et la constance politique comme dirigeant trotskiste n’ont pas été récompensées dans les urnes, contrairement à son successeur Olivier Besancenot,- est largement cité. (Deux fois et la LCR est souvent évoquée dans les différents mouvements de l’après Mai 68 y compris dans ses évolutions.)

Cet ouvrage mérite très largement d’être connu et surtout diffusé. Ce compte rendu ne reprend pas volontairement les événements de Mai en eux même mais insiste, comme on le voit sur l’avant et l’après. Le professeur d’histoire aura tout loisir, surtout pour les générations encore actives, tout loisir de découvrir le contexte de cette période mais au-delà d’un usage scolaire, ce livre aussi bien présenté et réalisé que les autres de la collection, pourra figurer dans toute bonne bibliothèque.