Ceci permet de démontrer s’il en était besoin l’intérêt de maintenir une veille scientifique de haut niveau dans notre discipline.
Les auteurs qui souhaitent s’exprimer peuvent évidemment le faire en ayant un contact direct avec l’auteur du compte rendu et bien entendu avec les responsables des rubriques qui sont identifiés en page d’accueil des CR. http://www.clionautes.org/spip.php?rubrique7
Parvenu en mai 2008 au service de presse des Clionautes, cet ouvrage est une œuvre collective associant un universitaire, professeur au Mirail et des professeurs exerçant dans le secondaire. Il est clairement destiné à être acquis par les centres de documentations mais sa clarté et sa structure permettent également d’en disposer dans l’enseignement supérieur et au et au-delà pour tous les publics curieux de cet épisode dramatique de l’histoire. L’introduction rappelle que cette guerre d’Algérie est rentrée dans les programmes en 1982 mais que c’est la loi de 1999 qui permis de parler de cette guerre d’Algérie en tant que telle et plus de ces opérations de maintien de l’ordre qui n’étaient que précaution de langage.
Un peu moins de la moitié de l’ouvrage est consacré à une mise au point chronologique de la guerre d’Algérie, avec un retour en arrière sur la colonisation et les épisodes antérieurs à la seconde guerre mondiale qui marquent la naissance du nationalisme algérien. Cette partie permet de relativiser certaines affirmations partisanes prétendant que l’historiographie française a ignoré les vaincus de la guerre civile entre algériens, les nationalistes du MNA, le mouvement de Messali Hadj dont étaient issus les cadres fondateurs du FLN.
http://www.clionautes.org/?p=1898
Avec une indéniable hauteur de vue les auteurs relativisent ces divisions et rappellent tout de même que les maquis messalistes ont été tentés pour au moins l’un d’entre eux de choisir la carte française, surtout après 1958. Le FLN avait fait le choix d’éliminer ses rivaux, considérant qu’il était le seul représentant légitime de la Révolution algérienne.
De ce point de vue, c’est sans doute ce qui manque un peu dans cette présentation. Une analyse du FLN, il est vrai très divisé en factions rivales, et son évolution prévisible, le conduisant à une logique de parti unique après l’indépendance.
On appréciera cependant la précision des chiffres donnés, même s’ils peuvent dans certains cas rester objets de polémique, notamment ceux qui montrent que les membres des harkas, étaient en fait, après 1958, plus nombreux que les troupes des Wilayas FLN.
De la même façon, on peut s’étonner de l’absence de précision quand au nombre de victimes lors des émeutes de Sétif. Certes les chiffres fournis par le FLN après l’indépendance étaient largement surestimés, (40000 voire 100000), pourtant la commission d’enquête du Général Tubert concluait à près de 10000, bien plus que les chiffres officiels.
Nuances sur la guerre franco-française
Si la guerre civile entre algériens semble pourtant largement évoquée, à défaut d’être traitée dans le détail, ce qui serait hors du cadre de l’ouvrage, il n’en va pas de même des relations entre français, notamment la montée des extrémismes dans la population de souche européenne. On est un peu sur sa faim également à propos des actions de l’OAS. Enfin, le contexte du 13 mai 1958 semble avoir été un peu évacué.
Le sixième chapitre de cette première partie traite très opportunément de la crise des mémoires françaises, de 1997 à nos jours. Pour ceux qui seraient surpris par cette date de départ, rappelons simplement que la fin du procès Papon a coïncidé avec une évaluation de son rôle pendant la répression de la manifestation du 17 octobre 1961.
Dans sa conclusion l’auteur revient sur cette mémoire particulière sans toutefois, et on ne comprend pas pourquoi, traiter en tant que cette la mémoire pied noir ou celle des harkis, qui a pu poser et peut encore poser problème dans les classes dans certaines académies méditerranéennes. La situation n’est pas forcément très facile d’ailleurs. On sait que parfois les souvenirs entretenus par les familles sont souvent en contradiction avec l’histoire elle-même, en tant qu’analyse scientifique des événements et de leur contexte.
Support documentaire sur CD-Rom
L’ouvrage dans sa seconde partie est formé par une sélection de documents qui sont en même temps fournis sur un CD Rom joint au livre. Puisque l’on évoque aussi la présentation de ce livre, disons que c’est une réalisation de très belle qualité qui est proposée par le CRDP d’Aquitaine. Une couverture flatteuse, un papier de belle qualité, quasiment luxueux et une typographie remarquable. Cela peut, avec le CD Rom justifier le prix un peu élevé de l’ouvrage. (26 €). Cependant, si l’on tient compte du fait que cette publication permet de trouver des documents et qu’une exploitation pédagogique en ligne est proposée, directement sur le site du CRDP de Bordeaux, l’investissement n’est pas démesuré.
On ne trouvera pas de grandes innovations historiographiques dans cette partie, qui est composée pour l’essentiel de documents connus mais contextualisés. Les graphiques et carte sont un peu petits mais ils sont également présents sur le CD Rom et de ce fait imprimables. On peut donc largement utiliser des extraits de ces textes pour bâtir des sujets destinés aux élèves. Certains textes moins connus que les grands classiques, comme le texte traitant de l’impact de la débâcle de 1940 chez les jeunes nationalistes peuvent être utilisés pour traiter les sujets plus généraux sur la décolonisation.
Bruno Modica © Clionautes.
Guy Pervillé, l’auteur de cet ouvrage a tenu à apporter quelques précisions.
Il y a eu un rapport de la commission d’enquête présidée par le général de gendarmerie Paul Tubert, mais cette commission, dont le travail a été rapidement interrompu par l’interdiction de se rendre à Guelma, n’a proposé aucun bilan chiffré des victimes de la répression. Veuillez lire le texte de ce rapport en annexe de l’enquête de Marcel Reggui publiée par l’historien Jean-Pierre Peyroulou, Les massacres de Guelma, Paris, La découverte, 2006, pp. 137-165. La vérité est qu’il existe de très nombreuses et diverses estimations de ce bilan, mais qu’aucune n’est jusqu’à présent démontrée d’une façon probante. »
Il faut éviter la confusion entre la non-estimation du rapport Tubert avec l’estimation donnée à la tribune de l’Assemblée consultative de Paris par le représentant communiste Pierre Fayet, lequel a parlé de 15 à 20.000 morts, en donnant une « preuve » qui m’a laissé plus que sceptique : le nombre de « mechtas » détruites par la répression, une mechta étant d’après lui peuplée en moyenne de 1.000 habitants (alors qu’en fait « mechta » se traduit par « hameau »).
Mais je dois encore préciser ma réponse, en citant un message que j’avais envoyé en février 2006 à l’un des rédacteurs en chef d’un grand quotidien :
» Dans son éditorial du samedi 19 mars 2005, intitulé « L’histoire et le déni », votre journal cite le discours de l’ambassadeur de France à Sétif : « Ainsi pour la première fois, l’ambassadeur de France à Alger a évoqué il y a quelques semaines le massacre de Sétif du 8 mai 1945 au cours duquel plus de 10.000 Algériens ont trouvé la mort. » Mais cette évaluation est-elle incontestable, et sur quoi est-elle fondée? A ma connaissance, elle vient d’un livre de souvenirs de Francis Jeanson, qui dit avoir entendu ce bilan dans la bouche d’un haut responsable de la répression, qui s’en vantait, lors de son premier séjour en Algérie. Mais ce nombre est-il un fait prouvé et incontestable? L’historienne Annie Rey-Golzeiguer en a fait état en 1995, sans citer de source, dans une communication lors du colloque de Reims sur la capitulation allemande, en disant que la répression avait fait au moins cent fois plus de morts que l’insurrection, mais sans le prouver. Elle a repris deux fois la même affirmation dans son livre paru en 2002, sans fournir davantage de preuve. Mais dans le même livre, elle formule à deux reprises une autre estimation, en déclarant seulement que la seule conclusion incontestable est de parler de milliers de victimes, ce qui n’est pas du tout la même chose. Gilbert Meynier, dans la présentation des oeuvres complètes de Charles Robert Ageron publiée par les Editions Bouchène, écrit ceci : « Par honnêteté, quand il ne peut donner de chiffres, Ageron s’abstient d’en livrer quand ils ne peuvent être scientifiquement établis – comme c’est le cas par ailleurs pour mai 1945. Sur ce sujet, l’historien algérien Boucif Mekhaled, dans son bilan sur mai 1945, n’en donne pas non plus : il passe en revue les différentes évaluations chiffrées en les soumettant avec une simple probité à la critique historique ». De même, dans Le Nouvel Observateur n° 2117 du 2 juin 2005 (« Sétif : la guerre des mémoires »), Gilbert Meynier et Claude Liauzu, rappelant la difficulté d’établir le vrai bilan, déclarent : « La seule conclusion que peut faire l’historien : il y eut effet des milliers de morts, mais s’il est honnête, il n’en dira pas plus ».
Ce serait très clair et décisif, si dans le même temps la presse algérienne, soumise à l’influence de la fondation du 8 mai 1945 de Bachir Boumaza, ne continuait pas à affirmer des estimations égales ou supérieures à 45.000 morts. Et si un historien français, Jean Louis Planche, ne proposait pas depuis plusieurs années qu’il poursuit ses recherches dans les archives des bilans de plus en plus élevés, comme s’il voulait rapprocher les positions des uns et des autres encore très éloignées. J’attends le livre que prépare Jean-Louis Planche avec une impatience croissante, puisque son estimation du nombre des victimes algériennes n’a fait qu’augmenter, de 10.000 en 1996 à 15.000 ou 20.000 en 2000, jusqu’aux 20.000 à 30.000 de son point de vue dans Le Monde des 8 et 9 mai 2005. Mais je constate que les déclarations des historiens sur ce point hésitent encore entre deux versions qui ne me semblent pas du tout équivalentes : soit « au moins dix fois plus que les victimes de l’insurrection » (sans que les preuves d’une telle affirmation soient données), soit seulement « des milliers de morts », ce qui ne me semble pas du tout être la même chose.
Pour ma part, j’ai participé avec Jean-Charles Jauffret au jury de thèse de Boucif Mekhaled en 1989. Je me souviens très bien qu’il aboutissait à l’impossibilité de conclure à un bilan quelconque des pertes algériennes. C’est pourquoi Jauffret et moi nous avons réagi très sévérement au film de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois (1995) qui nous a semblé adopter presque totalement le point de vue de Bachir Boumaza et de son association. Et la prudence de mon maître Charles-Robert Ageron a renforcé la mienne.
Personnellement, j’attends avec de plus en plus d’impatience la publication de l’enquête de Jean-Louis Planche pour en vérifier ou en critiquer les résultats, en prolongeant la recherche restée inédite que j’avais faite en 1992 pour mon habilitation à diriger des recherches. En attendant, je reste très méfiant sur les bilans du nombre des victimes de la répression que l’on nous propose arbitrairement, et je me demande si l’on n’a pas confondu, comme pour la guerre d’Algérie après 1962, le nombre des morts et celui des victimes. J’ai fait observer à Jean-Pierre Peyroulou (qui travaille à une thèse sur le 8 mai 1945 à Guelma) que les quelques bilans partiels du nombre de morts que l’on pouvait citer ne me semblaient pas du tout suffisants pour prouver les bilans globaux que l’on affirmait, et il m’a répondu qu’il était tout à fait d’accord avec moi. Je connais un autre chercheur qui a produit un livre très approfondi utilisant une documentation puisée des deux côtés de la Méditerranée, le docteur Roger Vétillard, médecin à Toulouse mais né à Sétif en 1945, qui partage le même avis. Je crois que son travail devrait être publié pour permettre ce que les historiens n’ont malheureusement pas pu faire jusqu’à présent : instaurer un véritable débat contradictoire sur ce sujet entre Algériens et Français, et défendre le droit des historiens à en parler en tant que tels, sans se soumettre à des groupes de pression politiques.
Pour le moment, il n’en est pas question, et la tendance dominante en Algérie semble bien être celle qui a été définie depuis 1990 par la fondation du 8 mai 1945 : répéter des affirmations extrêmes pour obliger les Français, s’ils veulent contribuer à une réconciliation des deux peuples, à se soumettre à l’exigence d’une déclaration de repentance. C’est ce que j’ai signalé depuis 2002 dans mon livre Pour une histoire de la guerre d’Algérie, et sur mon site internet (article sur « la revendication algérienne de repentance unilatérale de la France »). Et l’aboutissement de ce processus me paraît se rapprocher de plus en plus.
En lisant votre journal, je constate de plus en plus souvent que l’idée d’un bilan très élevé de la répression de mai 1945 paraît s’accréditer comme une vérité établie, alors que jusqu’à présent ce n’est pas le cas. Dans le n° du 10 mai 2005, p. 5, votre journaliste F. B. a écrit : « la « pacification », en causant entre 10.000 et 45.000 morts, a constitué le socle du nationalisme algérien ». Le 30 août, elle a écrit : « Dans cette allocution prononcée à Sétif – ville où furent massacrés des dizaines de milliers d’Algériens en mai 1945 », ce qui est certainement faux suivant tous les témoignages sérieux. Je ne le dis pas pour accabler cette journaliste que j’ai souvent citée pour établir des faits, mais il est très difficile de résister seule à un « bourrage de crâne » qui s’exerce continument depuis des années. Et pas seulement en Algérie, puisque je lis dans votre supplément télévision des 2 et 3 octobre 2005 : « Une manifestation indépendantiste, sévèrement réprimée par l’armée française, fit ce jour-là (8 mai 1945) plusieurs milliers de morts parmi les Algériens (de 10.000 à 45.000 victimes selon les sources) ». Et un peu plus loin : « Il en va de même pour la nuit du 17 octobre 1961, au cours de laquelle des milliers de manifestants algériens furent tués par la police parisienne ». il est clair que nombre de vos journalistes ne sont pas capables de faire par eux-mêmes la distinction entre la rumeur et l’histoire. Et ils le peuvent d’autant moins que les historiens eux-mêmes ne font pas toujours preuve de la rigueur et de la clarté nécessaires en la matière.
C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment, sinon que votre journal me paraît exposé à un risque particulièrement important de déformation de la vérité historique par son souci de contribuer à une réconciliation franco-algérienne. Réconciliation que je souhaite moi aussi de tout coeur, mais que je ne crois pas possible pour le moment parce que les problèmes sont mal posés. Le véritable but de la revendication algérienne est, à mon avis, de remporter une victoire morale sur la France afin de remporter une victoire idéologique décisive dans la guerre civile algérienne. »
Veuillez excuser cette très longue citation : je la reprend parce qu’elle dit l’essentiel. Et je la complète sur deux points. D’abord, Jean-Louis Planche a publié en avril 2006 aux éditions Perrin son livre intitulé Sétif 1945, histoire d’un massacre annoncé, après y avoir travaillé pendant onze ans. J’attendais sa parution avec impatience, et je me suis hâté de le lire. Mais je n’ai trouvé qu’une seule « preuve » de l’estimation du nombre des victimes, à la page 308 où il cite « la Note de renseignement n° III que le gouverneur Chataigneau fait apporter au ministre, et dans laquelle figure cette interrogation terrifiante : « Faut-il accorder du crédit au nombre de 10.000 victimes indigènes dans la seule région sétifienne comme l’indiquerait un informateur qui qui vient de parcourir cette région pendant un mois ? » Mais ce document, si terrible soit-il, ne m’a pas paru suffisant pour prouver les bilans de plus en plus élevés auxquels s’est rallié Jean-Louis Planche, parce qu’il s’agit du même document qu’il a cité plusieurs fois depuis le début de ses recherches (voir le tiré à part qu’il m’avait envoyé de son article publié dans le n° 590 des Temps modernes, octobre-novembre 1996, et sa réponse à ma lettre du 13 septembre 2001), et parce que le mot « victimes » est fâcheusement ambigu. Il est vrai que Jean-Louis Planche avait exprimé beaucoup plus tôt la même tendance en écrivant son éditorial du numéro 11, décembre 1989, de la revue Parcours, l’Algérie, les hommes et l’histoire : « Le général Tubert (auquel un article biographique était consacré dans ce numéro) put évaluer le nombre des morts de la répression à 15.000 pour le moins. Nous sommes en mesure aujourd’hui de préciser ce nombre, d’après les éléments établis par les renseignements généraux qui menèrent leur propre enquête : 25.000 (interviews de Michèle Barbier). » Le général Tubert, devenu un proche sympathisant du Parti communiste algérien, a lui-même durci ses propos à son exemple, mais bien après les faits. Mais d’autre part le médecin né à Sétif en 1945 dont je parlais plus haut, le docteur Roger Vétillard, a publié son livre intitulé Sétif, mai 1945, massacres en Algérie, Editions de Paris, janvier 2008, dont j’ai rédigé la préface parce qu’il me paraissait nécessaire d’éviter le monopole de la parole sur ce sujet capital. Ce livre est souvent sévère pour les affirmations de Jean-Louis Planche, par exemple pour celle de l’existence de milices à Sétif, affirmée peu avant la citation que je viens de reproduire.
Je ne considère pas pour autant que le débat soit clos. Bien au contraire, je crois qu’il y a encore à discuter sur cette question. Par exemple, voici un passage que j’ai retrouvé en relisant le livre publié en 1990 par Francine Dessaigne, La paix pour dix ans, Sétif, Guelma, mai 1945, Editions J. Gandini, pages 114-115. Il est question des rapports envoyés à Washington par le représentant de l’OSS à Alger dans la note 2 de la page 114 : « Major W. K. Rice, A.-C. Chief JICAME Branch AFN, le 17 mai 1945. « The national archives – E. Records Administration » – Washington DC – Military Reference Branch » (La traduction de tous les textes provenant de Washington est due à B. Alis). » Et voici le texte des trois paragraphes consacrés à ces documents :
» Des fuites s’étaient peut-être produites à partir de rapports confidentiels émanant de l’Official (sic) Strategic Services (OSS) ou de personnes ayant participé à leur rédaction. En effet, nous relevons dans certains d’entre eux une curieuse inflation de chiffres : « l’émeute arabe du 8 mai à Sétif s’est étendue à d’autres villes et villages, jusqu’à Souk Ahras à l’est avec des chiffres non officiels de quatre-vingt-dix-sept européens tués et environ dix mille Arabes tués et blessés » (note 2). Le major Rice retransmet un rapport de l’état-major général des troupes britanniques en Afrique du Nord, le 24 mai, indiquant » qu’il y a une grande similitude entre ce rapport et le rapport JICAME produit la semaine précédente. On lit au chapitre quatre : « Les chiffres donnés le 17 mai sont : Européens tués cent deux, Arabes : neuf cents à mille. Des chiffres non officiels d’informateurs fiables, dont les services de santé français, situent les pertes arabes à six mille tués et environ quatorze mille blessés. Ces derniers chiffres peuvent être exagérés » (note 1 page 115 : C’est nous (F. Dessaigne) qui soulignons). Le 4 juin, il écrit : « le général Tubert, président de la commission dissoute, pense que le total des Arabes tués pendant la répression n’excède pas cinq mille, et que le chiffre le plus probable est de trois ou quatre mille. Il pense que le chiffre de mille morts donné par le commandement militaire à Constantine est trop faible, mais que les rumeurs de dix, vingt ou trente mille morts sont largement exagérées ». (Nous étudierons plus loin la mission du général Tubert. Nous n’avons aucune trace de ces chiffres dans son rapport, ni dans ses discours à l’Assemblée, ni dans le fonds privé Tubert consulté aux archives nationales).
Le 25 juillet, dans son rapport, le major fait état de dix-sept mille tués, renseignements obtenus » d’une enquête officielle, en sous-main, qui vient juste d’être achevée par les autorités françaises… (Under cover official investigation), curieuse association d’adjectifs. Ainsi les autorités françaises se seraient livrées à une contre-enquête « officielle », mais discrète, aboutissant à un chiffre dix fois supérieur à celui, tout aussi officiel, avancé publiquement par les mêmes autorités, civiles et militaires, jusqu’au ministre de l’Intérieur ? Et un très fiable honorable correspondant se serait empressé de le révéler au major Rice ?
Le major envoie aussi des rapports rédigés par des agents ou sympathisants du PPA, comme celui ou l’on peut lire, toujours à propos des chiffres : « Le nombre total de victimes musulmanes dépasse six mille (d’autres sources officielles indiquent trente mille et même cinquante mille) (Note 2 : 13 août 1945, sans préciser les « sources officielles »). »
Ce passage ne confirme pas l’opinion de l’auteur, qui défend le point de vue des Français d’Algérie. Mais on voit bien dans ces documents que les affirmations officielles minimisant le nombre des victimes indigènes ont rapidement suscité l’incrédulité dans les milieux politiques d’Alger et que leur scepticisme est allé en augmentant ; et on peut même supposer que le document qui soulevait l’incrédulité de Francine Dessaigne avait la même origine que celui sur lequel Jean-Louis Planche a fondé son estimation. Mais faut il pour autant parler de « morts » ou de « victimes » ? J’ai décidé de rechercher les originaux de ces documents pour essayer de voir plus précisément ce que l’on peut en tirer.
PS : Indépendamment de ce problème sur lequel j’ai été très long, je pense aussi qu’il serait bon de souligner que la dernière partie de ce petit livre tente de faire le point sur la mémoire franco-algérienne de 1962 à nos jours, et notamment sur la revendication algérienne de repentance, ce qui ne se trouve nulle part ailleurs. »