Que reste-t-il de « Mai 68 » 50 ans plus tard ? Comment définir ce moment qui est devenu l’un des événements majeurs du second XXe siècle ? Bibia Pavard évoque ce sujet en historienne, de façon globale et nuancée. En une centaine de pages, et en s’appuyant sur une biographie résumant plus de 20 ans de recherche, elle fait la synthèse des connaissances actuelles sur le sujet. Maîtresse de conférences à l’Institut français de presse de l’université Paris-II, Bibia Pavard travaille sur un champ d’étude touchant l’histoire culturelle et politique, l’histoire des médias, des femmes, du genre et du féminisme.

Dans son introduction, Bibia Pavard distingue trois tendances historiographiques dans l’étude des événements de mai-juin 1968 : le traitement sur un temps long qui évoque les années 1960, une étude multiscalaire dépassant les frontières françaises et l’échelle biographique interrogeant les mémoires.

L’auteur propose un plan chrono-thématique évoquant d’abord « les crises des années 1960 » (chapitre 1), puis le déroulement des événements de début mai à fin juin 1968 (chapitres 2 à 4), suivi des répercussions de Mai 68 (chapitre 5) et de la place de la mémoire (conclusion).

           

 « Les crises des années 1960 »

Bibia Pavard explique tout d’abord la nécessité de replacer les événements de Mai 68 dans un temps long, autrement dit les années 1960. Cela permet ainsi de comprendre l’apparente soudaineté de la crise.

Tout d’abord, ces années sont marquées par un conflit générationnel et de nettes transformations sociales, que ce soit au niveau culturel, démographique, ou encore dans l’enseignement. Elle nuance ensuite l’expression de Jean Fourastié, « Les Trente Glorieuses », car même si la France connaît une forte croissance économique (environ 5% par an), une partie de la population en est exclue. De plus, à la fin des années 1960, un ralentissement de cette croissance est d’ores et déjà visible. La société française est donc traversée par ces tensions, que connaissent d’ailleurs d’autres pays. Bibia Pavard rappelle, entre bien d’autres exemples, l’assassinat de Martin Luther King en avril 1968 ou encore la lutte de la Zengakuren au Japon (une association d’étudiants communistes).

L’auteur rappelle enfin les « quatre matrices » (selon l’expression de Julie Pagis) expliquant comment les « soixante-huitards » étaient potentiellement prêts à s’engager dans des mouvements sociaux : des parents ayant participé à la Résistance, une sociabilisation religieuse, des trajectoires sociales ascendantes favorisant les ruptures, l’ « incohérence statutaire » des jeunes femmes.

 

 « L’embrasement »

Pour introduire les chapitres sur le déroulement des événements de mai et juin 1968, Bibia Pavard rappelle les nombreux prémices. Des mouvements sociaux dès 1967 comme à Pointe-à-Pitre (8 morts) révèlent d’ors et déjà un climat délétère en Métropole et en Outre-Mer.

Mai 68 débute à Nanterre. Ouverte en 1964, c’est une université de 11 000 étudiants comptant près de 10% de militants d’extrême gauche dont Daniel Cohn Bendit, membre du « Mouvement du 22 mai ». Ce lieu est traversé toute l’année universitaire 1967-1968 par des tensions liées au fonctionnement de l’institution. Après des blocages, l’université est fermée le 2 mai et les tensions se déplacent à la Sorbonne. Le 3 mai, le préfet Maurice Grimaud envoie la police à la Sorbonne. Le 10 mai, c’est la très médiatisée (ORTF, France Inter, RTL, etc.) nuit des barricades dans le quartier latin. Les violences choquent et tout particulièrement celles des policiers, des gendarmes mobiles et des CRS. Le 13 mai correspond au début de la « convergence des luttes ».

 

 « Les grèves »

Georges Churlet de la CGT déclare : « le mouvement étudiant a été le détonateur. Nous sommes la bombe ». La grève générale est déclarée le 13 mai 1968.

Du 14 au 24 mai, le mouvement de contestation se propage. On dénombre environ 7 millions de grévistes dans de nombreux secteurs : l’industrie avec l’usine Sud Aviation de Bouguenais ou encore Peugeot à Sochaux ; les services publics (SNCF, ORTF, PTT, etc.) ; les institutions culturelles comme Cannes sont touchées. Géographiquement, les grèves ne touchent pas toutes les régions avec la même intensité. Par exemple, la Loire-Atlantique et la banlieue parisienne sont davantage touchées que la Vendée ou l’Alsace.

Les journées du 24 au 30 mai se caractérisent par une intensification des affrontements et des tentatives de conciliations. Après un apogée des violences dans la nuit du 24 au 25 mai, où l’on déplore 2 morts à Paris (un manifestant et un policier), syndicats et patronat, avec la présence du gouvernement de G. Pompidou, signent les accords de Grenelle (plusieurs avancées sont obtenues comme l’augmentation de 35% pour le salaire minimum). Ces accords sont néanmoins jugés insuffisants par une partie des contestataires, les grèves se poursuivent par exemple à Renault-Billancourt.

Bibia Pavard interroge les spécificités de ce « moment 68 ». Malgré une continuité avec la forme des mouvements sociaux héritée de 1936, les occupations de lieux comme les universités et les usines sont spécifiques. Par exemple, l’idée d’expérimentation et de gestion alternative émerge. Ce type d’expérimentations se retrouve à l’échelle d’une commune comme à Nantes qui du 15 au 23 mai va être gérée au niveau administratif et économique par un comité central de grève.

 

« Les contre-feux »

A partir du 30 mai, le silence de De Gaulle laisse place à une contre-offensive. Ce dernier réaffirme, lors d’un discours radiophonique, son maintien à la présidence de la République et menace de faire appel à l’article 16 de la Constitution. Il dissout l’Assemblée et remanie le gouvernement (R. Marcellin à l’Intérieur et Y. Guéna à l’Information). Il est soutenu par une partie de la population française qui organise des manifestations dans les grandes villes, celle de Paris regroupe entre 400 et 500 00 personnes. Ces manifestations regroupent des Gaullistes, mais aussi l’extrême-droite française. Emblématique de la contre-information, l’affiche réalisée par Mogi montre des barricades en feu avec des drapeaux, l’un noir, l’autre rouge et le slogan « Pas ça ! Mais la Réforme avec De Gaulle ».

Le début du mois de juin voit d’un côté la reprise du travail dans un certain nombre de secteurs, mais également un regain de tension comme à Renault-Flins ou Peugeot-Sochaux. La CGT et le PCF souhaitent la fin des manifestations et visent la constitution d’un front de gauche lors des élections législatives. Ce sera en fait une très large victoire de l’UDR qui obtient 292 sièges au second tour le 30 juin 1968.

 

 « (1968-1981) Les retombées »

Bibia Pavard évoque les répercussions de Mai 68 jusqu’en 1981. Elle évoque tout d’abord la recomposition des gauchismes avec la Ligue communiste, la gauche prolétarienne ou encore le mouvement « Mao-spontex ». Plusieurs mouvements naissants des années 1970 peuvent être considérés comme des « retombés » de Mai 68 : par exemple les mouvements féministes avec la naissance du MLF et la lutte pour la liberté de l’avortement, et les mouvements écologistes avec la création des Amis de la Terre et les manifestations sur le plateau du Larzac. Dans les années 1970, les débats sur l’éducation traditionnelle et les pratiques autoritaires dans le cadre familial se poursuivent. Les questions sur la santé et la sexualité sont mises en avant par la presse militante. Une nouvelle culture de l’information émerge avec  la « presse sauvage », les radios libres, les médias alternatifs comme l’héritier d’Hara-Kiri, Charlie Hebdo (1970).

Des recompositions politiques ont lieu. Après la démission de De Gaulle en 1969 et la mort de Pompidou, continuateur de la politique gaullienne, Valérie Giscard d’Estaing arrive au pouvoir en 1974 et conduit des réformes libérales pour s’aligner sur l’évolution de la société française : la majorité passe de 21 ans à 18 ans, la contraception et l’avortement sont libéralisés, la loi Haby sur le collège unique est votée…

Le Parti socialiste et sa victoire en 1981 avec F. Mitterrand est analysé par l’auteur comme un enregistrement des « transformations sociales, politiques, et culturelles des années 1960 » mais aussi comme la fin des luttes militantes d’acteurs qui prennent alors le pouvoir.

 

Conclusion : « La place de la mémoire »

Bibia Pavard conclue sur la mémorialisation de Mai 68 qui intervient par des commémorations décennales, des ouvrages autobiographiques. Dès 1988, la diversité des acteurs est absente, une lecture uniquement générationnelle des événements est réalisée. Depuis les années 1990, la mémorialisation se situe entre opprobre et nostalgie. Ces deux dernières visions se retrouvent chez les politiques tels N. Sarkozy qui le 19 avril 2007 évoquait dans un discours son souhait de « rompre réellement avec l’esprit, avec les comportements, avec les idées de Mai 68 » et O. Besancenot qui appelle à un « nouveau Mai 68 ».

           

           

Pour terminer, ce livre permet une mise au point scientifique utile pour la préparation de la séquence « Femmes et hommes dans la société des années 1950 aux années 1980 : nouveaux enjeux sociaux et culturels, réponses politiques » au niveau 3e ainsi qu’en Première pour la séquence « La République et les évolutions de la société française ».

 

 

A noter qu’à l’occasion de la sortie de ce livre, la collection Que-sais je ? propose de découvrir gratuitement ce sujet sur un support numérique en se connectant à www.quesais-je.com. Sur ce site, vous pouvez avoir accès, entre autres, à des compléments d’informations, à des vidéos et des quiz qui peuvent servir de supports didactiques.