Une livre entre histoire et mémoire pour rétablir les faits sur la transplantation de mineurs de La Réunion en France.

Sous l’appellation « enfants de la Creuse » existe une réalité plus complexe que les titres des journaux. Une commission d’information et de rechercheCrée en 2016, elle rend son rapport en 2018 a conduit des travaux pour approcher ma réalité des déplacements d’enfants et d’adolescents réunionnais de 1962 à 1984 vers la métropole, sous l’autorité des ASEAide sociale à l’enfance.

Les quatre auteurs de cet ouvrage souhaitent diffuser vers le grand public les résultats des investigations de la commission à la quelle ils ont participé comme géographe, historien et sociologue.

Si la Creuse a bien été le département qui a accueilli le plus grand nombre de ces 2015 mineurs (10 %), ils ont été placés dans 83 départements.

La composante d’une émigration organisée

La réunion, cette vieille colonie française, érigée et DOM en 1946 connaissait, aux lendemains de la guerre, une situation économique dégradée et une grande pauvreté. Avec une densité de 109 h/km² l’île était considérée comme sur-peuplée d’autant que sa population augmentait rapidement (en 1967 55,6 % de la population a moins de 20 ans). Les auteurs décrivent une politique dénataliste aux limites de la légalité.

C’est le BUMIDOMBureau pour le développement des migrations intéressant les départements qui fut chargé de favoriser les migrations d’une main-d’œuvre originaire des Antilles et de la Réunion, pour aider à la reconstruction d’après-guerre. Les auteurs rappellent les chiffres des migrations de la période qui montrent que cette migration reste numériquement faible et concerne certains emplois spécifiques (PTT, hôpitaux).
Déjà dans les années 1930 on avait envisagé de déplacer des Réunionnais vers Madagascar dans un projet de colonisation agricole.

D’autre part, l’île n’avait pratiquement pas de structures d’aide sociale. La première assistante sociale est nommée, à la réunion, en 1951, en 1960 elles n’étaient que 10 pour une population de 340 000 h.

En 1962 ce sont 135 personnes qui partent vers la France dans le cadre de la migration organisée. Ils seront rejoints par de jeunes mineurs, des adolescents sous protection de l’aide sociale à l’enfance : trois jeunes filles de 19 à 20 ans qui sont envoyées vers le département de la Manche.

Les auteurs s’interrogent sur le rôle de Michel Debré dans cette politique. Il n’est élu à la Réunion qu’en mai 1963 et n’est donc pas à son origine mais il a, ensuite, soutenu fortement cette « solution » dont les débuts sont lents. Un homme a formalisé le processus comme premier directeur de la DDASS de la Réunion en 1964, puis dès 1966 il poursuit sa carrière en Creuse.

La mise en œuvre de cette politique

Si elle débute en 1962, elle se poursuit jusqu’à l’élection de François Mitterrand. A partir de 1981 elle régresse progressivement jusqu’en 1984.

Les auteurs présentent, ce que l’on peut appeler une querelle de mot. Dans quels textes le mot de déportation, par analogie avec la Shoah, est-il utilisé ? Dès les années 1960 on le trouve dans des textes du PCF mais aussi dans l’action en justice intentée contre l’État en 2002 par Jean-Jacques Martial. Le terme d’enlèvements d’enfants est lui présent dans la mémoire réunionnaise.

Les auteurs analysent les réactions à cette politique de déplacement. Ils montrent les conditions de sa mise en œuvre et notamment la méconnaissance par les familles biologiques du sens des documents d’autorisation de voyage qu’elles ont signées. Ils dénoncent les changements d’identité et la séparation des fratries pour certains qui montrent bien que pour l’administration le retour n’était pas envisageable.

Les mineurs transplantés

La réunion, île très pauvre offrait certes peu d’écoles mais les souvenirs qu’en ont gardés les plus âgés sont plutôt joyeux malgré la pauvreté. Pour beaucoup l’insertion en métropole a été difficile. S’ils venaient souvent de familles incomplètes ou disloquées offrant peu d’éducation, le déplacement ne pouvait combler les carences affectives.

Malgré les effets de la médiatisation et l’outrance de certains propos, les auteurs tiennent à resituer les faits : 2015 mineurs déplacés soit une faible part des enfants pris en charge par la DDASS

en 1970 119 départs pour 3136 enfants pris en charge

Même si c’est déjà trop. Quelques chiffres : 20 % ont entre 16 et 21 ans, 49 % de 6 à 15 ans et 31 % ont moins de 6 ans et proposés à l’adoption (à partir de 1967).

Les auteurs analysent les dérives politiciennes du PC réunionnais (accusation de racisme, de vols d’enfants, d’esclavagisme) au regard des réalités.

La vie en France

Fallait-il repeupler les campagnes françaises ? Cette question amène à un tableau de l’exode rural sur la longue durée. La répartition des déplacés (carte p. 87) ne recoupe qu’en partie la diagonale du vide de Jean-Français Gravier.

L’accueil parfois violent des enfants réunionnais est souvent assez proche du sort des enfants placés par les DDASS quelque soit leur origine, sans toutefois qu’on puisse généraliser.

Aucune étude sur leur insertion n’existe. La commission de recherche a montré qu’ils sont souvent restés fidèles à leur département d’arrivée. Inégalement formés ils exercent ou ont exercé des métiers d’ouvriers agricoles ou dans l’industrie et déclarent des revenus modestes.

Une « affaire d’État » ?

Il est difficile pour ces personnes de reconstituer leur histoire, les archives ont été souvent détruites. Intentionnellement ?

Il a fallu beaucoup de temps pour que cette politique soit dénoncée malgré quelques articles dans la presse dès les années 1960. Les auteurs rappellent que cette attitude de déplacés les orphelins s’inscrit dans une longue histoire depuis le XVIIe siècle avec Saint-Vincent de Paul. Elle s’inscrit dans la recherche d’une main d’œuvre dans les pays pauvres.

Ceux qui s’intéressent à cette histoire il existe une bande dessinée, supervisée par Gilles Gauvin, l’un des historiens auteur du rapport : Tehem « Piments Zoizos » publiée en septembre 2020 aux éditions Steinkis.

et une émission de radio : Enfants de la Creuse » : une mémoire défaillante sur un crime impuni