John Carlin est journaliste. Entre 1989 et 1995, il travaille pour l’organe de presse britannique The Independant, dont il est le correspondant à Johannesburg. Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré : s’achèvent vingt-sept années de détention, effectuée notamment sur l’île de Robben Island puis chez lui, en résidence surveillée. Avec l’ANC, il négocie avec le président de Klerk l’avènement d’une ère nouvelle, celle de l’après-apartheid, au moment où les tensions s’avivent entre blancs et noirs, et même au sein de ces deux groupes. En réaction, des groupes extrémistes se rassemblent au sein de l’Afrikaner People’s Front (AVF, ou Afrikaner Volksfront), présidé par un général en retraite, ancien chef d’état-major de toutes les forces armées d’Afrique du Sud : Constant Viljoen. Le but de l’AVF est d’accentuer encore les tensions : la violence doit préserver les positions de domination des blancs, toujours au pouvoir. On retrouve la même fuite en avant qui a caractérisé des mouvements comme l’OAS, à la fin de la période de l’Algérie française.
Cependant, en octobre 1993, Nelson Mandela cherche à rencontre Constant Viljoen, qui accepte la proposition. Il lui expose les enjeux de la situation, les conséquences d’un embrasement généralisé : la paix qui en sortirait un jour ne pourrait être que la « paix des cimetières ». Les deux tombent d’accord pour tenter de trouver «un moyen de répondre aux peurs compréhensibles [des blancs] et aux aspirations légitimes [des noirs]», et d’aboutir à « la coexistence pacifique entre [les] deux populations ».
Tout rappelle, pour ceux qui l’ont vu, le film de Clint Eastwood, Invictus (2009). Il y était question de réconciliation nationale (ou plutôt de construction nationale) par le biais du rugby, avec l’opportunité de la coupe du monde de 1995 qui se déroulait justement en Afrique du Sud. Les Springboks l’avaient emporté le 25 juin face aux Néo-Zélandais (15 à 12), devant Nelson Mandela qui avait été élu président de la République un an auparavant (9 mai 1994). Comme il l’avait fait avec de Klerk et Viljoen, Madiba s’était appuyé sur le trois-quart aile François Pienaar, capitaine blanc d’une équipe quasiment blanche, pour rassembler l’ensemble des ethnies pour un but commun : remporter la coupe Webbs Ellis. Et on voyait un Mandela très affable, très prévenant, et d’une finesse remarquable dans ses rapports aux autres et dans la réalisation de ses objectifs.
Rien d’étonnant à cela : Clint Eastwood s’était inspiré du livre de John Carlin, au titre très évocateur, Playing the Enemy: Nelson Mandela and the Game that Made a NationJohn Carlin, Invictus, tr. fr., Ariane, 2009.. L’auteur avait utilisé ses entretiens, notamment avec Mandela, et la connaissance acquise sur le pays en pleine transition, exactement comme il l’a fait avec cette bande dessinée. La mention finale est à noter : « Mandela et le général est une fiction, librement inspirée des entretiens et des enquêtes menés par John Carlin en Afrique du Sud ». C’est donc une vision personnelle qui nous est livrée dans les deux cas, tout en hommage au grand Enfermé (pour reprendre le qualificatif désignant Auguste Blanqui).
Il serait vain de tenter de démêler le vrai du faux, et, en réalité, on n’y songe même pas, appréciant les talents de diplomate de Nelson Mandela que nous offre à voir le scénario de John Carlin, et la qualité du dessin d’Oriol Malet, qui joue des… blancs et les noirs.
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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes