Olivier Germain-Thomas : Marco-Polo Folio biographies, 224 pages, 7,70 €
Pour ceux qui ont rêvé enfant avec les éditions pour la jeunesse des voyages de Marco Polo, tremblé avec lui devant la cruauté des assassins du Vieux de la Montagne, les fameux haschischin, souffert de la soif dans le désert de Gobi, ce petit livre très enlevé est un très agréable compagnon de voyage… Et il est vrai qu’en ces temps de mouvements sociaux les voyages en train peuvent se révéler propices à la lecture !
L’auteur ne prétend pas être historien, mais écrivain voyageur. Il s’appuie tout de même sur Jacques Heers, le médiéviste, pour expliquer certains traits de son personnage pour ce qui concerne les mentalités et particulièrement le rapport à la foi où à l’argent.
Des travaux critiques ont remis en cause la véracité du récit de Marco Polo, rédigé en prison en 1298, c’est-à-dire près de deux ans après son retour. Le récit contient en effet son lot d’invraisemblances et parfois ne distingue pas les légendes des observations très réalistes. Le récit contient aussi des « blancs », des périodes surprenantes pendant lesquelles on ne sait rien des faits en gestes de Marco Polo, de sou père et de son oncle qui avaient déjà quitté Venise de 1253 à 1269. Les frères Polo Nicolo et Matteo ont rencontré le Grand Khan, Kubilaï, petit fils de Gengis Khan, et Empereur de la Chine du Nord, conquise par les Mongols.
Partisan d’une forme de syncrétisme religieux, le grand Khan aurait chargé les frères Polo de revenir avec une centaine d’hommes de Dieu, chargés d’instruire ses sujets dans la foi chrétienne.
Le récit de Marco Polo, intitulé le « grand devisement », a été rédigé par un auteur de romans de chevalerie, Rustichello de Pise, lui aussi emprisonné à la suite des affrontements entre Pise et Gènes. Marco Polo a été aussi fait prisonnier par les Génois dans des circonstances qui ne sont pas vraiment connues. En tout cas, ce récit a été rédigé en Français, la langue de culture de l’époque avec le Latin et il y a certainement beaucoup de récits épiques qui doivent beaucoup à celui qui tenait la plume.
Partis de Venise en 1271, avec Marco Polo, Nicolas et Mattéo arrivent au bout de quatre ans à la Cour du Khan. Marco Polo dans des conditions peu claires est mis au service de Koubilaï et se livre à des nombreux voyages d’exploration de la périphérie de l’Empire. Il semblerait, d’après les descriptions et en tenant compte des distances que les deux frères Polo se soient vu confier des missions équivalentes par le Khan. Mais tous les récits des différents voyages sont réunis dans celui de Marco Polo.
D’après l’auteur les descriptions des peuples rencontrés sont, pour ce qui concerne leurs religions assez précises. Marco Polo rencontre à l’aller comme au retour les chrétiens d’Orient, les nestoriens qui ont leur patriarcat à Bagdad, mais aussi différentes catégories de bouddhistes, de musulmans, de zoroastriens pour ceux qui est des religions ayant effectivement existé. Par contre, il brode un peu quand il parle des populations tibétaines où il n’est jamais allé, ni celle des Adamans, pygmées et anthropophages qu’il est sensé avoir côtoyés pendant le voyage du retour.
Par contre, là où le récit de Polo ne souffre pas la contestation c’est dans la description du commerce des contrées traversées et de leurs systèmes fiscaux. Polo est bien un vénitien, sensible à l’étude des questions économiques. Il aurait même été, pour le compte du Khan, inspecteur des salines d’une province de Chine.
Autre aspect un peu « croustillant » sur lequel s’étend au sens figuré, mais peut être aussi autrement Marco Polo, c’est celui des mœurs sexuelles. Il ne nous épargne rien, et ne semble pas s’émouvoir devant la polyandrie ni la permissivité des mœurs. Il est clair qu’il a dû profiter des faveurs de bien des courtisanes rencontrées, même s’il justifie indirectement cette pratique en souhaitant ne pas vouloir blesser ses hôtes…
Au final, et quelle que soit la part de l’affabulation dans le récit, les Polo, marchands vénitiens, se sont mis au service de l’Empire de Kubilaï. Ce dernier, affirme-t-il ne souhaitait pas le voir partir mais y a été contraint pour permettre le déplacement en, vue d’un mariage politique d’une princesse de la dynastie.
De retour à Venise, la famille des Polo ne les aurait pas reconnus. Partis en 1271, ils rentrent en 1295, sans forcément disposer de la fortune qui leur aurait été donnée par Kubilaï.
Rentré après son emprisonnement à Venise en 1299, Marco Polo s’y marie, avec la fille d’un marchand et aura trois filles qui feront elles aussi de beaux mariages. Son récit « le devisement » commence à se diffuser dans les cours européennes, y compris en France, très rapidement. Marco Polo meurt en 1324, à 70 ans, ce qui aurait pu lui permettre de bénéficier de trois ans de retraite à taux plein d’après la réforme des retraites de 2010…
Bruno Modica