Jean –Pierre Payot : Archéologie et géopolitique. Editions Choiseul. Juillet 2010. 17 €.
Si l’on recherche une bonne synthèse des enjeux de l’archéologie dans le monde, à la lumière des tensions de par le monde, induites par les questions de l’antériorité d’une présence sur un territoire ou tout autre exploitation des vestiges à des fins politiques, cet ouvrage peut se révéler très utile. Un inventaire rapide, en moins de 200 pages de ces questions, pourra donc très largement satisfaire un lecteur curieux.
La thèse de l’auteur n’est pas inédite, même si cet ouvrage qui réunit les questions les plus importantes et les plus controversées à propos des enjeux de l’archéologie a le mérite d’exister sous un format et un volume très accessible.
Particulièrement intéressantes les deux premières parties de ce livre qui traitent de « l’histoire ancienne » des relations entre archéologie et géopolitique. Le cas de Nabonide, un souverain babylonien qui se met en tête, pour légitimer son pouvoir, de restaurer, à la suite de fouilles, des bâtiments vieux de 1500 ans, attribués à Hamourabi.
Plus près de nous, le personnage de Vercingétorix, la reconstitution du site de Gergovie, « l’invention » du site d’Alésia, par les fouilles réalisées sous le second Empire, montrent bien que les références aux « grands hommes » et aux lieux de leurs exploits permettent de légitimer une autorité politique. L’archéologie vient donc au secours du politique.
La découverte des palais Minoens en Crête a permis de fonder, là aussi, la revendication de la Grèce indépendante sur cette île, rattachée à l’Empire ottoman.
L’archéologie ça peut servir à faire la guerre
Pour ce qui concerne le nazisme, l’archéologie a été également instrumentalisée pour légitimer la théorie raciale à partir des cultures « indo-européennes », et leur filiation directe avec le peuplement germanique. Un programme de photographie aériennes a été entrepris par l’occupant sur le territoire français, ainsi que l’ouverture de chantiers de fouilles en Normandie. A ce propos, mais peut-être l’auteur ne connaissait pas cette histoire, une attention très particulière aurait été portée au château cathare de Montségur dont la disposition des ouvertures, l’orientation du bâtiment principal évoquait un temple solaire. Rappelons que la svastika est également un symbole solaire.
A propos de cette croix gammée, l’auteur évoque d’ailleurs une cité vieille de 3600 ans, Arkaïm, située dans l’Oural méridional au nord de la frontière avec le Kazakhstan. Découverte en 1987, cette cité qui révèle une civilisation élaborée est devenue un enjeu permettant de justifier l’antériorité de la présence « slave », considérés comme des descendants des peuples de la steppe, les scythes notamment. De ce fait, la domination russe sur l’Asie centrale ne serait finalement qu’un retour sur leur berceau national. On retrouve aussi cet argument pour légitimer la présence serbe au Kosovo. A propos de cette cité d’Arkaïm, la présence de svastika sur des tessons de poteries a permis d’alimenter certains fantasmes de groupes ultra nationalistes.
L’archéologie biblique est évidemment l’objet d’une attention particulière de l’auteur. Pendant des siècles, les tentatives de trouver des vestiges confirmant le récit biblique ont été nombreuses. Cela a commencé avec les recherches de la mère de Constantin, trouvant les morceaux de la vraie croix et bien d’autres objets jusqu’aux fouilles conduites par les savants qui accompagnaient Bonaparte. A partir de la fondation de l’Etat d’Israël, les archéologues du nouvel état ont eu a cœur de justifier par des fouilles l’antériorité de l’occupation des hébreux en Palestine, ainsi que l’homogénéité de la présence de cette population sur ces terres. En fait, la guerre des six jours et l’occupation de la Cisjordanie a mis au jour des vestiges d’une population Cananéenne sédentaire dans laquelle se serait fondus et assimilés les hébreux nomades. La conquête de la terre promise contre les Philistins ne serait plus qu’un récit légendaire et la légitimité de la présence des juifs sujette à caution. Pire encore la Jérusalem de David et de Salomon n’aurait été qu’un gros village, et certainement pas la capitale puissance évoquée dans le récit biblique. La bible aurait été un récit compilé à partir de légendes réalisé pour légitimer le royaume de Juda au VIIe siècle avant JC peu de temps après l’invasion assyrienne. Le monothéisme, facteur d’unité nationale serait le résultat de cette construction politique amenée à connaître un certain succès dans la durée.
Fouilles sous haute surveillance
Les fouilles entreprises depuis une quarantaine d’années dans le périmètre de la mosquée Al Aqsa, troisième lieu Saint de l’Islam qui domine le mur des lamentations sont chargées d’enjeux géopolitiques. Pour une partie des juifs la mosquée aurait été construite sur les ruines du temple construit par Hérode et l’antériorité de la construction justifie la domination israélienne sur le Mont du Temple. Les musulmans voient dans les fouilles archéologiques une tentative de saper, au sens propre comme au sens figuré les fondements de leur présence dans Jérusalem Al Qods, la Sainte, le lieu symbolique d’où le Prophète se serait élevé vers le ciel avant de repartir sur La Mecque.
L’ouvrage évoque ainsi plusieurs questions qui ont été largement présentées dans la presse, comme celle de la Mosquée d’Ayodhya construite au XIVe siècle par les Mogols, maîtres musulmans du sous continent sur un temple hindou du XIe siècle. Les incidents liés à ce « débat d’antériorité » ont fait 200000 morts, en 1992. La mosquée a été détruite par 500000 pèlerins hindous fanatisés mais la reprise des fouilles semble avoir mis au jour, sous les vestiges du temple hindou un village musulman…
Si les questions les plus importantes sont évoquées, on n’en reste pas moins sur sa faim à propos des enjeux scientifiques de ces questions. Finalement, on ne sais pas vraiment ce qui se trouve ou se trouverait sous la Mosquée Al Aqsa ? Que cherche-t-on vraiment ? Et qu’est-ce qui a été trouvé ? En fait, il y a de fortes chances que les découvertes posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. On aurait peut-être pu demander à l’auteur un développement plus fouillé, c’est le cas de le dire de certaines questions et, au-delà de la description de tel ou tel lieu de conflit « archéo-politique », de donner un éclairage scientifique plus précis sur les méthodes utilisées et les hypothèses opposées.
Il n’en reste pas moins que ce travail est agréablement présenté, mais il aurait pu être complété par quelques cartes et croquis de localisation, notamment pour les lieux les plus symboliques comme les lieux saints de Jérusalem ou encore la situation en Inde de Ayodhya. Pour autant une très bonne bibliographie permettra au lecteur curieux de trouver des sources documentaires très précises.
© Bruno Modica