Popularisés dans la pop culture par de nombreux films et jeux vidéo telles que la licence d’Assassin’s Creed, les Assassins d’Alamut font aujourd’hui l’objet de nombreux fantasmes. Ceux-ci sont souvent issues de racines anciennes car, dès le Moyen-Age, le halo de secret entourant cet ordre a généré de nombreux représentations largement exagérées. Yves Bomati, l’auteur de cet ouvrage, s’attache alors à déconstruire toutes ces idées reçues pour refaire des Assassins un objet d’histoire.

La dimension religieuse, souvent oubliée chez les Assassins, est ici au cœur de l’ouvrage car pleinement constitutive de leur identité. Ce sont des Ismaéliens, un courant chiite apparu au VIIIe siècle. En outre, ils s’intègrent dans la lignée du califat chiite fatimide. En effet, le fondateur de l’ordre, l’iranien Hasan Sabbah, était resté fidèle à Nizâr, fils du calife égyptien Al-Mustansir Billah, écarté de la succession au profit de son jeune frère Ahmad avant de mourir emprisonné.

La secte d’inscrit donc pleinement le paysage religieux complexe de l’Islam. Mais ces racines religieuses sont cependant bien expliquées par Yves Bomati qui prend le temps, dans son ouvrage, de rappeler l’histoire de l’Islam et de ses schismes. Le premier qui nous est présenté est ainsi celui provoqué par la succession de Mahomet entre Sunnites et Chiites. Ensuite, l’auteur nous présente les suivants, notamment celui séparant chiites duodécimains et chiites ismaéliens.

En outre, Le dogme nizârite est bien expliqué. Yves Bomati nous présente les sources religieuses et philosophiques de ce courant religieux et ses particularités. D’un point de vue spirituel et intellectuel, l’ismaélisme nizârite est particulièrement exigeant. Il s’avère difficilement accessible pour ses fidèles et, bien davantage, pour les observateurs d’autres religions. C’est cette complexité qui permet d’expliquer les nombreuses confusions et idées reçues relatives à cet ordre, parfois même perçu comme une branche proche du christianisme par les croisés !

Mais, dans le même temps, nous comprenons ici qu’il s’agit d’une religion hautement intellectualisée, ce qui éloigne donc les Assassins des figures de fondamentalistes sanguinaires et fanatiques. C’est pourtant cette image de l’ordre qui s’est imposée car les sources dont nous disposons sont généralement issues de leurs ennemis, particulièrement nombreux.

Les Assassins, au cœur des enjeux politiques du « Moyen-Orient » médiéval

En tant qu’Ismaéliens, courant religieux très minoritaires, l’ordre des Assassins se retrouve isolé sur le plan politique. Installés entre l’Iran et la Syrie, leur foi n’était généralement ni partagée ni tolérée par la puissance locale en place, quelle que soit l’époque. Les Nizârites se sont inscrits dans les jeux politiques complexes du « Moyen-Orient » médiéval et, notamment, des territoires syriens et palestiniens particulièrement convoités.

Tour à tour, les Assassins ont donc été confrontés aux Perses, aux Turcs, aux Croisés, à Saladin ou aux Mongols. Toujours inférieurs en nombre et en forces armées, ils ont dû alors recourir à d’autres stratégies à la fois pour s’affirmer mais surtout pour survivre dans la région.

Ceci explique que les Assassins aient développé une culture du secret. Leurs forteresses sont généralement isolées dans des régions montagneuses. Cela les rend facilement défendables par un petit nombre de personnes et permet de pallier cette infériorité numérique permanente. Quant-à leurs pratiques, elles demeurent largement secrètes, influencées par des années de Taqîya, la nécessité de dissimuler sa religion dans un espace où les Nizârites ne sont jamais majoritaires.

Par ailleurs, cette situation de minorité démographique implique une infériorité militaire sur le plan des effectifs. Cela explique alors le recours aux assassinats politiques. Si Yves Bomati récuse à raison la comparaison entre cette tactique et le terrorisme moderne, notamment car ces assassinats ne sont pas aveugles mais bien ciblés, il nous montre dans le même temps l’impact psychologique de cette pratique. Nous découvrons d’ailleurs que les adeptes assassins ne tuaient pas systématiquement mais pouvaient aussi se contenter de laisser un message à la personne visée. L’objectif était alors de lui montrer qu’elle n’était pas en sécurité pour lui faire infléchir sa politique.

Mais, pour parvenir à leurs objectifs politiques, les Assassins n’ont pas seulement eu recours à ces pratiques de terreur. Ils ont su jouer aussi de manœuvres diplomatiques, n’hésitant pas s’allier à différences puissances en fonction de leurs rivalités. Si la branche iranienne de l’ordre a globalement cherché à rester en retrait des affaires de son temps, celle de Syrie a été pleinement impliquée dans les bouleversements géopolitiques liés à la succession des puissances et aux croisades.

Loin des idées reçues et des clichés, s’est donc une vision véritablement historique des Assassins que nous livre Yves Bomati. Alors que notre vision actuelle de l’histoire a tendance à être largement marquée par notre sécularisme contemporain, qui tend à séparer politique et religieux, l’ouvrage a le mérite de montrer à quel point les deux sont intimement liés. L’assassinat politique s’inscrit ainsi à la fois dans une démarche religieuse et un contexte géopolitique particulièrement défavorable à cet ordre. C’est ainsi qu’on peut comprendre une pratique largement fantasmée.