Les biographies de maréchaux d’Empire sont un sujet classique pour les historiens comme pour les amateurs de la période impériale. Certains sont cependant plus oubliés que d’autres et c’est le cas de Marmont. Celui-ci a largement perdu la bataille de la mémoire, sa notoriété se résumant généralement à sa « ragusade » de 1814 au point que celle-ci est souvent le point d’entrée des ouvrages qui le concerne.
Franck Favier, enseignant en classe préparatoire, est déjà auteur de biographies consacrée à des maréchaux comme Berthier ou Bernadotte, qui partagent avec Marmont le destin d’être souvent méconnus du grand public. Dans son ouvrage il adopte une approche chronologique qui embrasse la carrière militaire et politique du duc de Raguse et replace ses actes dans le contexte global de la période. Mais c’est aussi le portrait d’une certaine société impériale, où les liens familiaux, les intérêts financiers et les réseaux jouent un rôle important.
Une ascension rapide
Originaire de Chatillon sur Seine où il naît en 1774, Marmont est fait maréchal à 35ans, en 1809. Même s’il n’a pas fait partie de la première promotion de maréchaux d’Empire, cela fait de lui un des plus jeunes au moment de sa nomination. Comment expliquer une telle ascension ?
Comme d’autres maréchaux, ses origines renvoient à la petite noblesse française. Son père est désireux de voir son fils s’élever et finit par accepter que celui-ci fasse une carrière militaire dans l’artillerie en intégrant l’école d’artillerie de Metz. La période révolutionnaire bouleverse cependant le parcours du jeune Marmont, mais elle lui permet de se lier d’amitié avec un autre artilleur, Bonaparte.
Marmont va participer aux principaux faits d’armes du jeune Bonaparte: Toulon, l’Italie, l’Egypte. Il y ait preuve de réelles qualités de meneurs d’homme, qui, jointes à l’amitié de Bonaparte, lui valent de monter en grade. C’est aussi la période de son mariage avec Hortense Perrégaux, dont le père est un des principaux financiers du régime. Marmont ne fait cependant pas partie de la première promotion des maréchaux d’Empire et en est fort déçu, il lui faut attendre 1809 et la campagne d’Autriche pour parvenir à cette dignité. A 35, il est un des plus jeunes à y accéder.
Loin de l’empereur ;
Marmont va faire partie de ces maréchaux qui furent amener à servir loin de l’Empereur, et par là-même à ne pas bénéficier de la gloire de ses victoires. Il va notamment être placé à la tête des provinces illyriennes pendant près de 5 ans, de 1806 à 1811. Un rôle où il révèle certaines qualités d’administrateur en développant notamment le réseau routier. Mais il fait aussi preuve d’une énorme vanité comme en témoigne son train de vie. Le duc de Raguse se veut l’égal d’un monarque et il a besoin de toujours plus d’argent. Il n’hésite pas pour cela à solliciter sa belle-famille dont il favorise aussi certains placements.
En 1811, il est amené à succéder à Masséna, en difficulté en Espagne. Dans le guêpier espagnol il ne fait guère mieux que son prédécesseur face à une forme de guerre nouvelle associant lutte contre la guérilla espagnoles et batailles rangées face aux troupes régulières anglo-portugaises. Comme les autres maréchaux présents en Espagne il doit subir les instructions d’un empereur peu au fait de la situation réelle sur le terrain et doit composer avec les difficultés de coordinations des troupes. Le roi Joseph n’arrive pas à s’imposer, les maréchaux ne se soutiennent pas mutuellement. Il est sèchement battu par Wellington aux Arapiles en juillet 1812. Une défaite qui s’accompagne d’une grave blessure au bras qui va le pénaliser longtemps.
Les derniers feux de l’Empire
En manque de généraux, Napoléon confie cependant à Marmont un corps d’armée et celui-ci participe aux campagnes de 1813 et 1814. Il y fait toujours preuve de courage personnel à la bataille de Lutzen comme à celle de Paris. Mais s’il se bat bien sur le terrain, il a du mal à diriger de grandes unité et ne fait pas preuve d’une grande maîtrise tactique.
Bien sûr Franck Favier consacre un chapitre entier aux circonstances de la défection de Marmont sur laquelle les adorateurs de l’Empereur font reposer la chute du régime. L’auteur est plus nuancé, pointe les responsabilités de chacun et rappelle la situation générale de la France alors. Marmont abusé ou vaniteux, voire les deux à la fois, accélère cependant la chute inéluctable de l’Empire.
Une longue fin de vie
Le geste de Marmont lui vaut d’être récompensé, pair de France il commande une compagnie de la Maison militaire du Roi. Mais la réalité est plus difficile, les autres maréchaux, bien que ralliés eux aussi au Roi, le méprisent tout autant que de nombreux royalistes qui ne voient en lui qu’un opportuniste.
Sur le plan personnel, il divorce. Tandis que sa situation financière se dégrade. Il a lancé des projets agricoles et industriels sur ses terres ; ceux-ci témoignent à la fois d’une volonté de modernisme, mais aussi d’une certaine crédulité et ils se révèlent tous désastreux. Marmont qui continue à mener un grand train de vie s’endette.
Sous la Restauration, son plus grand succès se limite à une ambassade en Russie. Pour le reste, il échoue à se faire nommer à la tête de l’expédition d’Alger. Par contre il se retrouve chargé de la répression lors des journées de juillet 1830. Accusé par les défenseurs de Charles X de mollesse et en même temps rendu responsable des victimes par le nouveau régime, Marmont doit s’exiler ;
Son exil le mène en Angleterre mais aussi en Autriche où il rencontre le fils de Napoléon. Il poursuit sa route en Europe balkanique puis en Méditerranée ce qui lui donne l’occasion de publier un récit de voyage qui rencontre un certain succés. Le maréchal finit par se fixer à Venise où il vit entouré de quelques fidèles. Ceux-ci se chargent d’ailleurs ensuite de faire publier ses mémoires. Celles-ci toutes à la volonté de réhabiliter leur auteur provoquèrent une importante polémique lors de leur parution, brouillant encore plus l’image de Marmont.
En conclusion
Au final, avec une biographie d’un maréchal d’Empire éloignée des visions classiques centrées sur le fracas des batailles, Franck Favier réussit à nous dresser le portrait d’un Marmont aux multiples facettes. Un séducteur épicurien au caractère vaniteux mais ferme dans la tourmente du combat qui se révèle cependant indécis s’il doit réfléchir avant de se décider et acumule les erreurs. Marmont a le douteux privilège d’être parfois présenté comme le responsable de deux changements majeurs de régime : de la première abdication de Napoléon en 1814 comme de la chute de Charles X en 1830.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau