Les études sur l’histoire environnementale se développent depuis une quinzaine d’années en France.

 Alexis Vrignon est maître de conférences à l’université d’Orléans. Il est l’auteur de La naissance de l’écologie politique en France. Une nébuleuse au cœur des années 68 (PUR, 2017) et il a participé à de nombreux ouvrages collectifs : Une histoire des luttes pour l’environnement. Trois siècles de combats et de débats XVIIIe-XXe siècle (avec Anne-Claude Ambroise-Rendu, Charles-François Mathis, Steve Hagimont, recensé dans la Cliothèque), Face à la puissance. Une Histoire des énergies alternatives à l’âge industriel (avec François Jarrige), Des bombes en Polynésie. Les essais nucléaires français dans le Pacifique (avec Renaud Meltz). Soit des études qui s’insèrent dans une nécessaire histoire environnementale dont le dynamisme est vif depuis une quinzaine d’années en France. Et sur laquelle ceux qui le désirent pourront avoir nombre d’informations en consultant le site du RUCHE (Réseau universitaires de chercheurs en histoire environnementale).

Dans cet ouvrage, l’auteur mobilise une grande diversité de sources et indique en notes les références de très nombreux ouvrages récents qui pourront faire le miel des enseignants en histoire-géographie désireux d’en savoir plus.

L’introduction lui permet de présenter l’histoire environnementale. Celle-ci « attentive aux multiples rapports entre les humains et les non-humains » permet de proposer « une autre approche » de telle ou telle période (ici, entre autres, celle longtemps appelée les « Trente Glorieuses »). De ce fait, cette démarche permet de souligner qu’il n’y a jamais eu « de consensus total au sein d’une société » sur la gestion des ressources ou sur les relations au vivant. Des acteurs précis ont « fait perdurer le système productiviste ». Par ailleurs, l’histoire environnementale permet de « retracer l’évolution des écosystèmes », leur dégradation et le rôle de l’homme dans celle-ci. Rôle bien signifié par le concept d’anthropocène. Mais pourquoi, alors que nombre de problèmes sont globaux, proposer une histoire environnementale limitée à un pays et seulement depuis 1945 ? Tout d’abord car « 1945 marque un tournant dans la Grande accélération » affirme A. Vrignon. En second lieu, car le cadre national permet de mieux comprendre les dynamiques qui amènent certains acteurs à faire des choix qui vont à l’encontre de la préservation de l’environnement.

Trois parties jalonnent le parcours proposé. La première porte sur l’entrée de la France dans les Trente Glorieuses. L’auteur n’oublie pas les difficultés de l’après-guerre pour nombre d’habitants. Il rappelle aussi que les « approches technocratiques et productivistes » sont présentes dès les années 1930 en France, perdurent à Vichy et s’épanouissent sous la IVème République. Elles sont alors à l’œuvre dans la modernisation de l’agriculture qui s’amplifie ou dans « l’impérialisme environnemental français » marqué par l’extractivisme. Cette « grande accélération » est aussi le moment où s’affirme pleinement l’urbanisation du pays et où se développe des industries. Dans les deux cas, la dégradation des écosystèmes est nette et donne lieu à des contestations « marginalisées mais pas marginales » : création de mouvements autour de l’alimentation bio, critique personnaliste du progrès (avec Jacques Ellul et Bernard Charbonneau), mise en évidence de la disparition des espèces animales et végétales (par Roger Heim dès 1952).

Les années 1960-1980 sont abordées dans la deuxième partie, intitulée « La France du tournant environnemental ». Par cette expression, l’auteur évoque « l’invention administrative de l’environnement » plus que la mise en œuvre d’une politique favorable à celui-ci, à un moment où les contemporains prennent conscience des « transformations environnementales […] dans les paysages, les écosystèmes et les corps ». C’est le temps de l’expansion qui, commencée dans les années 1950,  s’épanouit et transforme profondément la France : accélération du remembrement, installations d’usines dans l’Ouest, mission Racine en Languedoc-Roussillon, Plan neige pour les Alpes, barrage de Serre-Ponçon (1959), usine nucléaire de Marcoule (1956)… mais aussi naufrage du Torrey Canyon (1967). Des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires commencent timidement à se questionner, d’où la création du ministère de la protection de la nature et de l’Environnement (1971-1974, Robert Poujade est d‘abord ministre délégué puis ministre à part entière). A. Vrignon présente ensuite les intellectuels, les chanteurs et les instances internationales qui donnent lieu à d’« autres inventions de l’environnement ». Les années 1970 sont, en effet, marquées par une floraison d’associations environnementalistes, par un essor d’une presse alternative sensible à cette question, par de multiples mobilisations locales ainsi que par les débuts de l’organisation d’une écologie politique dont la campagne de René Dumont en 1974 donne le signal. Mais si des voix dissidentes se font entendre sur le Larzac, contre les centrales nucléaires à Malville, Plogoff et ailleurs ou en défense du cadre de vie, elles sont marginalisées. Pour les pouvoirs publics la modernisation et l’expansion demeurent les axes majeurs de la transformation du pays.

Alexis Vrignon titre sobrement la troisième partie de l’ouvrage (qui s’étend des années 1980 à nos jours) : « Pour une France durable, mobilisations citoyennes et action publique ». Au vu de ce qu’il décrit deux pages plus loin de cette période : « l’environnement est de plus en plus présent dans les débats publics sans que pour autant la trajectoire de la crise environnementale s’en trouve notablement infléchie », l’auteur de cette recension (méridional, lycéen dans les années 68) aurait probablement choisi un titre plus incisif. Pourquoi pas celui du chapitre 13, « Une crise environnementale qui s’aggrave » ? Depuis les années 1980, des scientifiques, des dirigeants politiques, des militants, une partie des Français a pris conscience de la gravité et du caractère global d’un certain nombre de problèmes environnementaux. Malgré les fabricants de l’ignorance environnementale (firmes pétrolières, intellectuels, hommes politiques) tels ceux qui ont nié jusqu’à l’absurde le lien entre dérèglement climatique et action de l’homme[1], des efforts sont tentés. La thématique du développement durable (rapport Brundtland, 1987) s’impose peu à peu, les ministres successifs de l’Environnement essaient de faire avancer des dossiers, l’Union européenne fait mine de verdir sa politique agricole. Pour Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » (septembre 2002, sommet de la terre, Johannesburg)[2]. Quant à Nicolas Sarkozy, il impulse un Grenelle de l’environnement en 2007[3]. Mais les résultats sont maigres. D’autant plus que la désindustrialisation en France accroît les flux d’importations, que les nouvelles technologies supposent des infrastructures matérielles, que se déploient lignes de TGV et que s’accroît le recours aux transports aériens. Nombre d’habitants, en effet, adhèrent à « un imaginaire de la vitesse et de la connexion au monde extrêmement puissant ». Pour autant, les acteurs sociaux peuvent toujours agir et la population n’est pas vouée à « la pure acceptation naïve ou résignée […] de la crise écologique ». Des « voix dissonantes » demeurent et tracent des « itinéraires différents ».

               Un ouvrage d’historien, solide et sérieux. Une belle synthèse qui donne envie d’approfondir nos connaissances par de nouvelles lectures. Remercions au passage l’éditeur d’avoir accueilli cet ouvrage qui mérite un large public.

———————

[1] Les formules visant à délégitimer l’écologie et les écologistes ont souvent été imagées. Dans les années 1970, ils ont été présentés comme de doux rêveurs et accusés de vouloir revenir à la bougie. Depuis quelque temps, symptôme d’un raidissement des courants réactionnaires, ils sont des bobos de centre-ville déconnectés des réalités. Voire des khmers verts.  En effet, derrière un vernis sympathique se cacherait un projet quasi totalitaire.

[2] Formule reprise à Jean-Paul Deléage historien des sciences de l’environnement et animateur de la revue Ecologie et politique, voir entre autres le site Reporterre, 26 septembre 2019.

[3] Avant de trouver que l’environnement « ça commence à bien faire », 2011.