Gilles Richard : un des meilleurs spécialistes universitaires des droites françaises

Né en 1956, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud et agrégé d’histoire (1978), docteur d’État ès-Lettres et sciences humaines (IEP de Paris) en 1998, Gilles Richard est professeur émérite d’histoire contemporaine de l’université de Rennes 2 et membre de l’UMR CNRS « Arènes ». Spécialiste de l’histoire des droites, il a publié, dirigé et co-dirigé plusieurs livres collectifs ainsi que de nombreux ouvrages sur les forces politiques et le système partisan en France. Gilles Richard est également auteur d’une thèse de doctorat d’État sur le CNIP[1].

La parution, le 1er mars 2017, de l’Histoire des droites en France de 1815 à nos jours, dont l’écriture a débuté en 2012 et s’est achevé cinq ans plus tard en décembre 2016, est le fruit de trente années de recherches de l’historien spécialiste des droites françaises. Cette nouvelle histoire des droites s’inscrit dans une historiographie dont le pionnier fut René Rémond. Ce dernier en a posé les premières pierres en 1954 avec la parution de La Droite en France de 1815 à nos jours[2], puis après deux nouvelles éditions[3], fit paraître en 1982 une quatrième édition dans laquelle la multiplicité des familles politiques apparaissait dès le titre avec Les Droites en France[4]. De nombreux retirages attestèrent du succès de l’ouvrage jusqu’à une cinquième édition, plutôt conçue par l’historien comme une réponse aux diverses questions que l’évolution des familles politiques lui posait, démontrant ainsi selon lui, l’actualité de sa classification en trois familles distinctes, tout en faisant évoluer leur dénomination[5]. À cela s’ajoute un ouvrage collectif paru en 1992 intitulé Histoire des droites en France, trois volumes réunissant de très nombreux contributeurs dirigés par Jean-François Sirinelli[6]. L’historiographie des droites françaises ne s’arrête pas à ces deux ouvrages et les vingt pages de bibliographie que l’on retrouve à la fin de l’ouvrage de Gilles Richard attestent bien de la richesse de la recherche dans ce domaine des sciences sociales, une richesse cependant bien moindre que celle concernant les gauches.

Gilles Richard se distingue ainsi de René Rémond qui conserva jusqu’en 2005 sa généalogie des traditions politiques nées au XIXe siècle et qui, malgré les changements de régimes et les événements qui bouleversèrent ces deux siècles, aurait perduré jusqu’à l’aube du XXe. Cette distinction va au-delà de la simple querelle historiographique et se retrouve de manière plus fondamentale car l’auteur qui comptabilise alors quatorze familles politiques nées depuis la Révolution française, réparties en deux blocs dans un clivage droite/gauche évoluant autour de « trois questions centrales successives »[7], en retient huit pour former ce que l’on appelle les droites françaises. Gilles Richard se distingue donc de son prédécesseur à partir du premier conflit mondial, adoptant « la tripartition rémondienne » jusqu’à cette « matrice du XXe siècle ». Ce nouveau siècle voit successivement apparaître huit grands courants de pensée qui deviendront des forces politiques plus ou moins importantes, à savoir les familles « légitimiste », « orléaniste », « bonapartiste », « libérale », « nationaliste », « démocrate-chrétienne », « agrarienne » et « gaulliste ». Ces courants politiques furent, pour certains d’entre eux, sous-estimés ou négligés par René Rémond, celui-ci les fondant dans sa généalogie existante à l’instar de la démocratie-chrétienne, de l’agrarisme ou encore du nationalisme. Ainsi, pour Gilles Richard, définir les droites « oblige à privilégier les changements sur les continuités » (p. 135).

L’auteur a choisi un découpage chronologique en quatre parties, redonnant ainsi toute leur place aux événements, avec les limites suivantes : 1815-1914 (p. 33-164), 1914-1944 (p. 165-308), 1944-1974 (p. 309-466) et 1974-2016 (p. 467-672) avec une postface retraçant les années 2016-2023 (p. 673-700). Composé de 20 chapitres, ce livre comporte d’abord un hommage à René Rémond (p. 7), une liste des sigles (p. 9-14), une introduction – générale- (p. 15-32) ainsi qu’un développement en quatre parties – précédée chacune d’une introduction et terminée par une conclusion partielle « Être de droite en … » – contenant cinq chapitres chacun (p. 33-672) sans oublier la postface de 2023 (p. 673-700), des notes revues et augmentées (p. 701-730), une bibliographie indicative également revue et augmentée (p. 731-750), un index (p. 751-774), des remerciements (p. 775-776) et une table des matières (p. 777-783). Il a noté que nous retrouvons dans cet ouvrage les grandes qualités pédagogiques que fut l’enseignant agrégé Gilles Richard dans le secondaire avant d’aller enseigner dans le supérieur à Rennes à partir de 1999 (IEP de Rennes de 1999 à 2014  et université de Rennes 2 de 2014 à 2020).

Les droites face à la République : S’adapter ou disparaître (1815-1914)

Dans la première partie (p. 33-164), l’auteur commence donc par reprendre le schéma rémondien qui reste pertinent dans son ensemble jusqu’à la Première Guerre mondiale, soit de 1815 à 1914.

Les droites au pouvoir : Trois partis contre la République (1815-1870)

À partir de 1815, c’est l’apparition successive du camp légitimiste contre-révolutionnaire, du camp orléaniste favorable à la famille d’Orléans et enfin celui des bonapartistes, lorsque le parti de l’ordre, derrière le stratège Adolphe Thiers, décida de soutenir Louis-Napoléon Bonaparte à l’élection présidentielle de 1848. Cette période du pouvoir bonapartiste se termina dans la guerre contre les Prussiens et sonna la défaite des droites face aux républicains.

La défaite des droites face aux républicains (1870-1885)  

Ce camp républicain ancra la République en 1884 à l’occasion de la réforme constitutionnelle, en interdisant que « la forme républicaine du gouvernement » pût faire l’objet d’une révision (p. 70) ; un principe qui sera d’ailleurs réaffirmé dans les Constitutions de 1946 et 1958. Mais face aux républicains désormais solidement installés au pouvoir, la crise boulangiste débuta en 1887. La divergence d’analyse apparaît alors entre Rémond et Richard quant à la compréhension du boulangisme ; pour le premier, ce mouvement politique fut la première réincarnation du bonapartisme en République alors que, pour le second, c’est un mouvement principalement hétéroclite qui regroupe des adversaires de la République mais aussi des républicains adversaires de Jules Ferry. La crise boulangiste intervint durant la république des opportunistes, au pouvoir depuis 1870 en s’appuyant sur les radicaux et qui, ayant réduit leurs adversaires à droite, avaient comme dernière grande figure politique, Jules Ferry. Ce mouvement hétéroclite rassemblé derrière un homme charismatique se délita rapidement durant l’année 1889, quatre ans avant la mort de Jules Ferry. Mais les héritiers de ce dernier firent le choix, à sa mort, de changer d’alliances politiques pour gouverner.

Boulangisme, Ralliement et « esprit nouveau »-La mutation forcée des droites en République (1885-1898)

L’abandon du front religieux permit à ces ralliés de mieux tenir le nouveau front social qui s’élargissait rapidement. Le mot « progressiste » se substitua alors à celui d’opportuniste pour qualifier le camp des républicains modérés. Mais les événements eurent encore une fois raison de la volonté de créer un grand parti de droite unifié pour s’opposer aux revendications ouvrières car même si la république méliniste était une continuité du ferrysme, l’affaire Dreyfus fit voler en éclats le souhait d’union des droites de Jules Méline et provoqua la formation d’un tout nouveau groupe  parlementaire aux législatives de 1898 dénommé « antisémite » et présidé par Édouard Drumont. Le mélinisme, somme de conservatisme social et d’affairisme, de protectionnisme douanier contrebalancé par un puissant mouvement d’exportation de capitaux et d’un colonialisme actif, définissait alors le programme d’une droite libérale modérée, formée des anciens partisans d’Adolphe Thiers, de Jules Ferry et de Léon Gambetta, récemment rejoints par les catholiques ralliés. L’ancien monde, « le temps des légitimistes, des orléanistes et des bonapartistes menaçant la République était décidément révolu » selon l’auteur.

 Le temps de l’affaire Dreyfus ou l’impossible naissance d’un grand parti républicain libéral modéré (1898-1906)

Une évolution du régime intervint toutefois sous la présidence du Conseil de Pierre Waldeck-Rousseau et de son « gouvernement de défense républicaine » dans lequel on vit « la politique de Jules Ferry reprise mais débarrassée de ses dérives mélinistes » grâce à l’incarnation de ces républicains modérés opposés à la dérive autoritaire et cléricale du régime par un basculement d’une partie des progressistes qui bouleversa subitement l’équilibre entre droites et gauches. Le « Bloc des gauches » s’imposa alors face à l’Alliance républicaine démocratique (ARD), fruit du projet de « grand parti républicain démocratique » de Waldeck-Rousseau, lors des élections législatives de 1902 ; un bloc dominé par plus de 230 députés « radicaux », ce qui permit à Émile Combes de prendre la présidence du Conseil. Pendant ce temps, les partisans du Ralliement relancèrent leur projet partisan et, en juillet 1901, fondèrent, derrière Jacques Piou, l’Action libérale populaire (ALP) afin de rassembler tous les caParis, tholiques ralliés qui suivaient le pape dans la défense du Concordat. En quelques années, l’ALP devint vite le premier parti de masse en France avec 250 000 adhérents répartis en plus de 2 000 comités. Ce fut la naissance de la démocratie-chrétienne.

 Les droites contre « la Sociale » (1906-1914)  

Durant ce long XIXe siècle politique, Gilles Richard nous rappelle, selon la tripartition rémondienne, qu’ensemble ou successivement, légitimistes, orléanistes et bonapartistes ont exercé le pouvoir jusqu’aux années 1870. Mais au seuil du XXè siècle, trois grands partis républicains modérés ont été créés : l’ARD, l’ALP et la FR (fédération républicaine) rassemblant la grande majorité des électeurs de droite. Ce début de siècle est aussi le moment durant lequel le mouvement ouvrier a tellement progressé qu’il peut enfin « imposer la question sociale comme une nouvelle priorité du débat politique national » (p. 124). Face aux grèves des années 1906-1910, les nationalistes, apparus avec la crise boulangiste, oubliant le « socialisme nationaliste » de Barrès et Maurras, ont alors choisi l’alliance avec les républicains modérés. Pourtant, deux ligues ont continué à avoir une existence autonome du courant nationaliste fondu dans ces trois partis : la Ligue des patriotes, restée attachée à la République et présidée par Barrès depuis la mort de Déroulède en 1914 et la Ligue d’action française sous l’influence de Maurras qui, naturellement, continuait à rejeter la République (« la Gueuse »).

Conclusion : Être de droite en 1914

Engagées dans un processus de profonde recomposition depuis les années 1880, les droites en 1914 restaient minoritaires dans le pays et au Parlement, où le parti radical occupait sans conteste la première place. Mais la Première Guerre mondiale allait bientôt bouleverser la société française et modifier le rapport des forces politiques.

Les droites de l’Union sacrée à la Révolution nationale : les impasses du nationalisme (1914-1944)

La seconde partie (p. 165-308) du livre met en avant deux événements comme symboles d’affrontement entre droites et gauches : la manifestation des ligues nationalistes du 6 février 1934 et la victoire du Front populaire au printemps 1936.

Les droites en guerre contre l’Allemagne. L’impasse du poincarisme (1914-1924)

Les droites, unies dans de nombreux départements sur les listes du « Bloc républicain national » sur une base programmatique nationaliste, se retrouvent majoritaires au sortir de la guerre lors des élections législatives de 1919. Avec 140 élus, l’Alliance républicaine démocratique (ARD) d’Adolphe Carnot est donc le grand vainqueur du scrutin. Une majorité vite perdue aux élections de mai 1924 face au « Cartel des gauches », coalition électorale sans accord de gouvernement entre radicaux, républicains socialistes et SFIO. Malgré leur prise de pouvoir, les droites ne surent pas s’entendre pour établir une stratégie unique et cohérente. D’un côté, les fondateurs à la Chambre de l’Entente républicaine démocratique (ERD) souhaitaient une fusion des droites dans une grande force hégémonique où l’on retrouverait d’anciens mélinistes aux côtés de ralliés mais aussi Barrès et quelques proches ainsi que quelques alliancistes. Ceux-là souhaitaient écarter les radicaux du pouvoir mais ne surent pas transformer le groupe composite de l’Entente en un parti homogène. Face à eux, l’ARD était partisane d’une alliance étroite avec les radicaux, toujours majoritaires au Sénat, sur la base du combat laïque commun en souhaitant à terme les intégrer dans un grand parti « central » modéré pour mieux écarter les « collectivistes » à gauche et les « réactionnaires » à droite. Des radicaux qui, même ébranlés pendant la Grande guerre et durant la forte période d’industrialisation des années 1920, demeurèrent une force politique incontournable jusqu’en 1940 et qui, par leur importance, représentaient un vrai dilemme pour les droites là où ces deux stratégies s’opposaient, celle de l’alliance préconisée par l’ARD ou bien celle du gouvernement sans ces derniers préconisée par la Fédération républicaine (FR).

Démocratie chrétienne, agrarisme, mouvement ancien combattant : les perturbations du clivage droites-gauches après la Grande Guerre (1919-1939)

À cette impossibilité de créer un grand parti de droite s’ajoute l’émergence de forces nouvelles qui ébranlèrent le système partisan établi à l’image des démocrates-chrétiens organisés dans le Parti démocrate populaire (PDP) créé en 1924 ou bien par l’apparition du parti agraire et paysan français (PAPF) créé en 1928. Les catholiques s’organisèrent d’abord en réaction à la volonté d’Édouard Herriot d’abolir le Concordat en Alsace-Moselle[8]. Le PDP ne devint jamais une grande force partisane, avec seulement une vingtaine de parlementaires, mais fût plutôt une force d’appoint dans les gouvernements de coalition menés par les droites. De son côté, concentré au milieu rural et en écho au renouvellement de l’action catholique, le parti agraire s’organisa pour défendre « la classe paysanne » en voulant répondre au malaise qui régnait au sein de cette population, celle-ci étant sous-représentée au Parlement, y compris au sein du parti radical. Des nouvelles forces apparurent donc au sortir de la Grande guerre, moment de politisation élargie et renouvelée des classes moyennes avec le mouvement des anciens combattants, mouvement d’une incroyable ampleur regroupant au total plus de 3 millions d’adhérents dans les diverses associations. Mais ces dernières n’échappaient pas aux clivages politiques, à l’image des deux plus grandes organisations qui regroupaient chacune 900 000 membres[9]. Même si les 6,5 millions de citoyens sortis vivants des tranchées sur les 8 millions de mobilisés représentaient près des deux tiers du corps électoral, une grosse moitié n’adhéra à aucune organisation mais une fraction croissante remit toujours en cause la République parlementaire.

Comment encadrer les masses ? Les droites à la recherche de nouvelles formes d’organisation (1924-1934)

À l’occasion des élections de 1932, les droites n’acceptèrent pas leur défaite car pour la troisième fois depuis 1924, Édouard Herriot forma de nouveau un gouvernement cartelliste. Ce sentiment de combat contre le second Cartel se propagea d’autant plus facilement que le phénomène ligueur était important dans une partie de la population ; phénomène qui concerna d’ailleurs peu les gauches, malgré quelques-unes comme la Ligue de l’enseignement, car elles avaient privilégié d’autres modes d’organisation, de la franc-maçonnerie au syndicalisme. Cependant, pour les droites, et plus particulièrement pour les nationalistes, les ligues leur permettaient, dans une volonté d’encadrement des masses, de conserver une plus grande autonomie vis à vis des trois grands partis : l’ARD, l’ALP (Action Libérale Populaire), la FR. Ces ligues qui ne sont pas nées entre les deux guerres mais au temps du boulangisme et de l’affaire Dreyfus et dont les deux principales furent les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, président de la Ligue des patriotes (LP) et député en 1919 et celles des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. S’exprimant pour crier leur haine du Cartel, elles démontrèrent aussi leur capacité à occuper la rue, tout particulièrement lors de la manifestation du 6 février 1934[10].

Comment briser le Front populaire ? (1934-1938)

Cet événement permit le retour de l’ARD et de la FR au pouvoir dans le gouvernement Doumergue après vingt mois d’opposition et eut l’effet d’un électrochoc à gauche. Leur union réalisée leur apporta la victoire en 1936. Ce fut le triomphe du Front populaire avec deux tiers des sièges acquis et, pour la première fois dans l’histoire parlementaire, les socialistes formèrent le groupe le plus nombreux avec 149 députés, offrant à Léon Blum le poste de Président du Conseil. L’histoire  politique partisane étant toujours faite de causes et d’effets, la réponse fut rapide à droite et deux mois plus tard – en conséquence aussi de l’interdiction des ligues – le colonel de la Rocque créa le Parti social français (PSF) dont la réussite fulgurante amorça une profonde recomposition des droites avec un programme qui se voulait être « une alternative cohérente au Front populaire qui revendiquait la lutte des classes, acceptait la grève générale et prônait l’intervention de l’État contre le pouvoir patronal  » (p. 267).

Les droites face au nazisme : le grand schisme (1938-1944)

L’entre-deux-guerres fut aussi un moment où les droites durent renouveler leur organisation dans une société désormais majoritairement urbaine et fortement politisée car comme le rappelle l’auteur, en 1938 le total des citoyens qui adhéraient à un parti représentait plus de 20% du corps électoral. Que ce soit alors par l’action du journaliste et homme politique Henri de Kerillis, qui fonda le Centre de propagande des républicains nationaux (CPRN) en 1926, ou par celle de François de La Rocque, qui transforma en 1936 son mouvement des Croix-de-Feu en un parti politique inscrit dans le cadre constitutionnel avec le PSF, les droites furent donc contraintes de repenser leur existence. Au seuil de la Seconde guerre mondiale, la division était toujours bien réelle, à tel point que la Fédération républicaine et l’Alliance démocratique étaient en difficulté, leurs 225 élus à la Chambre s’éparpillant en dix groupes différents ; le grand parti devant unifier toutes les tendances n’existant toujours pas. Face à cet éparpillement parlementaire, le PSF, fort de ses 1,2 million de membres en 1939 mais faible de sa non-existence parlementaire, fut tout de même le plus grand parti politique qui n’ait jamais existé en France. Le déclenchement de la guerre empêcha le colonel de la Rocque de bien mesurer les forces de son parti mais l’unité derrière un seul et grand parti n’était pourtant pas acquise. Cependant, lors de la Débâcle de 1940, « les droites, encore hantées depuis 1936 par le spectre de « la Sociale », se rassemblèrent presque unanimement derrière Philippe Pétain » (p. 141).

Conclusion : Être de droite en 1944

Le régime de Vichy aurait pu emporter dans son naufrage l’ensemble des droites mais un certain nombre d’individus de droite issus de la Résistance (Daniel Cordier) attachés aux valeurs de la démocratie républicaine et parlementaires la sauvèrent en 1944 (Antoine Pinay).

Face au « danger communiste » : L’insurmontable rivalité entre gaullistes et libéraux (1944-1974)

La troisième partie (p. 309-466)  du livre se concentre sur un autre moment de l’histoire des droites, de l’après-guerre à l’élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d’Estaing. Ce moment est marqué par la hantise des droites de voir le parti communiste prendre la tête d’un nouveau front populaire, ce dernier étant au sommet de son influence avec 800 000 membres en 1946. Durant ces trois décennies, le principal combat des droites fut alors de lutter contre celle-ci. L’importance des gaullistes et des libéraux durant cette période eut pour corollaire l’effacement des autres formations nées avant-guerre comme la Fédération républicaine – entrée au Conseil national de la résistance mais qui s’étiola rapidement – ou bien l’Alliance démocratique, dont son président Pierre-Etienne Flandin resta détenu jusqu’en 1946 pour avoir participé au gouvernement de Vichy de décembre 1940 à février 1941 et qui se maintint tant bien que mal pendant que beaucoup rallièrent le Parti républicain de la liberté (PRL), un parti fondé par d’anciens partisans du colonel de La Rocque, stagnant à une trentaine de députés et qui ne put absorber totalement les anciennes formations de droite (Fédération républicaine, Alliance démocratique, parti agraire, Parti radical indépendant).

 La recomposition des droites à la Libération (1944-1948)

Après un bref apogée des démocrates-chrétiens dans l’immédiat après-guerre avec le Mouvement républicain populaire (MRP), créé en novembre 1944 autour de Georges Bidault, qui obtint 165 députés lors des élections législatives de 1946. Malgré un certain nombre de protestants, de juifs et d’agnostiques, le MRP s’enracina prioritairement dans l’électorat catholique, appuyé par les évêques et les congrégations. L’affrontement entre les deux principales familles politiques, gaullistes et libéraux, s’installa donc très vite ; la première née dans la Résistance puis devenue rapidement un parti politique dès 1947 avec la création du Rassemblement du peuple français (RPF) par le général de Gaulle.

Vers un parti conservateur français ? L’essor du CNIP (1948-1958)

Le gaullisme partisan connut un succès rapide grâce à son créateur dès les élections municipales d’octobre 1947 avec 40% des suffrages exprimés dans les villes de plus de 9 000 habitants contre 30% pour les listes communistes, la fondation du CNIP en février 1951, ne s’ancra réellement que sept ans plus tard grâce au grand succès des élections cantonales de 1958 en dépassant le PCF en nombre de suffrages, pourtant « premier parti de France » depuis la Libération. Le CNIP devint incontournable pour constituer une majorité à l’Assemblée, progressant constamment au détriment des gaullistes et devint ainsi la première force au Parlement dès 1954. Le porte-drapeau du CNIP fut Antoine Pinay, le plus populaire président du Conseil de la IVe République. Atlantiste, européiste signant le traité de communauté européenne de défense (CED), prônant l’amnistie générale régulièrement réclamée par le CNIP avec le dépôt d’un projet de loi permettant la levée de la plupart des condamnations prononcées depuis la Libération, son anticommunisme se traduisit par une politique de consommation de masse afin de transcender la lutte des classes, une réponse directe à un PCF qui défendait alors la thèse de la « paupérisation absolue » de la classe ouvrière.

L’arrivée des gaullistes au pouvoir. Douloureuse sortie de guerre en Algérie et réforme de l’État (1958-1962)

La guerre d’Algérie et la crise de 1958 provoquèrent le retour du général de Gaulle, soutenu par le CNIP alors à l’apogée de son influence, pourtant adversaire de ce dernier depuis 1948. Ce soutien lui sera néfaste car l’Union pour la nouvelle république (UNR), née le 1er octobre 1958 le détrônera lors des élections législatives de novembre 1958 avec 3,5 millions de suffrages pour 176 élus devant les 120 élus du CNIP. Pourtant, l’UNR portait en elle le péché originel du conflit algérien car les sept mouvements différents qui la constituaient étaient tous attachés à l’Algérie française. Du côté des nationalistes, ces derniers étaient réduits à un maigre état électoral après l’installation du gaullisme au pouvoir (5% des suffrages exprimés lors des présidentielles de 1965 pour Tixier-Vignancourt) et la fondation en janvier 1966 de l’Alliance républicaine pour la liberté et le progrès (ARLP) qui obtint un score dérisoire aux législatives de 1967, à peine supérieur à ceux d’organisations nationalistes concurrentes comme le Rassemblement européen pour la liberté (REL) dont le fondateur, Dominique Venner, associé à des militants d’Occident et de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) avait lancé en 1965 la revue Europe Action d’où sortit en 1968, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE).

Une République gaullienne ? (1962-1968)

Après leur disparition face aux gaullistes, les libéraux font leur retour par la voix du jeune Valéry Giscard d’Estaing, ce dernier œuvrant d’abord à la constitution du groupe parlementaire des Républicains indépendants (RI), offrant pourtant alors dans un premier temps une majorité stable aux gaullistes. Ce retour s’accrut progressivement à l’occasion du deuxième gouvernement Pompidou dans lequel trois anciens du CNIP obtinrent un ministère dont Giscard lui-même aux Finances. Mais l’alliance entre les Républicains indépendants et les gaullistes s’étiola à partir de la  présidentielle de 1965, ce qui eut pour conséquence le départ, voulu par le président de Gaulle, du ministre des Finances. Ce dernier eut alors toute liberté pour critiquer et commenter l’action et les choix politiques du général et il prit la tête de la Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI), structure partisane du groupe parlementaire RI. Le point de bascule commença à apparaître dès les élections législatives suivantes où l’UNR perdit des sièges, passant de 233 à 200 députés quand le groupe des RI augmenta lui, de 35 à 42 élus. Devenu plus que jamais indispensable, leur leader obtint la présidence de la commission des Finances. Une reconquête du pouvoir qui ne cessa jamais car sous la présidence du gaulliste Georges Pompidou, on retrouva sept ministres et secrétaires d’État sur trente-neuf, une présence jamais atteinte depuis 1958.

Les droites face à la contestation sociale généralisée (1968-1974)

La « République gaullo-libérale », ainsi dénommée par Gilles Richard pour comprendre cette période allant de 1958 à 1974 pendant laquelle gaullistes et libéraux furent alliés dans un rapport de force qui évolua des premiers aux seconds avec comme point de bascule la crise de mai 68, fut finalement pleinement incarnée par Georges Pompidou. L’élection présidentielle de 1974 vit la fin de cette « République gaullo-libérale » et l’arrivée à l’Élysée de Valéry Giscard d’Estaing installa jusqu’à nos jours l’hégémonie des libéraux sur la vie politique française.

Conclusion  : Être de droite en 1974 (p. 249-254)

Cette période est marquée par la concurrence entre le gaullisme, qui fait de la grandeur de la France le point cardinal de sa politique, et le libéralisme qui considère les principes du capitalisme comme les plus sûrs fondements de la vie en société, pas de fusion possible.

Les droites depuis 1974 : nationalistes contre libéraux à l’heure de l’intégration de la France dans l’Union européenne (1974-2016)

Les droites s’imposent résolument dans l’ensemble du paysage politique à partir des années 1970-1980 en se recomposant autour de deux blocs. Le premier s’est constitué autour d’une droite libérale face à la droite gaulliste de 1945 à 1974 et le deuxième, au tournant de l’élection de 1974 lorsque la droite libérale, qui regroupe les centristes et des héritiers du gaullisme autour de l’Europe, s’oppose à la droite nationaliste incarnée par le Front national, après sa percée en 1984. La quatrième et dernière partie (p. 467-672) de l’essai commence avec cette élection charnière de 1974 et analyse cette nouvelle opposition qu’est le FN.

Le septennat giscardien. L’entrée de la France dans l’ère du chômage de masse (1974-1981)

Le septennat de Giscard n’arrêta pas pour autant l’opposition entre les gaullistes et les libéraux. La mécanique partisane se réajuste alors en fonction de ce nouveau contexte politique[11] sans empêcher la lente érosion du gaullisme. Un pluralisme organisé vit le jour avec la reprise de l’UDR par Jacques Chirac, après la défaite de Chaban-Delmas, alors que Michel Poniatowski prit la  présidence de la FNRI avant la création d’un nouveau parti, le Centre des démocrates sociaux (CDS), fusion du Centre démocrate (CD) et du Centre démocratie et progrès (CDP) présidé par Jean Lecanuet. Cette tectonique des plaques dans le monde des droites conduit au divorce lors de la démission de Jacques Chirac de son poste de Premier ministre ; ce dernier devenant enfin libre de transformer l’UDR en un nouveau parti gaulliste, le Rassemblement pour la République (RPR) le 5 décembre 1976, véritable machine de guerre électorale pour mener la prochaine bataille présidentielle. La réponse des giscardiens survint le 1er février 1978 avec la création de l’Union  pour la démocratie française (UDF), afin d’attribuer des investitures giscardiennes dans chaque circonscription. Pari réussi car le RPR perdit alors une trentaine de sièges par rapport à l’UDR en 1973 et l’UDF, qui rassemblait les principales composantes non-gaullistes de la majorité, en gagna une dizaine.

Du « changement » à la « rigueur » (1981-1984). Le grand renoncement des gauches et le surgissement du Front national

Malgré ces préparatifs au sein des droites, l’élection de François Mitterrand en 1981 ramena la gauche au pouvoir, ne laissant pas pour autant les droites dans une longue atonie. Leur action dans l’opposition fut diverse, de la dénonciation des mesures gouvernementales par le biais de la presse et des radios périphériques aux luttes par de grandes manifestations de rue (contre les projets du ministre de l’Éducation nationale Alain Savary) ou encore par un travail d’obstruction parlementaire opéré par de multiples élus en déposant de très nombreux amendements. Dans le monde politique partisan, et après la défaite de son leader, l’UDF eut des difficultés à poursuivre l’union des giscardiens, démocrates-chrétiens, radicaux valoisiens, sociaux-démocrates, ainsi que des clubs Perspectives et Réalités et des « adhérents directs » (militants entrant à l’UDF sans passer par l’un des partis qui la composaient). La pensée néolibérale continua à se développer, portée dorénavant par le RPR. Ce rassemblement idéologique entre les gaullistes et l’l’UDF se fixa dans un moment politique alors que la gauche socialiste au pouvoir souhaitait « moderniser » l’économie du pays (Cf. au président Mitterrand). Mais le fait que des droites de gouvernement portent quasiment le même projet idéologique et que des gauches n’apparaissent plus qu’avec des différences mineures face à elles eut comme conséquence le retour des nationalistes.

Le temps de l’« alternance » et des « cohabitations »  (1984-2002). Émergence de la question nationale et enracinement du Front national

Incapables de promouvoir durablement leur vision du monde pendant un siècle, les nationalistes vont se créer une structure politique afin de toujours pouvoir participer aux combats électoraux pour mieux occuper le terrain idéologique du nationalisme. Libérés par la mort du général de Gaulle, ils créent le Front national en 1972. Un FN dont la volonté fut de s’inscrire dans l’histoire longue du nationalisme français avec ses symboles, ses références et ses héros. Malgré des débuts électoraux très discrets, le FN entra pleinement dans le système politique à partir des élections européennes de 1984 mais l’adoption du scrutin proportionnel de 1986 permit à l’UDF et au RPR d’éviter de se prononcer officiellement sur une alliance avec le FN. Même si Chirac put former un gouvernement sans l’aide des députés frontistes, sa politique de mise en œuvre d’une partie de leur programme légitima après coup les nationalistes et leurs idées. Le RPR eut, durant les premières années de succès électoraux du FN, une attitude ambivalente, parfois proche de ses thèmes favoris et dont l’électorat principal (artisans, petits  patrons et commerçants) était aussi celui du parti gaulliste, mais également parfois plus éloignée comme lorsqu’après sa défaite du 5 mai 1988, Chirac fut définitivement convaincu que la ligne néolibérale prônée par Balladur et Juppé était la meilleure pour l’emporter. Le 8 septembre 1988, le bureau politique du RPR refusa officiellement tout accord politique avec le FN.

La décennie sarkozyste ou l’impossible synthèse entre néolibéralisme et nationalisme (2002-2012)

Après le 21 avril 2002, le RPR se fondit dans une alliance plus large dans laquelle ses artisans souhaitaient toujours la création d’un grand parti de droite hégémonique. Ce fut la création de l’UMP, d’abord « Union pour la majorité présidentielle » afin de donner une large majorité au  président Chirac à l’Assemblée. Avec 362 députés élus, jamais aucun groupe parlementaire n’avait totalisé plus de 300 sièges. L’UMP, devenue l’« Union pour un mouvement populaire », mêle alors diverses familles politiques avec les libéraux, dominants depuis les années 1980, mais aussi des « gaullistes » ainsi que des démocrates-chrétiens, les radicaux valoisiens et des écologistes passés par Génération écologie. L’UMP se trouve alors « maîtresse de l’Exécutif, de l’Assemblée, du Sénat mais aussi du Conseil constitutionnel et était donc en position de force pour mettre en œuvre son programme » (p. 583) néolibérale dont la politique économique fut amorcée par Raymond Barre 25 ans plus tôt, avec une volonté méthodique de détruire l’héritage du Conseil National de la Résistance (CNR) instauré entre 1945 et 1962 (allègement de l’impôt sur le revenu, « assouplissement » des 35 heures, etc). Mais malgré des revers électoraux aux élections intermédiaires cantonales, régionales, européennes et au référendum pour le Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005, la droite libérale garda le pouvoir en 2007. Le candidat Sarkozy alliant parfaitement néolibéralisme et nationalisme dans une droite qu’il souhaitait « décomplexée » permit à l’UMP de l’emporter, celle-ci restant ainsi maître de l’exécutif et du législatif avec néanmoins, une majorité moins large. Les réformes néolibérales continuèrent avec la « loi TEPA » d’août 2007 (défiscalisation des heures supplémentaires, baisse du « bouclier fiscal » au  profit des plus grandes fortunes) ; loi LRU pour « Libertés et responsabilités des universités » promulguée en août 2007 ; « loi de modernisation économique » inventant en 2008 le statut d’auto-entrepreneur ; etc. Une multitude de réformes néolibérales qui a pu paraître désordonnée mais qui avait sa propre logique anti-CNR, révélée par l’un des vice-présidents du Medef d’alors, Denis Kessler.

Mais si Nicolas Sarkozy réussit « à imposer une néolibéralisation accélérée de la société » selon Gilles Richard, il « échou [a] à affaiblir le PS et à s’emparer des forces du Front national, conditions  pourtant indispensables pour faire de l’UMP une force hégémonique capable de gouverner le pays dans la durée » (p. 616) car le PS, grâce à une certaine vigueur retrouvée à l’occasion de ses primaires de 2011 emporta l’élection présidentielle de 2012. Nicolas Sarkozy fût ainsi le deuxième président sortant à ne pas réussir sa réélection malgré une hégémonie en suffrages exprimés mais dans un éclatement des candidatures. Si au premier tour, les droites additionnèrent 20 millions de voix face aux 15,6 millions pour les gauches, le second tour fut favorable au candidat François Hollande. Ce dernier  porta le parti socialiste au pouvoir mais pour l’inscrire dans la continuité du grand renoncement à « changer la vie » officialisée en 1984 par François Mitterrand. Cette défaite affaiblit l’UMP qui était censée fédérer toutes les droites. L’« Union des démocrates et indépendants » (UDI), d’abord groupe parlementaire formé en juin 2012, s’est alors transformé en parti politique trois mois plus tard en regroupant le parti radical de Jean-Louis Borloo, le Nouveau Centre-Parti social libéral européen, l’Alliance centriste de Jean Arthuis, la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel, la Convention démocrate et le CNIP de Gilles Bourdouleix sous la présidence de Jean-Louis Borloo  puis de Jean-Christophe Lagarde. À l’inverse de Sarkozy qui souhaitait poursuivre sa synthèse entre néolibéralisme et nationalisme, l’UDI refusait tout discours nationaliste contraire à son idéal européiste, idéal associé à une plus grande préoccupation écologique. Une vision de la droite plus giscardienne que sarkozyste en somme. La liste UDI-Modem aux européennes de 2014 recueillit presque 2 millions de suffrages, soit la moitié de ceux recueillis par l’UMP. Mais aux départementales de 2015, l’UDI fit alliance avec l’UMP, ce qui leur apporta la majorité des départements lorsque l’UMP seule n’en eut plus que 41. Sarkozy entama ensuite la procédure pour changer le nom du parti, l’UMP devint Les Républicains (LR).

Depuis 2012, La France à l’heure du clivage entre « patriotes et mondialistes » ? (2012-2016)

Le FN, l’opposant des libéraux dans cette bipolarisation au sein des droites, vit de son côté son dynamisme électoral ainsi que son enracinement local ne cesser de croître depuis les cantonales de 2011. Une ascension électorale qui se confirme toujours, du triplement des suffrages entre les législatives de 2007 et 2012 aux élections municipales de 2014 avec plus d’une dizaine de mairies conquises. Le résultat de cette assise territoriale, et donc de la multiplication d’élus locaux, fut l’élection de deux sénateurs FN, une première dans l’histoire du parti. Puis les européennes de 2014 le virent devenir le « premier parti de France » en termes de suffrages exprimés avec 25% des voix, succès qu’il réitéra lors des élections départementales et régionales de 2015. Le Front national de Marine Le Pen acquis, au fil de ces différents scrutins, un électorat stable, diversifié et fidèle. Un FN antimondialiste et antilibéral hostile au « système économique » voulant réformer l’Union européenne en restaurant ses frontières par un « protectionnisme raisonné » en revenant à une « Europe des patries ». Ce discours est associé à d’autres mesures en politique intérieure grandement puisées à gauche comme la hausse du SMIC et la retraite à 60 ans. Un autre aspect fondamental soulevé par Gilles Richard est la dénonciation par le FN de « l’islamisme » comme principal danger que le pays doit affronter avec pour contexte, outre les attentats islamistes perpétrés sur le territoire national, des « flux migratoires » plus importants dus à une extrême instabilité politique au Proche-Orient et au Sahel. Ces deux phénomènes permettent alors à Marine Le Pen de mieux mêler « les Arabes » et « les musulmans » dans un amalgame, les excluant d’une civilisation chrétienne, blanche et européenne, dans une stratégie « nationale-républicaine » résolument mise en œuvre depuis 2011 et se révélant électoralement gagnante.

Conclusion : Être de droite en 2014

Cet essai redonne toute sa place aux partis politiques. Tout au long de ces deux siècles d’histoire, le lecteur peut constater l’importance des partis qui organisent et animent la vie politique, faite de débats et de confrontation d’idées. La notion de « famille politique » prend alors tout son sens dans ce renouveau historiographique pour comprendre notre histoire politique car, naturellement plus englobante que la simple structure partisane. Et c’est donc sur ce substrat historique, redécouvert grâce à cette histoire générale des droites, que l’auteur dresse un tableau regroupant huit familles politiques apparues successivement sur la scène politique : légitimistes, orléanistes, bonapartistes, libéraux, nationalistes, démocrates-chrétiens, agrariens et gaullistes dont certaines sont en déclin voire en phase d’extinction définitive.

Conclusion : La fin du clivage gauche(s)-droite(s) ?

Lorsque l’auteur signe la conclusion de son ouvrage en décembre 2016, il se risque à un pronostic : Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont les deux candidats déclarés qui incarnent le mieux les deux pôles du clivage politique central, l’un représentant les nationalistes et l’autre les libéraux ; deux candidats qui devraient incarner le choix des électeurs pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017.

Postface : Déconstruction et reconstruction des droites depuis 2017 – Réflexions sur l’état d’un chantier inachevé

Dans sa postface (p. 673-700). rédigée en juin 2023, Gilles Richard  confirme la conclusion de décembre 2016 en affirmant la fin du clivage gauches-droites par un affrontement entre deux familles qui relèvent des droites – libéraux et nationalistes – qui ont marginalisé les gauches françaises jusqu’à aujourd’hui, voire jusqu’en 2027 ? (Néolibéraux européistes contre nationalistes identitaires, le clivage politique principal, p. 674-678). Ensuite, Gilles Richard explique la stratégie politique d’E. Macron qui a instauré un « extrême centre » provoquant ainsi une « extrême droite » nationaliste et une « extrême gauche » populiste (Emmanuel Macron, un président « progressiste », p. 679-686). L’auteur entreprend une analyse de l’action politique de Macron, résolument européiste et néolibérale (Le « progressisme » en action ou la poursuite des politique néolibérales, p. 686-692). À travers les évènements entre 2016 et 2023 (Gilets jaunes, crise sanitaire du Covid-19, etc.), l’historien constate l’échec des gouvernants néolibéraux face à la montée électorale inexorable des nationalistes qui ont su imposer la question identitaire comme question politique centrale pour la France (Les nationalistes aux portes du pouvoir ?, p. 692-700).

 

Histoire des droites en France de 1815 à nos jours de Gilles Richard : le nouvel ouvrage de référence  sur l’histoire des droites en France

A l’occasion de sa parution en poche (Tempus aux éditions Perrin) justifiant une édition revue (pour les notes et la bibliographie) et augmentée par une postface rédigée en juin 2023, nous considérons l’ouvrage de 784 pages de Gilles Richard comme une somme fort bien écrite par son style clair et très didactique par sa structure. En renouvelant et en dépassant la pensée rémondienne, cet essai devient le nouvel ouvrage de référence sur l’histoire des droites en France. Ce dernier s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à l’histoire politique de la France sans oublier les étudiants en histoire ou en sciences politiques cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2, voire de thèse.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)

[1] Gilles Richard, Le centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962, ou l’échec de l’union des droites françaises dans le parti des modérés, thèse dirigée par Serge Berstein, 1998, publiée aux Presses universitaires du septentrion, 2000. Il a aussi dirigé de nombreux ouvrages dont, avec Jacqueline Sainclivier, La recomposition des droites françaises à la Libération, 1944-1948, PUR, 2004 ; avec Olivier Dard, Les droites et l’économie en France au XXe siècle, Riveneuve éditions, 2011 ; avec Sylvie Guillaume et Jean-François Sirinelli, Histoire de l’UDF. L’Union pour la démocratie française, 1978-2007, PUR, 2013.

[2] René Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique, Paris, Aubier, 1954.

[3] René Rémond, La Droite en France, de la première Restauration à la Vè République, Paris, Aubier, 1963 puis 1968.

[4] René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier, 1982.

[5] René Rémond, Les Droites aujourd’hui, Paris, Louis Audibert, 2005. Les familles « légitimistes », « orléanistes » et « bonapartistes » sont maintenant dénommées « traditionalistes », « libéraux » et « gaullistes ».

[6] Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, 3 vol.

[7] L’auteur dégage « trois questions centrales successives » qui structurent les XIXe et XXe siècles : « la question du régime » posée par les républicains (1789-1871), « la question sociale » posée par le mouvement ouvrier (1871-1980) et enfin « la question nationale » posée par les nationalistes (1980 à nos jours).

[8] La réaction se poursuivit chez les anciens combattants au sein de la Ligue pour la défense des droits du religieux ancien combattant (DRAC) et la Ligue nationale des prêtres anciens combattants (PAC), regroupées dans la Fédération nationale catholique (FNC), forte de 1,8 million de membres. À ces mouvements s’ajouta aussi le renouvellement du militantisme de l’ACJF (Action catholique de la jeunesse française) avec la création de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), la Jeunesse agricole catholique (JAC), la Jeunesse étudiante catholique (JEC), la Jeunesse maritime catholique (JMC). Toutes ces organisations, étroitement encadrées par des aumôniers, avaient leurs doublures féminines (JOCF, JACF, etc.) mais aussi au niveau syndical avec la création de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) en mars 1919.

[9] Création de l’Union nationale des combattants (UNC) en novembre 1918 à l’instigation de Clémenceau. En 1920, l’UNC, généreusement soutenue par la compagnie ferroviaire du PLM, aida le gouvernement Millerand à briser la grève des cheminots. L’Union fédérale des blessés, mutilés, réformés, anciens combattants de la Grande Guerre, veuves, orphelins et ascendants, née pendant le conflit à l’initiative de soldats blessés, a dès le départ conçut son action sur un mode syndical. L’Union fédérale (UF), 950 000 membres en 1939, porta les revendications des anciens combattants, entrainant souvent l’UNC derrière elle.

[10] Plusieurs milliers de ligueurs nationalistes attaquèrent les forces de l’ordre, le bilan humain fut lourd avec 15 manifestants morts sur le pont de la Concorde devant le Palais-Bourbon et plus de 1 400 blessés. Le basculement fut évité car les 10 à 12 000 Croix-de-Feu qui avaient manifesté séparément des émeutiers de la Concorde reçurent l’ordre du lieutenant-colonel de la Rocque de ne pas intervenir dans les affrontements entre les émeutiers et les forces de l’ordre.

[11] Contexte marqué par la domination culturelle néolibérale de « l’École de Chicago » dans le monde anglo-saxon emmenée par Milton Friedman et représentée politiquement par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. En France, l’économiste néolibéral Raymond Barre est nommé Premier.