Un livre d’actualité 

 On le sait, suite au mouvement de protestation des agriculteurs de l’hiver 2024, le syndicalisme agricole majoritaire (FNSEA, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, et JA, Jeunes agriculteurs) est parvenu à imposer son cadrage des revendications. Nombre de difficultés du monde paysan trouveraient, selon ces syndicats, leur origine dans les normes environnementales imposées par l’Union européenne et les pesticides seraient indispensables à une agriculture productive. Un des intérêts de l’ouvrage de Jean-Noël Jouzel et Giovanni Prete est de rappeller, si nécessaire, les méfaits de ces produits pour la santé de leurs utilisateurs.

Une enquête au long cours

Ces auteurs retracent, en effet, le long combat d’une poignée d’agriculteurs, pour la plupart tenants du modèle productiviste, victimes des pesticides qui ont constitué l’association Phyto-victimes en 2011. Les deux sociologues ont mené, avec empathie, une enquête approfondie afin de comprendre les ressorts de l’engagement de ces producteurs ainsi que la singularité du combat mené par ce mouvement face à une « épidémie invisible »Ces auteurs ont publié de nombreux articles sur ces questions et le précédent livre de J.-N. Jouzel s’intitule Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait, Presses de Sciences Po, 2019.. Dans un prologue argumenté, les auteurs montrent que si les pesticides ont été massivement utilisés depuis le début des années 1960, il faut du temps avant que leurs effets nocifs sur la santé apparaissent. Par ailleurs, longtemps les données scientifiques étaient limitées et ce n’est que récemment que des études épidémiologiques ont permis « de démontrer que l’exposition professionnelle aux pesticides constitue un facteur de risque statistiquement significatif pour plusieurs pathologies chroniques : maladie de Parkinson, hémopathies malignes, cancer de la prostate ». Enfin, ce n’est qu’en 2001 que les exploitants agricoles se sont vu imposer de contracter auprès de la MSA une assurance accidents du travail et maladies professionnelles qui ouvre à la profession l’accès à la reconnaissance de maladie professionnelle.

Tout ceci explique que ce n’est qu’après 2010 que des exploitants agricoles victimes des pesticides en lien avec d’autres acteurs ont impulsé une association de défense.

Une coalition « improbable »

Les auteurs soulignent le fait que rares ont été, au début, les victimes des pesticides à s’avouer telles. Et moins nombreuses encore celles qui ont rejoint l’association qui a fait de la reconnaissance de l’existence de maladies professionnelles liées à l’utilisation de ces produits sa cause. Il a fallu pour la plupart des exploitants agricoles qui se sont engagés, que la Mutualité sociale agricole (MSA) refuse un temps de les reconnaître comme tels et que des membres de leur famille les soutiennent activement. Il a fallu aussi que ces agriculteurs rencontrent ce que les auteurs appellent des « victimisateurs ». En effet, la rencontre avec des militants écologistes (de Générations futures), des journalistes et des avocats, a été décisive dans la création de Phyto-victimes. Cette alliance est jugée « improbable » par les auteurs car des agriculteurs malades, partisans du modèle productiviste et qui veulent ménager le syndicalisme agricole majoritaire, ont pour alliés des acteurs hostiles au productivisme et plutôt favorables à l’agriculture biologique.

Une coalition sous tension

               Le caractère improbable de cette coalition entraine de réelles tensions que les uns et les autres tentent de contenir dans un partage des rôles qui s’affirme peu à peu. D’autres sources de désaccords, apparaissent néanmoins : entre les salariés, qu’ils soient agricoles ou travaillent dans des firmes, et les exploitants agricoles mais aussi entre riverains et agriculteurs. Ce qui donne parfois lieu à l’émergence d’autres associations sur ces questions.

Des résultats significatifs

               Après plus de dix ans de combats, des questions nouvelles apparaissent. Qu’est-ce qui explique la faible part des femmes parmi ceux qui s’affirment victimes des pesticides ? Quel modèle d’exploitation transmettre à ses enfants ? Comment soutenir celles et ceux qui dans les Antilles sont confrontés au scandale du chlordéconeVoir : Jessica Oublié – Nicola Gobbi, Kathrine Avraam, Vinciane Lebrun, Tropiques Toxiques : le scandale du chlordécone ? A l’heure des bilans cependant, même si elles sont fragiles, limitées et donnent lieu à contestations de la part de tenants du modèle productivisteLe Monde avec AFP, le 10 février 2023, « Agression de Paul François, l’agriculteur qui a fait condamner Monsanto, le parquet ouvre une enquête pour « violences en réunion », Paul François a été le premier président de cette association., des avancées ont été obtenues par un certain nombre d’agriculteurs victimes des pesticides.

 

Un livre très utile pour tous ceux intéressés par les questions agricoles et environnementales, qui veulent comprendre pourquoi la critique des pesticides a été si tardive. Ouvrage d’autant plus intéressant que cette question est très probablement appelée à rebondir dans les années à venir. Il n’est pas prouvé, en effet, que la défense des pesticides protège de la maladie ni que la critique des normes environnementales fasse pleuvoir.