32 ans après un numéro d’Hérodote consacré à la « Géopolitique de la mer », cette dernière se trouve plus que jamais au centre d’enjeux géopolitique et géostratégique mais aussi écologique (réchauffement climatique, pollutions…) et économique (mondialisation des échanges maritimes…).

Le premier article d’Hugues EUDELINE (LE TERRORISME MARITIME, UNE MENACE RÉELLE POUR LA STABILITÉ MONDIALE) est particulièrement rigoureux et définit les termes avec précision. Le terrorisme est une forme de violence politique qui met en œuvre une stratégie destinée à déstabiliser l’opinion publique. Les océans sont particulièrement adaptés aux opérations terroristes, notamment le long de la grande route de circumnavigation, qui transporte les richesses du monde. On peut distinguer 2 grandes catégories de terrorisme. Le terrorisme stratégique choisit des cibles pour les effets possibles sur le système économique mondial, d’un pays ou d’une région. Ce type de terrorisme nécessite une capacité organisationnelle élevée. Le terrorisme tactique forme une seconde catégorie avec des actions plus fréquentes et plus visibles. L’auteur propose d’étudier les principales zones du terrorisme maritime où apparaissent ces deux catégories. 1. Le narcoterrorisme est très présent dans les Caraïbes. Le trafic de drogue y est organisé par les armées révolutionnaires (FARC ou l’ELN) à partir de la Colombie (1er producteur mondial). 2. Le terrorisme maritime autour de la péninsule Arabique est d’abord islamiste. Un des objectifs peut être l’attaque des flux d’hydrocarbures : le Limbourg au Yémen chargé de 400 000 barils de pétrole en 2002. Les bâtiments de guerre sont également visés : la frégate lance-missiles USS Cole à Aden en 2000. Les shebabs somaliens, Al Qaïda ou l’EI au Sinaï contre la marine égyptienne utilisent actuellement un terrorisme plus tactique. 3. Au Sri Lanka, les LTTE ont constitué une sorte de maturité du terrorisme maritime. Ils possédaient une panoplie de modes d’action et un matériel nombreux et efficace. Les Sea Pigeon avaient leurs propres navires pour le transport d’armes et d’équipement (environ 44 navires en 2009). Les Sea Tigers constitués de 6000 marins utilisaient des semi-submersibles pour organiser des attaques suicides. 4. Le pétroterrorisme du golfe de Guinée débute par le pillage d’hydrocarbures (bunkering) dès 1956. Le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger organise des actions bien plus violentes en 2006-2009 contre les plates-formes pétrolières ou les réseaux. Les pertes sont estimées à 1000 milliards de dollars par mois. La production est actuellement au plus bas depuis 30 ans. 5. Le terrorisme maritime en Asie du Sud-Est touche l’Indonésie (mouvement islamiste Jemaah Islamiyah) et les Philippines (prises d’otages pour rançons par Abou Sayyaf). Enfin l’auteur insiste sur l’apparition de nouvelles menaces : attaque de stations balnéaires ou de croisières, cyberterrorisme contre les aides à la localisation (GPS/AIS/ECDIS), menaces NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). Camille MOREL donne un exemple précis de ces nouvelles menaces (MENACE SOUS LES MERS : LES VULNERABILITES DU SYSTEME CABLIER MONDIAL). A l’été 2016, un navire câblier est pour la première fois attaqué en mer Rouge. La fibre optique est en effet le vecteur principal de l’économie mondiale connectée. 99% des informations d’Internet sont transmises par le réseau sous-marin. Les réseaux sont ainsi devenus des systèmes essentiels et les câbles sont des infrastructures critiques. Le coût d’une coupure du réseau sous-marin est estimé à 1,5 million de dollars par heure. La corrosion, les séismes, les ancres des navires, les filets de pèche sont des causes fréquentes d’usure ou de rupture de câbles sous-marins. Mais une cyberattaque serait également possible. Au large d’Ouessant, un prototype d’hydrolienne a ainsi subi une attaque informatique en 2016 interrompant sa production d’électricité pendant une semaine. Sécuriser le réseau sous-marin mondial est donc devenu primordial mais nécessite des mesures à échelle globale

Les articles de Pierre ROYER (LES ETATS-UNIS, MAÎTRE DES MERS), de Jean-Sylvestre MONGRENIER (POUTINE ET LA MER. FORTERESSE « EURASIE » ET STRATÉGIE OCÉANIQUE MONDIALE), de Sébastien COLIN (LES MERS LOINTAINES, NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA PUISSANCE HALIEUTIQUE CHINOISE ?), de Jean-Luc RACINE (LA NOUVELLE GEOPOLITIQUE INDIENNE DE LA MER : DE L’OCEAN INDIAN A L’INDO-PACIFIQUE), de Philippe PELLETIER (LE JAPON ET LA MER, GRANDEURS ET LIMITES) et de Jean DUFOURCQ (LA FRANCE ET LA MER : APPROCHE STRATÉGIQUE DU RÔLE DE LA MARINE NATIONALE) permettent ensuite de faire un tour d’horizon de la géopolitique maritime et navale mondiale. L’US NAVY est la 1ère flotte mondiale depuis les années 1940 et reste un instrument majeur de la politique extérieure américaine. Aujourd’hui, son tonnage correspond au total des 6 autres flottes les plus importantes du monde. Sa suprématie est technique (construction navale, moyens de détection, armements,…), économique et géopolitique. En Russie, Vladimir Poutine a décidé de réagir à la « démaritisation » pour sécuriser des approches maritimes et ainsi permettre le développement portuaire et l’insertion dans l’espace mondial. Dans le « bastion stratégique nord », l’objectif est de développer les littoraux de l’océan Glacial Arctique et les infrastructures militaires russes en Baltique. Dans le « bastion stratégique sud » en Mer Noire, le rattachement de la Crimée le 18 mars 2014 (1000 km supplémentaires de littoral) modifie la situation géopolitique et l’équilibre des forces. La Chine établit sa stratégie nationale de développement maritime en 2012. L’objectif principal est de renforcer le contrôle et la présence militaire dans les mers de Chine pour défendre ses revendications territoriales et maritimes, mais aussi de pouvoir projeter des forces navales. Le développement de l’économie maritime est aussi un volet important de la puissance maritime. En 2014, la Chine possède la 1ère flotte mondiale et 9 ports sont chinois dans les 18 principaux ports de conteneurs. La Chine contrôle aussi 37% de la construction navale. En 2014, la Chine est enfin la 1ère puissance halieutique mondiale avec 60% de la production aquacole mondiale et 8 % de la production de pêche marine. L’Inde compte 7000 km de côtes. Pourtant, sa marine marchande est modeste. Mumbai ne se classe que 30e port mondial. Mais on assiste dernièrement à un retournement de la géopolitique indienne de la mer avec notamment le développement de la marine de guerre indienne. L’Inde possède actuellement 1 porte-avion d’origine russe (un 2e sera opérationnel en 2017), 1 sous marin à propulsion nucléaire et 13 sous-marins conventionnels. Les ports de guerre de Karwan et de Rambili sont en cours d’aménagement. Le Japon est un pays fondamentalement maritime, insulaire, archipélagique. Il vit directement de la mer pour sa nourriture (la 1/2 des protéines). Mais la pêche côtière décline comme la pêche pélagique dans les ZEE étrangères et les eaux internationales. Selon l’auteur, la France possède un formidable réservoir de croissance (ZEE de 11 millions de km²) dont elle ne pourra profiter qu’en ayant une véritable stratégie navale. Un rapport du Sénat en 2012 « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans » rappelle les vertus de la maritimisation. La France doit posséder une capacité ostensible de surveillance et de protection des approches maritimes. La marine est un moyen de sauvegarde de ses intérêts au large : surveillance, police, assistance humanitaire, combats… Ses forces doivent donc être polyvalentes, mobiles et endurantes (frégates légères et lourdes, sous-marins, porte-avions)

Les articles suivants de Jean-Loup SAMAAN (LES RIVALITÉS NAVALES DANS LE GOLFE : ACTEURS ET RESSOURCES), de Nicolas ESCACH (PARTAGE DE LA MER ET NOUVEAUX CONFLITS GEOPOLITIQUES EN BALTIQUE) et de Marc TARRATS (LES GRANDES AIRES MARINES PROTÉGÉES DES MARQUISES ET DES AUSTRALES : ENJEU GÉOPOLITIQUE) sont centrées sur des approches davantage régionales. Le Golfe a d’abord été un passage vers les indes britanniques au XIXème siècle. La découverte de gisements pétroliers change la donne en en faisant un centre de gravité du système économique international. On y assiste à une occurrence de conflits majeurs avec des rivalités maritimes. Les Etats-Unis restent la 1ère puissance navale de la région mais elle est remise en cause. L’US Navy est implantée à Bahreïn depuis 1948, qui est devenu un point d’appui essentiel pour la logistique et la maintenance des navires. Il existe aussi des liens étroits sur les plans politique, militaire et économique avec la France et le Royaume-Uni. La Royal Navy joue un rôle essentiel dans la formation opérationnelle des marines locales. Les deux pays sont également actifs dans la vente d’armes (avions). On assiste également à la présence accrue des flottes asiatiques. La Baltique peut apparaître comme un modèle de gouvernance transnationale. La Convention d’Helsinki a été signée en 1974 et révisée en 1992. Pourtant la région n’est pas exempte de tensions géopolitiques. Les frontières étatiques s’y enchevêtrent sur à peine 385000 km² et elle traversée par des enclaves terrestres et maritimes. Des différends territoriaux persistent (par exemple l’île de Bornholm entre le Danemark et la Pologne), des tensions apparaissent (conflits pour le trajet du Nord Stream) et les conflits d’usage sont de plus en plus fréquents notamment au sud-est de la Baltique au niveau des détroits danois et du littoral nord-allemand (entre navigation et exploitation éolienne, entre protection environnement et exploitation éolienne, extraction des sables/graviers et la pêche). En Polynésie Française, on assiste à un jeu d’acteurs autour d’enjeux de pouvoir et de territorialité. L’idée est de faire de la totalité de la ZEE de Polynésie Française une immense aire marine gérée. Une aire marine gérée consiste à préserver le patrimoine marin tout en pérennisant l’exploitation des ressources marines. Les intérêts socioéconomiques sont donc prioritaires. Elle peut être compatible avec la volonté d’investisseurs chinois de construire une ferme aquacole sur l’atoll de HOO avec pour objectif de produire un million de tonne de poissons par an (création en 400 emplois). Mais comment concilier exemplarité écologique et projets pharaoniques ?

Au final, ce numéro d’HÉRODOTE est davantage centré sur les enjeux géopolitiques et géostratégiques, en cohérence avec la ligne éditoriale. On notera la présence de cartes intéressantes, quoiqu’en noir et blanc. Ces articles peuvent donc être intéressants pour les candidats préparant l’agrégation interne et la question « Géographie des Mers et des Océans ».