La revue Déméter, dans son numéro annuel, propose des prospectives sur les questions alimentaires à toutes les échelles du local à la planète dans une approche pluridisciplinaire. Sont mises en évidence les interactions entre agriculture, alimentation, sécurité alimentaire et changement climatique.
Demain l’agriculture
Sébastien Abis et Mathieu Brun introduisent la réflexion au moment où la France prend la présidence de l’Union Européenne et au sortir, espérons-le, de la crise COVID. La relance par le Green deal peut-elle être une chance pour l’agriculture et les filières agro-alimentaires ?
Les auteurs insistent sur quelques idées : l’agriculture pilier de la puissance européenne, diversité et complémentarité des agricultures en Europe pour nourrir une population exigeante (pacte vert). Il s’agit aussi de répondre au marché mondial au moment où certains EtatsSibérie, futur grenier à grains du monde ? In Déméter 2021 se montrent des concurrents pleins d’ambition tout en faisant face au changement climatique. A l’échelle mondiale on assiste à ce que les auteurs nomment « un réarmement pour l’agriculture et la sécurité alimentaire » ‘p. 20).
Agrosphères
Dix articles pour cette première partie.
Pierre Blanc propose une géohistoire dans : Nourrir la planète : l’alimentation au prisme de la géopolitique. Il analyse les rapports de l’alimentation et du militaire en matière de soft power après quelques rappels historiques : les effets d’un siège, le poids fiscal du militaire sur les paysanneries, les razzias pour alimenter les armées. L’auteur dresse un tableau de la puissance agricole : capacité à produire = puissance et son poids dans le domaine du politique : arme alimentaireCarte de l’aide alimentaire américaine : p. 31 et politique de Poutine depuis les sanctions de 2014 : produire pour ne pas dépendre, une réalité analysée à partir des exemples turc et chinois.
Les futurs alimentaires au défi de l’anthropocène, Samuel Rebulard dresse un tableau du système alimentaire actuel. Il en analyse les enjeux : produire pour une population croissante. Le pari a été en partie gagné : de 1961 à 2016 la quotité de céréales /habitant est passée de 770 gr à 1050 gr alors que la population a plus que doublé. Mais la disponibilité et l’accessibilité sont très inégalement réparties. L’auteur montre les transitions alimentaires qui font qu’en 2020 si 800 000 personnes souffrent encore de sous-nutrition, plus de 2 milliards sont en sur-poids. Il décrit les impacts environnementaux : l’agriculture émet 25 % des GES, pollue les eaux et contribue à l’érosion des sols. Il montre des impacts diversifiés selon des pays et les modes de consommation (non-respect de la saisonnalité, transports à longue distance)/ Un paragraphe est consacré à la question de l’origine animale ou végétale de la ration de protéines et de leur poids respectif dans les impacts. Faudra-t-il consommer des insectes. L’auteur évoque des pistes pour diversifier voire réinventer l’alimentationDe la redécouverte de variétés locales : teff d’Érythrée, fonio en Afrique de l’Ouest aux substituts : laits végétaux, viande de synthèse. Enfin il tente de définir, à la suite de la commission EAT-Lancet le « régime alimentaire de référence », bon pour la santé comme pour l’environnement à décliner localement. Ce qui suppose un changement à promouvoir, un accompagnement, une gouvernance médicale, la réduction des pertes et des gaspillages.
Cendrine Auguères, Frédéric Pichon s’intéressent à la Qualité alimentaire : la grande oubliée des réseaux sociaux ?. Ils analysent comment les filières agricoles se saisissent des réseaux sociaux. Sont ainsi abordées les questions de la qualité de l’alimentation, un concept difficile à définir : de la qualité sanitaire à la certification AOP-IGP et autres mentions telles : « Bleu-Blanc-Cœur » ou « Demain la terre ». On voit tout le poids de la filière mais les réseaux sociaux sont aussi une forme de lien horizontal et la perception de la qualité alimentaire évolue pour les jeunes générations. Les auteurs décrivent les « influenceurs » et leurs rapports aux acteurs de la filière agro-alimentaire.
Les normes, face cachée de l’alimentation dans la mondialisation, Gérard Boivin, Christian Mayeur montrent que les normes peuvent être volontaire pour réguler la compétition internationale et dans un enjeu de souveraineté alimentaire, un outil d’intelligence économique. En Europe il s’agit d’une nouvelle approche pour favoriser les exportations notamment en matière d’innovation, un atout pour les PME-TPE. La réflexion générale est ensuite appliquée aux entreprises agro-alimentaires : normes Iso 22 000 à propos des graines germées après un accident bactériologique, Iso 14 001 un cadre pour maîtriser les impacts environnementaux par exemple pour la définition d’une huile de palme durable, Iso 26 000 pour la viande de cheval. Dans les cas présentés il s’agit de normes volontaires dans un contexte de crise, de risque alimentaire ou d’alimentation durable. Un encart présente les normes chinoises.
Catherine Bihoreau, Sénéis Corvin s’interrogent sur le Bien se nourrir pour bien vieillir. Les auteurs analysent le rôle de l’alimentation dans le vieillissement en bonne santé, un enjeu important au regard du vieillissement de la population. Cette question est d’autant plus importante que les populations précaires peinent à atteindre l’équilibre alimentaire. Les auteurs évoquent les recommandations de l’OMSCarte mondiale p. 112 et font le tour de l’offre : compléments alimentaires, probiotiques, e-commerce, expérience culinaire.
Au menu de l’Amérique latine, réformer l’éducation alimentaire, Olivier Antoine retrace l’évolution de l’alimentation dans le sous-continent, ses conséquences et les politiques mises en œuvre comme le lutte contre l’obésité au Chili et les politiques d’éducation nutritionnelle.
Se nourrir en territoire difficile
Selon la FAO en 2021 ce sont 1 milliard d’humains qui souffrent de la faim
Alice Corbet s’intéresse au le chaos organisé des camps de réfugiés : une aide humanitaire indispensable mais très normée. Elle présente des pistes d’évolution pour une alimentation plus conforme aux habitudes alimentaires des personnes.
C’est Dans la France insulaire de Mayotte qu’Henri-Luc Thibault, Hervé Lejeune placent leur étude : un exemple insulaire qui cumule pauvreté et pression démographique. Les auteurs décrivent l’agriculture traditionnelle de subsistance et proposent des axes de réflexion pour satisfaire la demande alimentaire d’ici 2025.
Dans les franges urbaines et rurales de l’hexagone, Caroline Brand, Mathilde Ferrand, Perrine Vandenbroucke, Claire Delfosse, Simon Vonthron observent des situations de précarité alimentaire tant en ville que dans les campagnes à partir d’exemples : la Drôme provençale et Montpellier. Ils décrivent les structures de résolution du problème : CCAS, PAT
Olivier Schram s’interroge sur Les restaurations collectives de demain. Il présente les conséquences de la crise COVID sur ce secteur et les nouveaux formats de l’alimentation hors-domicile.
Alexandre Boudet décrit dans un contexte de croissance démographie un secteur extrêmement minoritaire : Agriculture et e-commerce en Afrique : une connexion à construire, une réalité réservée aux classes sociales aisées et confrontée à plusieurs défis logistiques et en particulier la chaîne du froid.
La Seafood tech, nouvel horizon de l’innovation alimentaire, Raphaëla le Gouvello, Jean-Pascal Bergé s’ intéressent aux évolutions pour les produits de la mer qui représentent aujourd’hui 17 % des protéines consommées. Ils survolent la situation de la pêche et de l’aquaculture sans aborder les questions éco-sociales. Ils privilégient les innovations, la transformation et les alternatives végan.
Regards d’avenir
Simon Rit aborde les agroéquipements du futur et notamment la percée de la robotique
Thierry Pouch montre les effets de la crise COVID en Europe, les limites de l’entente européenne dans le cadre de la nouvelle PAC et du green deal.
Delphine Acloque aborde le rôle historique du rail dans le développement économique au XIXe siècle de grands pays (USA, Canada, Russie), la concurrence de la voie maritime durant la seconde moitié du XXe siècle et le retour du fret ferroviaire (Allemagne, Russie). Pour elle le railExemple chinois p. 260 est la solution face aux enjeux climatiques, environnementaux et géopolitiques.
Jean-Yves Chow, Matthieu Brun décrivent les rêves d’autosuffisance alimentaire à Singapour : capital financier, les fermes verticales de la foodtech et les protéines alternatives
Jean-Marc Chaumet propose une histoire de la consommation de beurre depuis l’Antiquité en Europe, la concurrence en Amérique de la margarine, les fluctuations de la consommation en Europe aujourd’hui et l’émergence de nouveaux marchés comme en Inde.
Investment Funds in the Food and Agriculture Sector: A Fertile Ground for Investors, Roberto Vitón montre que depuis quelques années le secteur agricole et alimentaire est devenu un atout pour les investisseurs institutionnels, un fait qui devrait encore se développer au risque de modifier le secteur agricole.
De brefs articles complètent cette partie : L’Afrique en marche vers le digital (Entretien avec Haweya Mohamed, Ammin Youssouf) et la présentation du Prix DEMETER 2021 : Entre habitudes sociétales et intérêts individuels, comment converger vers un modèle de société plus responsable ? (Margot Melis, Manon Roy-Chevalier, Marie-Xavière Saffre) – Le maïs en Éthiopie, au cœur de la sécurité alimentaire d’un pays en transition économique (Angélina Mah) – Les enjeux géopolitiques numériques de l’Océanie et la stratégie des acteurs des collectivités françaises du Pacifique (Aline Amodru-Dervillez).
Repères
Chaque thématique est rapidement présentée dans une note de synthèse des statistiques, graphiques et cartes : Histoire et alimentation, Pertes et gaspillage alimentaires, Eau potable, Produits céréaliers, Fruits et légumes, Protéines, Thé, café, chocolat, produits sucrés et Produits agricoles non alimentaires
Ce numéro semble marqué par son élaboration pendant la pandémie.