Riche de plus de 600 titres, la collection « Repères » des éditions la Découverte fournit des synthèses dans de nombreuses disciplines (économie, sociologie, histoire…) depuis 1983 et continue d’alimenter des générations d’étudiants et d’enseignants. Plus récemment, elle s’est ouverte à des portraits sociologiques de villes (Paris, Lyon, Marseille, Nantes) dont ce titre sur Lille est le dernier en date.

Les auteursAntonio Delfini, Fabien Desage, Fabien Eloire, Rémi Lefebvre, Yoan Miot, Frédéric Poulard, Stéphanie Pryen, Juliette Verdière et Cécile Vignal, politistes, sociologues et géographe (sans « s » ici puisqu’il n’y en a qu’un contrairement au pluriel mentionné sur la quatrième de couverture) aux universités de Lille 1, Lille 2, Lille 3 et Paris Est-Marne La Vallée, sont regroupés sous l’étiquette « collectif Degeyter » en hommage à Pierre De Geyter, l’ouvrier natif de Gand venu travailler à Lille, compositeur de la musique de « L’Internationale ».

S’il fallait ne retenir qu’un mot à l’issu de la lecture, ce serait celui d’inégalités.

Le propos s’ouvre sur la structure particulière de cet espace urbain : une conurbation à quatre noyaux historiques (Lille, Roubaix, Tourcoing, Armentières), modelée par l’activité industrielle, textile, où Lille a dû rapidement miser sur son extension au-delà de ses remparts, ses faubourgs et conquérir le grand boulevard la reliant à Roubaix et Tourcoing pour s’affirmer à la tête de ses voisines. La première inégalité est bien celle du logement, entre bourgeois et ouvriers, à l’interne des villes mais à l’échelle de cette conurbation où l’espace central originellement peu bâti s’est laissé gagner par les populations aisées : triangle (d’or) « BMW » (Bondues, Marcq en Baroeul, Wasquehal).

S’ensuit une longue analyse de la désindustrialisation où la réponse apportée a été celle de la métropolisation devant accompagner le virage vers le tertiaire. Souhaitée par l’Etat (métropole d’équilibre, l’une des quatre premières communautés urbaines), agencée autour de deux pôles clés (le quartier Saint-Sauveur à Lille et la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq – ce qui n’a pas été du goût de Roubaix et Tourcoing), cette métropolisation a permis de développer l’attractivité (le TGV à Lille intra-muros), d’appuyer la tertiarisation (Plaine Image à Tourcoing, Euratechnologies à Lomme, Eurasanté à Loos) mais a surtout bénéficier à la sphère locale sans réellement parvenir à structurer une attractivité de rang international (cas d’Euralille). Le bilan n’apparaît pas mauvais pour la revalorisation des centre-ville de Roubaix et Tourcoing mais les conditions de logement restent difficiles pour une portion importante de la population.

Des focus sont apportés sur le système scolaire et universitaire local qui n’a pas la capacité à modifier les inégalités économiques et sociales générales (fort enseignement privé dans l’agglomération pour un Nord Pas de Calais où ce taux est déjà élevé, jeu des dérogations à la carte scolaire qui bénéficie au privé et qui homogénéise les territoires « prioritaires » de l’éducation), sur la configuration politique de la métropole (bastion socialiste réel mais fragile, multiples rôles de Martine Aubry non sans mal après l’ère Mauroy) et sur les actions culturelles qui ont aidé Lille à rejoindre les autres métropoles, notamment après l’événement « capitale européenne de la culture » en 2004, mais qui demeurent mythifiées et non évaluées (autrement que par la seule fréquentation qui montre des succès ne pouvant pas être réellement qualifiés de « populaires »).

Pour reprendre une citation, p 56, on pourrait en conclure que les populations « se côtoient sans se mélanger » et que Lille apparaît comme la plus ségrégée des agglomérations régionales de France. L’ouvrage permet justement, ça et là, des comparaisons de par les quelques tableaux statistiques qui l’agrémentent. Quelques cartes et photographies eurent été les bienvenues mais sans doute que le format éditorial de ces synthèses ne doit pas le permettre aisément. Au final, un texte très complet, bien écrit où l’engagement ressenti accompagne idéalement ce riche apport croisé d’analyses scientifiques disciplinaires.