Sameul Depraz est agrégé de géographie et maître de conférences en géographie-aménagement à l’université de Lyon (Jean Moulin-Lyon III). Il y dirige depuis 2008 les préparations en géographie aux concours de l’enseignement. Cet ouvrage sur la France des Marges est d’ailleurs prioritairement destiné aux candidats à l’agrégation externe de géographie, d’histoire et au CAPES d’Histoire-Géographie. A la différence d’autres « manuels », celui-ci n’est pas une compilation de chapitres rédigés par différents auteurs. Le propos se révèle donc particulièrement cohérent.

Le 1er chapitre s’attache à définir précisément le concept de marge, encore mal stabilisé en géographie. Le centre est le lieu d’exercice du pouvoir et d’une domination : Paris et le reste du territoire, la France métropolitaine et les DROM, les quartiers centraux et les espaces périphériques peu insérés. Mais pour étudier les marges, il convient de décentrer le regard. La marge ne doit plus être considérée comme le négatif du centre. Il convient notamment de bien différencier la marge, qui relève du domaine social, de la périphérie, qui relève davantage du domaine économique. Il est important de penser en terme de différence, de pluralité, d’altérité. Les marges territoriales de la France, espaces secondaires, dit à l’écart sont en effet riches de potentialités locales. Dans une nouvelle définition géographique, la marge est une notion multiscalaire et multidimensionnelle, un principe évolutif, un territoire ouvert aux limites floues, un espace de mobilités et d’échanges, parfois lieu d’innovations discrètes. On remarque ce changement d’appréhension des marges dans l’évolution des politiques d’aménagement et du territoire en France. Après 1945, elles ont eu pour volonté de réduire les inégalités entre les territoires pour maintenir une cohésion d’ensemble du territoire. Les déconcentrations industrielle et administrative des années 60 et 70 en faveur des métropoles d’équilibre en est un exemple. Des mesures ciblées ont eu pour objectif de valoriser les potentialités des régions les plus marginales : mission Racine (en Languedoc-Roussillon), Plan Neige (dans les Alpes),… L’intégration de la marge bretonne est un autre exemple emblématique de ce modèle. A partir des lois de décentralisation (1982), un nouveau mode de relation entre centre et marges territoriales s’impose. La démarche contractuelle autour de projets s’est imposée entre les différents acteurs (de l’échelle locale à l’échelle européenne) des territoires.

Les chapitres suivants présentent différents types de marges:

Les territoires ultra-marins sont des marges, qui multiplient les difficultés : pauvreté, chômage, précarité des logements, accès parfois difficile aux soins, à l’éducation… Ils restent fortement dépendants de la Métropole. Pourtant à l’échelle régionale, certains DROM paraissent comme des ilots de prospérité : Mayotte est par exemple 10 fois plus riche que les Comores et 20 fois plus que Madagascar, entraînant des flux migratoires massifs (40% de la population est étrangère en Guyane).

Les marges naturelles, devenues résiduelles, ont un rôle écologique, culturel et économique en tant qu’espaces de loisir et de protection face aux excès de l’utilisation des ressources naturelles. Parfois considérées comme de véritables fronts pionniers pour permettre leur mise en valeur économique, la tendance actuelle est à la conciliation entre les enjeux de protection et logiques de développement des populations. Les Parcs Naturels Nationaux sont des exemples de gestion intégrée et durable de la nature.

– Selon le rapport Bertrand (Sénat) en 2014, on compte 250 bassins de vie « hyper-ruraux » en France. Ils se situent à plus de 17 minutes de tout pôle urbain d’au moins 5000 emplois et à plus de 10 minutes de services polarisant le bassin de vie. Ils représentent 5,5% de la population française sur un quart du territoire. On peut parler de « renaissance rurale » comme Bernard Kayser (1990). L’évolution de la population est positive dans 85% des communes rurales entre 1999 et 2009. Mais ce renversement démographique n’a pas encore inversé la tendance en matière d’accessibilité aux services et aux emplois. Pourtant Laurent Davezies soutient l’idée qu’un développement est possible sans forte création de richesse locale et sans marché de l’emploi porteur. Pour les territoires ruraux, les bases économiques essentielles à capter sont résidentielle, publique, sanitaire et social.

– Pour Martin Vanier, les couronnes périurbaines forment un « tiers-espace » complexe ni vraiment urbain ni vraiment rural. Elles profitent des dynamiques démographiques autour des pôles urbains grâce aux progrès des transports. Leur population a été multipliée par 2 depuis 1962. Leur développement répond à une croissance par « saut de grenouille ». 40000 à 60000 hectares sont artificialisés par an. L’étalement des espaces périurbains entraînent une augmentation des trajets domicile-travail, qui sont passés de 10,8 km à 18,5 km en moyenne entre 1975 et 2006. L’impact sur les écosystèmes environnants sont importants : pollutions lumineuse, sonore, olfactive. Les paysages se banalisent (« La France moche ») et certains comme Christophe Guilluy parle de « sédentarisation contrainte ».

Les petites villes vivent dans l’ombre de la métropolisation. Le déclin des activités industrielles de production et la difficile intégration à la nouvelle économie sont leurs principaux enjeux. La fermeture d’usines ou de sites militaires ont souvent de terribles conséquences pour ces territoires et leurs populations, situés majoritairement au Nord-Est et au centre du territoire. Des solutions comme la « substitution industrielle », la « montée en gamme » ou « la diversification de l’économie » (par le développement d’activités tertiaires notamment) sont testées. Mais le retournement économique aboutissant au déclin de l’emploi, à la perte de population et aux problèmes sociaux est parfois définitif avec pour résultat de véritables « villes rétrécissantes ».

– Le dualisme économique reste le marqueur caractéristique des grandes métropoles. Ils existent des ségrégations multiples dans l’espace urbain. Le gentrification des centres-villes sont un exemple de marges choisies. A l’opposé, les banlieues, même si les réalités sociales y sont contrastées, sont des lieux de concentration de la pauvreté et des problèmes sociaux. On parle alors de marges subies. D’autres marges sont plus discrètes ou plus diffuses : les marges communautaires (concentration d’étrangers de même origine dans un même quartier), les marges plus transgressives (le quartier homosexuel du Marais à Paris par exemple), les marges de l’errance (SDF) et les anti-mondes urbains (territoires de l’illégalité et de criminalité).

Les marges sont « les miroirs de la société et de ses territoires ». Longtemps oubliées et mises de côtés à la fois par les géographes et par les décideurs, « concentrés » sur les centres, elles deviennent des objets d’études pour elles-mêmes. Cet ouvrage, très bien écrit avec une volonté démonstrative et explicative, prouve que les marges peuvent avoir leur propre organisation et doit nous interroger sur le statut de la norme. Il permettra aux candidats au concours de l’enseignement mais aussi aux enseignants de géographie de glaner de nombreuses études de cas pour traiter par exemple « Les espaces de faible densité et leurs atouts » en classe de 3ème.

Nicolas Prevost

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Samuel Depraz, normalien, agrégé de géographie et maître de conférences en géographie-aménagement à l’université de Lyon (Jean-Moulin-Lyon III), où il dirige depuis 2008 les préparations en géographie aux concours de l’enseignement, propose son analyse de la France des marges, Géographie des espaces « autres » pour les éditions Armand Colin.

Cette question non abordée en tant que telle dans les programmes scolaires du secondaire et du lycée, sauf par l’intermédiaire de quelques études de cas, peut en réalité renouveler l’approche géographique de l’organisation du territoire français pour les niveaux de troisième et de première.Après deux chapitres introductifs, les thèmes sont développés d’une manière originale, circulaire, débutant par ceux les moins traités au plus évoqués.

Les deux chapitres introductifs permettent de définir dans un premier temps les marges et dans un second temps de comprendre la naissance et la conceptualisation de l’idée de marge à travers les évolutions de la discipline. L’apport des autres disciplines des sciences humaines a permis à la géographie de se renouveler et de s’approprier le concept de marge.
La prise en compte des marges par les politiques publiques ancre ces espaces « marginaux » dans l’aménagement du territoire. Les thèmes alors développés s’insèrent dans une démarche de caractérisation du processus de marginalisation et des mécanismes de production de la marginalité.

Ainsi en va-t-il des territoires ultramarins pour lesquels l’auteur propose de centrer l’analyse sur les mécanismes en œuvre qui rendent pérennes mais pas insurmontables leur marginalité. L’approche géographique appréhende d’abord les caractéristiques sociale, politique, économique de la marginalité de ces espaces et ouvre sur la notion d’îléité à affirmer, de laquelle les particularismes sont de plus en plus pris en compte par les pouvoirs publiques et l’Union Européenne.
Basculant sur les marges « naturelles », l’auteur propose d’aborder ces espaces que l’action anthropique empêche aujourd’hui ce qualificatif de « naturels ». Après une période de forte anthropisation, d’artificialisation de ces espaces, il est question dans ce thème de comprendre les évolutions de ces marges jusqu’à leur réaffirmation et réintroduction aujourd’hui car nécessaire à l’équilibre environnemental, écologique.

Les espaces hyper-ruraux, entendus comme les espaces de faible densité, que l’on considère comme des marges, sont en recomposition démographique et économique aujourd’hui. Fortement marqués par l’exode rural et le vieillissement de la population, ce sont aujourd’hui des territoires résidentiels et multifonctionnels. Toutefois, en dépit du renouveau en œuvre, la marginalité reste prédominante comme en témoigne la pauvreté diffuse, difficile alors à appréhender.

Les couronnes périurbaines, quant à elles, sont des « marges en tension », espaces avant tout héritiers de l’exurbanisation des métropoles. Ce sont des territoires qui aujourd’hui accueillent le tiers de la population urbaine française et dans lesquels se développent des modèles sociaux d’entre-soi comme le montre la présence de lotissements. Marges en tension, car ils sont au cœur des critiques diverses, architecturale, environnementale, sociale, paysagère et au cœur des enjeux entre innovation et régulation.

A l’ombre des métropoles, les petites villes industrielles en déclin économique et démographique sont considérées comme les « vraies » marges, marquées par des effets d’évitement des transports, des difficultés de renouvellement économique et des problèmes sociaux inhérents.

Enfin, les espaces en marge de la norme morale sont abordés en fin d’ouvrage, reflet de leur difficile prise en compte par la géographie. Espaces pourtant nécessaires « à l’équilibre social » des métropoles mais témoins des recompositions, des fluctuations et des contradictions portés par les espaces en marge ; il s’agit des ethnoterritoires, des quartiers de la prostitution…

En conclusion, l’ouvrage permet d’appréhender cette question des marges et de renouveler l’approche géographique des programmes scolaires, il constitue un outil indispensable sans toutefois s’en contenter, comme le précise l’auteur lui-même renvoyant à une riche bibliographie en référence.

Martine Masson