« A quoi sert votre pavillon ? » demande Alphonse XIII.

« A faire beau », répond Mies, provocant.

Ce dialogue a lieu lors de l’inauguration par le souverain espagnol du pavillon allemand pour l’exposition universelle de Barcelone en 1929 et est révélateur de la personnalité de l’architecte visionnaire.

Le roman graphique s’inspire de l’article de la journaliste et historienne de l’art Anatxu Zabalbeascoa pour El País Semanal en 2014.

Un chantre du fonctionnalisme

Dans cette biographie romancée, Ludwig Mies (devenue Mies van der Rohe après la Première Guerre mondiale) raconte ses souvenirs à son petit-fils. L’homme n’est pas vraiment sympathique (grand coureur de jupons, au caractère difficile, souvent arrogant, voire égoïste) mais c’est un architecte passionné, qui a tout donné à son art. Grand admirateur de l’américain Frank Lyod Wright et du néerlandais Berlage, il se heurte à plusieurs reprises à son rival Gropius. L’Allemagne de Weimar est celle de la modernité et Mies devient la coqueluche de la bourgeoisie, qui admire ses bâtiments aux formes épurées laissant passer la lumière.

Si la multiplicité des flash-backs rend la lecture parfois un peu difficile, la colorisation et la mise en page sont réussies et quelques double-pages insérées dans le volume mettent pleinement en valeur les nouveaux bâtiments.

La République de Weimar et la montée du nazisme

Mies ne s’intéresse pas à la politique, mais réalise le monument en l’honneur de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg commandé par le parti communiste allemand. Il participe au plan d’urbanisme de Stuttgart en 1927 ainsi qu’à la fondation de la revue « G », où il expose ses théories sur l’architecture et l’utilisation de nouveaux matériaux (acier, verre) permettant des structures toujours plus aériennes et élancées. Il prend les rênes du Bauhaus à Dessau mais malgré une politique très ferme pour exclure les étudiants d’extrême-gauche (et même les fumeurs!), la ville aux mains du NSDAP (dès 1931) le force à fermer les ateliers et l’école (malgré un transfert à Berlin). Il faut continuer à travailler et si Mies a refusé l’idée d’un Bauhaus sans les professeurs juifs qui y enseignaient, il se rapproche tout de même d’Alfred Rosenberg en 1933 pour négocier (en vain). Son projet de siège pour la Reichsbank et même sa déclaration en faveur d’Hitler ne plaisent pas au nouveau chancelier et Mies comprend que l’avenir se trouve désormais pour lui outre-Atlantique.

L’œuvre et la postérité de Mies van der Rohe

L’une de ses réalisations majeures est le Seagram, sur la prestigieuse Park Avenue à New York, ce qui est l’occasion d’une belle double-page montrant le nouveau building, avec au premier plan l’inoubliable silhouette à fume-cigarette d’Audrey Hepburn dans « Breakfast at Tiffany’s ». On lui doit également le Crown Hall du collège d’Architecture, de Planification et de Conception de l’Institut de technologie de l’Illinois à Chicago ou encore la Bibliothèque Martin Luther King Jr. de Washington DC.

Un dernier flash-back ramène l’architecte sur le sol natal, alors qu’il est gravement malade. Dans Berlin coupée en deux par le mur, Mies a juste le temps de voir inaugurée son œuvre ultime (la seule sur le sol allemand depuis son exil) en 1968 : la Neue Nationalgalerie, au sein du Kulturforum de Berlin-Ouest.

Les œuvres de Mies van der Rohe restent des modèles de modernité architecturale et ce roman graphique leur rend un bel hommage, sans cacher les failles et les défauts de leur concepteur. Si la lecture n’est pas toujours des plus faciles à cause des flash-backs pas toujours datés, l’ensemble est agréable et a le grand mérite de mettre en lumière la vie d’un homme paradoxal, dans une époque historique qui ne l’est pas moins.