La Découverte et les éditions Delcourt se sont associées pour lancer une collection de sciences humaines et sociales en bande dessinée. L’idée, excellente, ravira les professeurs d’histoire-géographie et de SES de lycée parmi lesquels les fans de BD sont nombreux et les étudiants sérieux.
Les ouvrages de cette collection devraient garnir les CDI des lycées de France et de Navarre. Il conviendra cependant au moment de les faire lire par des lycéens, peu au fait, eux, des codes de la BD, d’être prudents et imaginatifs. La collection dirigée par un historien (Sylvain Venayre) « se propose de raconter, de décrire et d’expliquer, en récits et en images, la société dans laquelle nous vivons ». Et son invitation « à ralentir l’allure imposée par le rythme de l’actualité pour retrouver le temps de la réflexion et de la critique » ne peut que donner envie aux enseignants en sciences humaines.
L’ouvrage ici recensé, repose sur les travaux scientifiques menés par Céline Bessière et Sibylle Gollac, toutes deux sociologues, qui ont publié, en 2020, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, à La Découverte. Ce travail était issu d’une enquête au long cours qui a vu une équipe réaliser des monographies de familles et suivre certaines d’entre elles à deux moments clefs : les séparations conjugales et les successions. D’où un déplacement de l’enquête vers les études notariales et les cabinets d’avocat-e-s pratiquant le droit de la famille. Ce qui a entrainé la présence de ces sociologues (et d’autres) dans ces lieux finalement peu connus à des moments cruciaux pour la vie des enquêtées et des enquêtés. Ce travail a permis à ces autrices d’analyser concrètement comment alors que le droit affirme l’égalité entre hommes et femmes, il « légitime », de fait, « l’inégalité ». Cet ouvrage, des plus intéressants, pourrait, en plus de la BD, garnir les étagères des bibliothèques des lycées mais s’adresse plus aux enseignants qu’aux élèves.
Dans cette bande dessinée, les deux sociologues se sont associées à la dessinatrice Jeanne Puchol, autrice de plusieurs ouvrages souvent engagés parmi lesquels : Malik Oussekine-Contrecoups ou Mitterrand et ses ombres. Le défi était de taille puisqu’il fallait rendre attrayant un discours exigeant et qui va à contre-courant de nombre de représentations mais aussi être concise puisque si le livre comptait plus de 300 pages, la BD est limitée à un peu plus de 120 pages. Pour y parvenir les autrices alternent des temps différents : présentation des autrices et de leurs méthodes de travail, situations concrètes observées (que ce soit dans des cabinets d’avocats, des études de notaires ou auprès de juges…) lors des discussions en vue d’un divorce. Mais aussi monographies familiales qui permettent de repérer comment au fil des années le capital des parents a été partagé entre les enfants voire les petits-enfants et entre femmes et hommes… Plusieurs exemples montrent comment au moment de l’héritage, dans les familles qui ont des biens, les femmes sont désavantagées quand vient le temps du partage. Les séparations conjugales, moments douloureux, sont aussi, dans toutes les couches de la société, un moment au cours duquel les femmes, renvoyées au rôle traditionnel de mère, doivent se débrouiller pour garder les enfants et subissent des inégalités. Les discours et les attitudes d’une partie des avocats, des notaires et des juges sont aussi analysées et leurs préjugés déconstruits.
Des chats nombreux réunis en colloque viennent scander les différents temps de cette bande dessinée. Sur les toits ou dans des terrains vagues, ils analysent les problèmes des humains, constatent les inégalités entre hommes et femmes et en débattent.
On comprend mieux pourquoi depuis une vingtaine d’années, les écarts de patrimoine entre les hommes et les femmes se sont, contrairement à ce qu’on pourrait croire, accru. En effet, la famille perpétue voire accroît les inégalités malgré un droit égalitaire.
Une bande dessinée à recommander mais que l’enseignant devra accompagner auprès de ses élèves.