À mi-chemin entre la fiction et la description précise de ce qu’est une opération militaire mettant en jeu des forces spéciales, l’ouvrage de Georges Brau répond aux canons du genre : Un peu d’analyse géopolitique sur la situation au Sahel après le retrait des troupes françaises et après une hypothétique élection présidentielle, une description assez réaliste des réunions qui précèdent les décisions d’engagement, un soupçon d’érotisme et beaucoup d’action.
Sur l’analyse géopolitique, la description qui est faite semble assez réaliste. Il est tout à fait possible d’imaginer, et cela semble d’ailleurs se réaliser actuellement, que le retrait des troupes françaises en l’absence d’une stabilisation politique du Mali ne se traduise par un retour des djihadistes dans le Sahel.
Des événements réels, comme l’attaque du centre d’extraction pétrolière en Algérie, en janvier 2013 rappellent d’ailleurs la porosité des frontières dans cette zone. Dans le roman, l’action emmène Monsieur Paul, « honorable correspondant » agissant pour le compte du commandement des opérations spéciales, une création héritée du quinquennat de Nicolas Sarkozy, en Guinée, pour atteindre ensuite la ville de Bamako à partir de laquelle il met au point cette opération.
Le point de départ est d’ailleurs l’enlèvement de travailleurs humanitaires agissant au Mali, par un groupe djihadiste clairement identifié. Comme dans la réalité de l’opération Serval, ce groupe djihadiste associe des membres de Al Qaïda et des Touaregs en lutte contre le gouvernement central de Bamako, Ansar Al Dine.
La description des réunions qui précèdent l’organisation de cette opération est assez réaliste et on sent bien que le lieutenant-colonel Brau a participé lui même à des séances de ce type avec l’inévitable confrontation entre l’échelon politique et les exigences militaires.
Pour les forces engagées, il ne s’agit pas, à l’exception de Monsieur Paul de barbouzes mais bien de militaires d’active avec une place spéciale attribuée au 13e régiment de dragons parachutistes, qualifiés en argot militaire de « hiboux », en charge du renseignement en profondeur, comme ils sont présentés sur le site du ministère de la défense. « Le 13e RDP est une formation interarmes des forces spéciales Terre, spécialisée dans la recherche du renseignement par des moyens humains, sur n’importe quel théâtre, en temps de paix, de crise ou de guerre. Système complet de renseignement, il assure la recherche, le traitement et la diffusion du renseignement. En temps de paix, il contribue à satisfaire les besoins en renseignement d’intérêt militaire. En temps de crise ou de guerre, à la décision d’engagement des forces, puis à la conduite de la manœuvre aux échelons les plus élevés du commandement. Son emploi relève directement du chef d’État-major des armées (CEMA) et, par délégation, du directeur du renseignement militaire (DRM) et/ou du commandant des opérations spéciales (COS). »
À l’évidence, le lieutenant-colonel Brau semble avoir une certaine tendresse pour ce Régiment, qui est le plus souvent associé dans la dimension « action » au premier régiment parachutiste d’infanterie de marine, dont les bases sont situées à Bayonne.
Les hommes du 1er RPIMA sont d’ailleurs engagés dans le roman dans le processus final qui est censé conduire à la libération des otages.
On peut trouver un certain intérêt, en plus de la détente que peut constituer la lecture d’un thriller, à cet ouvrage. Il présente sous un jour favorable, et cela peut se comprendre, l’action d’une armée française qui a fait la preuve sur de nombreux théâtres d’opérations depuis la fin de la guerre d’Algérie de son professionnalisme et son efficacité.
Par contre, il est un peu dommage que l’argot militaire ne soit pas véritablement décodé, que des fautes de style émaillent le texte sans parler de fautes d’orthographe qui révèlent d’une lecture approximative par les services de correction de l’éditeur.
Plus gênant encore, les jugements moraux de l’auteur qu’il place dans la bouche de ses personnages, à propos de la repentance concernant la guerre d’Algérie, qui relève d’une lecture un petit peu datée de la recherche historique à ce propos. Cela fait une bonne vingtaine d’années en effet que les historiens français ont appris à relativiser l’engagement « pro FLN » d’une partie de l’intelligentsia française. De la même façon, on aurait pu se dispenser de considérations moralisantes sur l’engagement patriotique des uns et des autres.
Comme pour le précédent ouvrage présenté dans cette rubrique et que nous avons demandé en service de presse aux éditions du Rocher, la collection « service action » dirigée par Pierre Martinet comporte d’excellentes histoires. Elles ne sont pas suffisamment mises en valeur à cause d’une écriture approximative et de quelques remarques partiales dont on pourrait se passer.
À cet égard, et pour l’intelligence du propos, l’éditeur pourrai-il jouer un rôle de conseil aux auteurs.
Peut-être faudrait-il faire crédit aux autorités politiques qui sont évoquées en filigrane dans ce docu-fiction d’un engagement au service du pays qui mérite autant de considération que celui des soldats à qui l’on demande, au nom de la nation, d’aller au bout d’eux-mêmes, tout en restant des guerriers de la République.
Bruno Modica