Steve Hagimont publie une histoire environnementale du tourisme centrée sur les Pyrénées, qui ne lui fait pas méconnaître les Alpes ni les autres activités pratiquées dans le massif qu’il a choisi d’étudier, telles l’agriculture ou l’industrie. Une histoire au temps long puisqu’elle s’étend de la fin du 18e siècle à nos jours, dans des Pyrénées dans lesquels l’auteur privilégie l’étude des Hautes-Pyrénées, de la Haute-Garonne et de l’Ariège. Ce qui permet des comparaisons entre ces départements mais aussi avec les Alpes voire avec d’autres contrées. Il chemine avec un objet d’étude intéressant : le tourisme, « mode de relation émotionnel et économique à la nature », dans ses liens avec l’environnement.

Steve Hagimont est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Versailles-Saint-Quentin. Il a publié plusieurs articles sur les enjeux liés au tourisme dans les Pyrénées et est un des co-auteurs d’Une histoire des luttes pour l’environnement. 18e-20e. Trois siècles de débats et de combats, recensé par la cliothèque

L’aménagement touristique de l’environnement pyrénéen

 L’auteur présente la naissance des premières « stations » touristiques dès le dernier tiers du 18ème siècle, « comme ailleurs en Europe », dont le développement se poursuit au siècle suivant. Les premiers flux, en direction de Bagnères-de-Bigorre, Luchon (« reine des Pyrénées »), Cauterets, Barèges… sont polarisés par les eaux thermales et à un moindre degré par les excursions en montagne alors que le département de l’Ariège est plus délaissé. D’où des aménagements réalisés progressivement dans ces villes (rues, allées, thermes, hôtels, puis, plus tardivement, casino, éclairage public…) et des équipements pour y parvenir (routes, chemins de fer, funiculaires…). Mais aussi des réglementations concernant l’accès à ces eaux. Les acteurs de cette mise « en marché de la nature » sont divers : acteurs publics, municipalités, préfets et acteurs privés (dont certains sont locaux) dont des médecins évidemment…

Une histoire sociale et économique d’un territoire touristique

S. Hagimont emprunte à Michel Foucault le concept d’hétérotopie touristique qui désigne des utopies effectivement réalisées pour caractériser ces espaces. En effet, s’ils sont réels ces territoires « permettent de s’extraire de la vie normale quotidienne », pour les visiteurs du moins. Il analyse la fréquentation de ces stations et son évolution sur le temps long ainsi que la diversité sociale de ceux qui s’y rendent. L’Ariège attire moins de personnes, sa clientèle vient pour l’essentiel de la région et a des moyens plus modestes que celle de Luchon ou des stations des Hautes-Pyrénées, plus mondaine. S. Hagimont revient sur les investissements qui permettent à ces stations de se développer. Enfin, il présente les activités et métiers liés au tourisme : médecins, guides, hôteliers, commerçants… mais aussi prostitution.

Les montagnes prophylactiques

Entre sciences et loisirs, profits et pouvoirs », dans ce chapitre l’auteur revient sur revient sur « les vertus sanitaires […] identifiées par l’expérience sensible des voyageurs ». La montagne est perçue comme un lieu où les corps et les esprits se renforcent du fait de l’altitude, de l’air, du climat, de la beauté des paysages… Les médecins entendent, par ailleurs, prouver l’intérêt des eaux thermales pour la santé mais aussi l’importance des médecins pour les curistes. Et ce dans les stations de bains et de douches comme dans les stations de boissons. Les curistes aisés cependant acceptent mal la promiscuité avec les soldats blessés (qui vont plutôt à Barèges ou Amélie) ou avec les curistes modestes voire pauvres. D’ailleurs, à partir de 1900, les clientèles mondaines recherchent d’autres destinations que les Pyrénées.

 Sur la frontière.  Arpenter, défendre et exploiter les êtres et des choses

Ce chapitre est centré sur l’expérience et la perception par les voyageurs de ces montagnes, différentes de leur quotidien, marquées par l’agropastoralisme et qui constituent un espace transfrontalier. Des associations (CAF, club alpin français, créé en 1874 et TCF, Touring club de France, qui date de 1890) et des alpinistes cartographient et nomment, sentiers, monts, ports et pics. Ces visiteurs issus pour l’essentiel des « catégories sociales dominantes et du monde urbain » ont tendance à considérer les populations montagnardes comme singulières, isolées, plus ou moins arriérées alors que les frontières ont toujours été des espaces de circulations. Le regard sur cet ailleurs qu’est le Val d’Aran, très proche de Luchon mais en Espagne, est teinté d’orientalisme et les clichés sont nombreux. Pour l’un, « l’Espagnol est toujours agité », les bergers croisés sont « bronzés comme des Touaregs »… Dans le même temps, des cercles catalanistes amateurs de montagnes vantent le caractère catalan de ce Val. De ce côté de la frontière, mais plus à l’Ouest, un parc national est créé relativement tôt, à Ordesa en 1918. Peu à peu naît dans les Pyrénées, un écosystème touristique avec des guides, des hôteliers, des randonneurs, des consommateurs de loisirs mais aussi des chasseurs, des pêcheurs… Nombre de touristes ont un regard apitoyé sur les pratiques agricoles qui s’y déploient. Associations de touristes et administration des Eaux et forêts perçoivent l’agropastoralisme comme un archaïsme. Celui-ci serait à l’origine d’un déboisement, appelé bientôt déforestation, qui expliquerait glissements de terrain, inondations et avalanches… Ce qui ne correspond pas à la réalité. Il y a « dépossession et […] disqualification des usages locaux au cours du processus de patrimonalisation de la nature ».

Les sports d’hiver : une histoire pyrénéenne

L’auteur y montre la précocité pyrénéenne. Les stations de Superbagnères et Font-Romeu sont créées avant même 1914. La première compétition de ski en France a certes lieu dans les Alpes, en 1907 à Montgenèvre, mais les Pyrénées ne sont pas en reste et l’année suivante Gourette en organise une. Il s’agit de développer un tourisme hivernal, ce qui suppose des équipements : la crémaillère de Luchon à Superbagnères est inaugurée en 1912. Mais les pratiquants sont très peu nombreux et le ski de fond fort fatigant. Les années 1930 voient la crise affecter ces stations mais des changements sont susceptibles de favoriser un éventuel rebond avec l’émergence du ski alpin et la mise au point du téléski. L’intervention de l’Etat (prêts à taux réduit dès le plan Marshall) permet, surtout à partir des années 1960, un relatif essor des stations dans les Pyrénées. Toutefois, sauf côté espagnol, la fréquentation des pistes pyrénéennes reste limitée. De nos jours, la diminution de l’enneigement pose des problèmes majeurs. Certaines stations très endettées ont fermé, d’autres sont largement soutenues par les collectivités territoriales. Par ailleurs, si elle donne un sentiment de liberté et de proximité avec la nature, la pratique du ski alpin avec ses lourds équipements accroît l’artificialisation du paysage et pose des problèmes environnementaux importants.

Protéger l’environnement pour mieux l’exploiter. Une géopolitique du patrimoine naturel au 20ème siècle

Ce chapitre est centré sur les enjeux environnementaux liés au tourisme. Y est présenté « ce qui, dans les relations entre le tourisme, l’agriculture et l’industrie, nourrit le mouvement de protection de l’environnement ». L’auteur revient sur les débats et les choix faits au moment de la création des aménagements dus à l’essor de l’hydroélectricité. Ceux qui l’estiment préjudiciable au tourisme rejettent l’industrie et affirment parfois défendre le patrimoine naturel. Reste qu’après-guerre, l’impératif de la Reconstruction s’impose un temps. Même si, quatre ans après celui de la Vanoise, le Parc national des Pyrénées occidentales est créé (1967). Pendant la période dite des « Trente glorieuses », la volonté de redynamiser cet espace se traduit par des mesures en faveur de l’agriculture de montagne qui n’inversent pas cependant la tendance à la concentration de l’agriculture. Cette partie se conclue par l’étude de l’échec d’une tentative d’impulsion d’un parc régional en Ariège qui permet de comprendre la nécessité d’associer les populations aux choix qui les concernent.

Dans la conclusion, tout en rappelant que le tourisme est devenu un fait social et culturel majeur, S. Hagimont s’interroge sur « l’avenir de l’économie touristique » . Destructeur de l’environnement, il permet néanmoins de prendre conscience de la beauté et de la fragilité de la montagne. Ce qui, si on est optimiste et qu’une volonté politique s’affirme, pourrait déboucher sur une protection de l’environnement, indispensable mais qu’il faudrait repenser.

Un livre destiné à tous ceux qui s’intéressent aux questions environnementales, aux professeurs d’histoire et géographie et dont plusieurs passages pourraient enrichir cours et connaissances. L’ouvrage permet, par ailleurs, d’avoir un autre regard sur les Pyrénées où des réalisations précoces ont été réalisées. Il plaira aussi aux amoureux de ces montagnes.