Édité par l’association pour la recherche sur l’occupation et la résistance dans l’Yonne et par la société archéologique et historique des vallées du Créanton et de la Brumance les actes du colloque consacré à l’entrevue Pétain-Goering en gare de Saint-Florentin Vergigny, nous sont parvenus par l’intermédiaire de notre estimé rédacteur Joël Drogland.
http://clio-cr.clionautes.org/_joel-drogland_.html

Partie prenante de cette publication, il nous a fait l’amitié de nous la confier.

Cette rencontre figure dans le fond documentaire de l’INA
http://www.ina.fr/video/AFE86001606

il nous a paru intéressant d’opposer le commentaire de cette archive cinématographique qui qualifie cette rencontre d’historique et riche de perspectives pour les deux grands peuples français et allemands et le commentaire de Bénédicte Vergèz-Chaignon qui préface cet ouvrage. Dans les études historiques, l’entrevue apparaît généralement comme un événement clairement caractérisé, mais mineure faute de conséquences. Cela n’a rien à voir semble-t-il avec la rencontre de Montoire.
Il n’en reste pas moins que cette rencontre, malgré le commentaire dithyrambique des services de propagande de la France de Vichy, traduit un état de sujétion de la France occupée.

Le maréchal Pétain se rend à Saint-Florentin, en zone allemande, par un itinéraire soigneusement balisé par les autorités d’occupation. La seule présence militaire observable est celle de soldats allemands, et plus précisément de SS.

Ce que les actes de colloque révèlent est extrêmement enrichissant. Tout d’abord les documents sont soigneusement présentés et annotés, et notamment le texte des archives nationales qui se trouve dans les papiers de l’amiral Darlan, ce dernier accompagne le maréchal pendant cet entretien.
Des notes ont été prises par les participants, y compris pendant le déjeuner, qui s’est tenu dans le train spécial du Maréchal Goering accompagné par le ministre Schmidt et le général Hanesse, tandis que le maréchal Pétain, en plus de l’amiral Darlan était accompagné pour l’échelon politique par François de Brinon.

Ce dernier peut être considéré comme un des ultras de la collaboration, ce qui lui a valu d’être exécuté en 1947. Il n’est pas inintéressant d’évoquer également ce film de propagande qui se trouve sur le site de l’Ina qui montre quand même le dévouement de François de Brinon à la cause collaborationniste.

01 janv. 1943 10min 15s
http://www.ina.fr/video/AFE00000264

Film de propagande de la Légion des Volontaires Français racontant le voyage de Fernand de BRINON, ambassadeur de France et président du comité central de la LVF sur le front de l’est. Répondant à une invitation de l’Etat Major allemand, il était accompagné du colonel PUAUD, de Guy SERVANT, de M. MARET directeur de la propagande de la LVF, et des journalistes JEANTET et BRASILLACH. L’ambassadeur rencontre, salue et récompense les volontaires français revêtus de l’uniforme allemand et visite quelques fortins et autres villages tenus par les légionnaires. Après des hommages rendus aux morts et aux blessés la délégation française se rend sur les fosses de Katyn et assiste à l’exhumation des cadavres. A son retour en France M. de Brinon est accueilli gare de l’Est par le ministre allemand Rudolf SCHLEIER.

L’intérêt de cet ouvrage et qu’il est associé à une remarquable présentation de la situation de la France et du contexte de cette rencontre à partir des travaux de deux des intervenants à ce colloque, Frédéric Gand et Thierry Roblin.

Dans l’esprit du Maréchal Pétain, l’intérêt de cette rencontre et d’obtenir, en échange d’une collaboration, un allégement du régime d’occupation. La France n’a pas véritablement de représentation diplomatique, puisque François de Brinon, n’est que délégué général du gouvernement de Vichy qu’à partir du 18 décembre 1940, sans le statut d’ambassadeur.
Les autorités allemandes ne souhaitent pas d’une co-belligérance avec la France, à la fois par esprit de revanche du traité de Versailles mais surtout pour maintenir le pays dans une position subordonnée, tout en tenant compte des intérêts de l’Italie, notamment en Afrique du Nord.
Pour les autorités de Vichy il s’agit d’utiliser la situation stratégique de l’empire en essayant de renégocier les clauses les plus durs de l’armistice. C’est la raison pour laquelle le maréchal Pétain se rend à Saint-Florentin porteur d’un volumineux mémorandum que le Maréchal Goering ne tient absolument pas à examiner point par point. Bien au contraire, dans les entretiens en gare de Vergigny, Goering reproche à la France son absence de soutien dans l’affaire de Syrie, lorsque les autorités françaises locales ont refusé les facilités d’atterrissage aux aviateurs de la Luftwaffe. Dans le même temps, Goering fait clairement comprendre français que les unités navales réfugiées en Martinique pourraient parfaitement tomber dans les mains américaines.

C’est sans doute dans le wagon restaurant, au moment du déjeuner que les protagonistes se livrent à des observations qui relèveraient de « la grande politique » notamment avec des considérations sur la division du monde, qui serait alors, selon Goering divisé en secteurs, l’Amérique restants isolée face à un bloc euro-africain qui serait dominé par l’Allemagne tandis que l’Extrême-Orient le serait par le Japon.
La question de la flotte française est également évoquée, ne serait-ce qu’en raison de la présence de l’amiral Darlan qui s’oppose à cette idée de Goering de louer les unités navales à l’Allemagne. Au passage le maréchal Pétain, sans doute victime d’une «absence», évoque la possibilité de céder la flotte à l’Allemagne contre une province, une bourde que le Maréchal Goering ne relève même pas.

Enfin, toujours pendant ce déjeuner, Goering affirme avec certitude que les États-Unis ne déclareront pas la guerre. Il est vrai que le premier décembre 1941 l’attaque sur Pearl Harbour n’a pas encore eu lieu.

Au-delà de cette entrevue, les actes du colloque montrent également le destin de ce mémorandum à la fois du côté français, comme du côté allemand. Les dispositions de ce dernier se révèlent très vite comme caduques, dès lors que les autorités françaises, notamment en Tunisie, sous le commandement du général Juin tergiverse pour ne pas livrer le port de Bizerte qui aurait pu permettre à l’Afrika Korps de disposer d’une base de ravitaillement particulièrement avantageuse. Du côté des autorités françaises les quelques assouplissements qui ont entretenu ce que l’on a appelé par la suite « la légende rose » sont présentés comme une victoire de l’amiral Darlan qui devient jusqu’au retour de Laval l’homme fort du gouvernement de Vichy.

Ce colloque, même s’il relate un événement au bout du compte assez mineur, présente l’intérêt de montrer ce qu’est véritablement « la fabrique de l’histoire ». Un très riche appareil documentaire, notamment des télégrammes diplomatiques permet de montrer la perception que les chancelleries étrangères, celle des États-Unis comme celle du gouvernement italien et même la réaction du Portugal, ont pu avoir de cet événement. La presse locale, avec le titre « le Bourguignon », relate très largement l’événement, y compris avec des considérations géopolitiques, comme ce titre de l’édition du 4 décembre 1941, « l’Europe a besoin de garder l’Afrique ». Ce titre qui paraît sous contrôle allemand rappelle également que des Français applaudis par le maréchal Pétain se battent en Russie contre le bolchevisme.

Ces retours de la presse de l’époque s’opposent à cette légende rose qui évoque le courage de Maréchal Pétain prêt à se livrer en otage aux autorités allemandes en octobre 1941, à la suite d’exécutions d’otages en représailles à des attentats contre les officiers allemands. Dès lors que l’on compare les minutes des conversations avec le Maréchal Goering, cette légende rose auquel les milieux maréchalistes font parfois encore référence tombe d’elles-mêmes.

Les actes de ce colloque sont évidemment très riches de documents que l’on pourrait parfaitement utiliser, à différents niveaux d’enseignement, pour montrer la fabrication de la propagande par le régime de Vichy mais aussi pour faire apparaître, de façon très claire, que les autorités allemandes ne voyaient dans la collaboration qu’une forme de soumission de la France qui puisse servir directement leurs intérêts sur tous les théâtres d’opérations dans lesquelles ils étaient engagés.

Bruno Modica