La mondialisation peut être définie en géographie comme le processus géohistorique multiséculaire d’extension progressive du système marchand puis capitaliste dans l’espace géographique mondial qui aboutit à la construction du système-Monde actuel (Roger BRUNET, Olivier DOLLFUS…). L’un des principaux objectifs de la 4e édition de cet ouvrage est de dépasser les logiques économistes et a-spatiales en « décortiquant » les phénomènes et les processus, les jeux d’acteurs et les trajectoires territoriales à partir d’une idée simple : « la mondialisation, c’est d’abord du territoire. » En effet, la mondialisation comme système repose d’abord et avant tout sur la mise en relation systémique de plus en plus complète des différents territoires et ensembles géographiques pavant l’espace planétaire. Système géoéconomique et géopolitique hiérarchisé, instable et conflictuel, elle est aussi un processus producteur de profondes inégalités reposant sur une double logique d’intégration/fragmentation et de marginalisation/exclusion. L’époque contemporaine peut être considérée comme la troisième phase du processus de mondialisation dont l’étude oblige à réfléchir aux continuités et ruptures introduites par les mutations actuelles comme la question de la gouvernance mondiale et de la finitude géographique posant le problème d’un développement durable. Laurent CARROUE,professeur des universités, spécialiste de géographie économique et de la mondialisation et directeur de recherche à l’Institut français de géopolitique (IFG) de l’université Paris 8 aborde ces différents thèmes dans 6 chapitres :

 La mondialisation, une clé d’analyse des dynamiques contemporaines

Ce chapitre a pour objectif de dégager les fondements épistémologiques, conceptuels et sémantiques de la mondialisation, tout en proposant une boîte à outils spécifiquement géographique pour son analyse.  Il importe d’abord de bien clarifier différents termes pour dépasser les incertitudes terminologiques : universel, international, globalisation et mondialisation.  La géohistoire apporte quelques clés à la définition de la mondialisation. L’espace géographique est en effet passé d’économies-monde plus ou moins interconnectées à une économie-monde. La mondialisation apparaît donc comme une succession de systèmes, historiquement datés, définissant la nature et l’architecture de l’ordre mondial. Alternent alors phases de stabilité et d’instabilité selon l’évolution des rapports de force entre économies-monde prétendant au leadership. On peut identifier 3 grands stades géohistoriques : la première mondialisation avec les Grandes Découvertes de la Renaissance, la deuxième mondialisation fondée sur la colonisation par le monde occidental des 3/4 de la planète dès le milieu du XIXème siècle et la troisième mondialisation libérale, financière et dérégulée qui commence dans les années 1970. D’un point de vue épistémologique, 3 grandes périodes de traitement de la mondialisation actuelle sont identifiables : 1980-1990 (survalorisation de l’échelle mondiale : la fin des territoires),  1990-2000 (montée de l’analyse critique, retour à la complexité du monde et réarticulation espace(s) et territoire(s) et 2000-2010 (affirmation de la géopolitique et des questions concernant l’ordre mondial, l’hégémonie et la puissance). Au final, il est important de l’analyser dans ses composantes et ses dynamiques à travers une approche articulant pavages et réseaux, emboîtement systématique des différentes échelles géographiques et grands ensembles spatiaux. En géographie, la mondialisation apparaît alors comme un concept opératoire visant à expliciter les dynamiques contemporaines, en identifiant clairement le jeu des acteurs et leurs dynamiques géographiques.

Crises et basculements du monde : clés géoéconomiques et géopolitiques

Nous sommes en train d’assister à un spectaculaire changement des paradigmes structurant les grands équilibres organisant la mondialisation. Pour en comprendre les dynamiques, la mobilisation de clés d’analyse géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques est indispensable. De profonds bouleversements transforment l’architecture du système mondial comme la croissance démographique et l’explosion des inégalités sociales et territoriales posant la question d’une développement enfin durable et solidaire. Ainsi en un tiers de siècle, la population mondiale a augmenté d’un tiers. Ce processus pose des questions géopolitiques et géoéconomiques en lien avec la refonte des équilibres entre grands foyers de peuplement à la surface du globe. Alors que la planète n’a jamais produit autant de richesse, on assiste aussi à une rupture séculaire des équilibres géoéconomiques mondiaux avec des Suds qui réalisent 56% de la croissance mondiale. Malgré tout, à la concentration géographique des richesses produites dans l’espace mondial répond une extraordinaire polarisation sociale au profit de classes dominantes et d’oligarchies très étroites. Moins d’1% de la population mondiale accapare en effet 45% de la richesse et seulement 8% de la population 86% de celle-ci. C’est dans ce contexte d’inégalités et de pression sur les ressources qu’apparaît la notion de développement durable. Pourtant « il ne peut y avoir de développement véritablement durable sans développement économique et social de l’ensemble de l’humanité et sans réduction sensible de la pauvreté et des inégalités. » Ces dynamiques sont à la fois causes et conséquences des profonds bouleversements de l’architecture mondiale, qui devient de plus en plus polynucléaire. De nouvelles puissances émergées, émergentes ou potentielles s’affirment, comme la Chine. Des rivalités de puissances se renforcent. Par ailleurs, les tensions et les conflits régionaux se multiplient, parfois en lien avec l’apparition de groupes terroristes transnationaux. La nouvelle répartition des puissances entraîne une crise de la gouvernance mondiale, que la crise d’accumulation financière de 2008 a révélé. Les mers et les océans, tout comme l’espace, deviennent des enjeux de territorialisation. « Sous les effets de l’avalanche des faits quotidiens, de nombreux médias donnent à voir un monde qui serait illisible car de plus en plus incertain et imprévisible, fait de désordre et de chaos entraînant un vaste brouillage stratégique. »

 Les firmes transnationales

Par leurs poids économique et social et leur influence politique, idéologique et culturelle, les firmes transnationales sont devenues des acteurs centraux des dynamiques contemporaines. Dès 1973, l »ONU définit comme transnationale tout firme, ou « société mère », réalisant plus de 25% de ses productions et échanges avec des filiales implantées dans au moins six pays différents. » La capacité des FTN à valoriser les différences territoriales dans un cadre de plus en plus concurrentiel est un des facteurs essentiels de leur puissance et un des enjeux clés de la mondialisation. L’hyper-sélectivité de leurs localisations participe directement au remodelage des différentes dynamiques géoéconomiques mondiales. Le déploiement de leurs stratégies territoriales exacerbe en effet les rapports de domination entre pôles de commandement, périphéries intégrées plus ou moins autonomes et espaces marginalisés. Les grands pays développés gardent un avantage considérable : ils disposent aujourd’hui de 77% des ventes, 75% des actifs et 68% des profits, mais seulement 47% des salariés.  L’affirmation de nouvelles puissances se traduit toutefois par une internationalisation croissante de leurs grandes entreprises débouchant sur la multiplication de nouvelles firmes transnationales (FTN).  Face à la multiplication des excès, abus et scandales dans un contexte d’une mondialisation ultralibérale exacerbée, les Etats et les Organisation non Gouvernementales (ONG) et une société civile plus internationalisée exercent une  surveillance accrue sur leurs stratégies, la qualité de leurs produits, leur processus de fabrication et leurs normes environnementales, sociales et salariales. Les stratégies territoriales différenciées de quelques firmes transnationales sont enfin développées : Sime Darby Plantation, Unilever, Toyota, Walmart ou MTN.

 La mondialisation des marchés et des facteurs de production

On assiste au déploiement de fortes spécialisations concurrentes, de polarisations, de ségrégations et d’évitements aux échelles mondiale, nationale et régionale. C’est le cas pour les matières premières, qui occupent une place névralgique dans le système économique et l’organisation géoéconomique d’une large partie du monde, ou des produits énergétiques et miniers, très précocement enjeu essentiel de la mondialisation capitaliste et de la colonisation.  Enfin, contrairement à une idée trop courante dans certains pays développés, l’activité industrielle mondiale connaît une croissance forte et continue. Elle est au cœur du développement économique et social. Pierre VELTZ parle de société et de monde « hyperindustriels ». Mais ce dynamisme est géographiquement ultra-sélectif et s’inscrit dans la division internationale du travail. Si les hiérarchies Nord/Sud de la production industrielle sont largement bouleversées,  la recherche-développement demeure plus que jamais polarisée par les Etats les plus puissants dans de véritables territoires mondiaux de l’innovation comme la Silicon Valley. Les exemples du système Nike et du taïwanais Pou Chen illustrent bien la notion de « firmes réseaux ».

 L’explosion des mobilités et des échanges

Historiquement, la mondialisation repose sur la mobilité géographique des hommes, du capital, des informations et des marchandises dans l’espace mondial, grâce à l’amélioration constante des facteurs logistiques et l’ouverture des cadres politiques. Loin d’être évanescents ou hors-sol, ces flux parcourent le monde, en s’appuyant sur des systèmes techniques très concrets organisés en réseaux et en nœuds. On passe de plus en plus d’une distance métrique planétaire homogène à une distance systémique du fait de la modernisation et de la densification inégale des réseaux d’échanges et des connexions. La mondialisation contemporaine se caractérise par exemple par la forte montée des mobilités humaines à la surface de la Terre, caractérisée par la forte polarisation géographique des principaux pôles émetteurs et récepteurs. De véritables systèmes diasporiques se mettent en place. Elles jouent un rôle économique, politique et culturel exceptionnel du fait de la densité des liens tissés entre l’espace régional ou national émetteur et les différentes localisations d’accueil. Les principales sont chinoises et indiennes. Encore un privilège, le tourisme international est aussi en plein essor. Il passe de 800 millions à 1,3 milliard de visiteurs par an entre 2006 et 2017. Malgré une plus forte diffusion spatiale, les pôles émetteurs et récepteurs sont également géographiquement polarisés. On assiste par ailleurs à une mondialisation des échanges. Elle s’accompagne d’une reconfiguration à la fois géographique et sectorielle. Parallèlement, le système logistique n’a jamais été aussi inégal. La logistique devient un facteur essentiel d’intégration ou de marginalisation à toutes les échelles scalaires car il n’y a pas d’échanges possibles et de développement sans transport(s). Dans le transport maritime, la mondialisation débouche ainsi sur un système hiérarchisé et sélectif. Dans les conteneurs, seulement 10 ports réalisent un tiers de l’activité mondiale et 40 ports 60%. La dynamique du secteur aérien est de la même façon géographiquement hyper-sélective. On retrouve l’affirmation exceptionnelle des grands hubs métropolitains mondiaux dans l’organisation des flux planétaires. Sur un parc de 3200 aéroports, les 20 premiers polarisent 50% du trafic passager mondial. Enfin la production, la circulation, le contrôle et la vente d’informations sont devenus un enjeu essentiel des rapports géopolitiques, géoéconomiques et culturels mondiaux.  Le trafic mondial d’Internet est multiplié par 20 en seulement 5 ans. Pour autant, l’espace mondial demeure, à toutes les échelles, structuré par de nombreuses fractures numériques. La diffusion d’Internet dessine une géographie ultra-sélective aux échelles mondiale, nationale et régionale.

 Les dynamiques territoriales entre intégration et fragmentation

La mondialisation, loin d’uniformiser l’espace mondial, est un facteur majeur de différenciation des dynamiques territoriales. En réponse, les territoires s’adaptent en recomposant en permanence par leurs choix stratégiques leurs propres modalités d’insertion dans la mondialisation. Au cœur de la dynamique contemporaine, les villes sont les espaces moteurs de la mondialisation. Elle survalorise en effet les très grandes métropoles qui jouent un rôle majeur dans l’économie mondiale. Leur production économique, évaluée par le produit urbain brut (PUB), est souvent supérieure à celle d’un Etat. Leur pouvoir de pilotage et d’influence ne cesse pas de se renforcer car elles polarisent les fonctions et les emplois les plus rares et les plus stratégiques, comme lieux des centres de pouvoirs, comme nœuds privilégiés de la concentration et de la circulation des richesses, des hommes et des informations, comme espaces directs de la formation, de l’innovation. Enfin ce chapitre se conclut par les dynamiques de fragmentation intra-étatiques qui peuvent mettre à mal les équilibres et solidarités internes de certaines constructions d’Etats-nations en Centrafrique, au Mexique, en Indonésie ou en Chine.

La mondialisation en est donc à un nouveau stade historique en cette entrée dans le XXIème siècle. Sa première caractéristique est d’être une construction systémique aux rapports profondément inégaux entre les centres d’impulsion, anciens et nouveaux, et différents espaces périphériques. La principale rupture tient toutefois dans les profonds bouleversements de l’architecture mondiale avec une structure plus polycentrique. Michel FOUCHER parle de « grande émancipation ». On est également passé d’un système international reposant sur des échanges entre Etats et nations dans les années 1950 à un système mondialisé qui fait de la maîtrise, totale et en continu, du temps et de l’espace un vecteur central de sa puissance. La puissance des FTN repose avant tout sur leur capacité à maîtriser et à gérer l’espace mondial à leur profit, débouchant sur une nouvelle division géographique du travail organisée à des échelles de plus en plus vastes. Mais ces logiques d’expansion à l’ensemble des territoires mondiaux se heurtent à des résistances multiformes. La proximité garde encore toute sa valeur. L’échec de biens uniformes (dans l’automobile ou l’électroménager) témoigne ainsi de la résistance des cultures, des habitudes et des modes de vie. Le retour des Etats (surtout après la crise de 2008), l’affirmation des ONG et la nouvelle préoccupation pour un développement plus égal et durable imposent de renouveler sa gouvernance mondiale.

Il ne s’agit pas d’un ouvrage sur la mondialisation, mais bien d’un ouvrage sur la géographie de la mondialisation. Laurent CARROUE mobilise tout au long du texte les notions géographiques pour expliquer ses dynamiques en croisant continuellement les échelles. Des exemples concrets sont mobilisés à bon escient, ainsi que les nombreux documents et notamment les cartes (dommage qu’elles ne soient pas en couleurs). Ce manuel universitaire est donc une base efficace pour mettre à jour ses connaissances et préparer des études de cas pour des collégiens (surtout en 4e) et des lycéens (surtout en Terminale).