Philosophe de l’urbain, essayiste et lexicographe, on ne présente plus Thierry Paquot. Dans ce dernier petit ouvrage, le philosophe revient sur un objet toujours, hélas, d’actualité : les bidonvilles. Ensemble de constructions hâtivement bâties avec des matériaux de fortune sur un terrain squatté non viabilisé, destiné à une population pauvre exclue de tout, le bidonville est l’une des modalités de l’urbanisation planétaire née à la fin du XIXe siècle et qui abritera près de 2 milliards d’habitants en 2030. Mais, défend Thierry Paquot, « le bidonville n’est pas une fatalité » (p.31). Il nécessite un « traitement de choc », une prise de conscience des pouvoirs publics, qui ne peuvent se faire qu’avec la participation des bidonvillois.

Dans un premier chapitre, il s’agit pour l’auteur de montrer que l’urbanisation, dans son histoire, a toujours été accompagnée de sa « part d’ombre », de zones d’habitations précaires ou provisoires qu’il appartient à l’auteur d’analyser et de différencier. Le deuxième chapitre, s’intéresse aux formes actuelles des bidonvilles et à leur prolifération d’un point de vue planétaire. Le chapitre III s’intéresse à la vie au sein des baraques de fortune, à la vie dans les bidonvilles, aux bidonvillois eux-mêmes. Enfin les chapitres 4 et 5 laissent la place à l’imaginaire que ces habitations précaires nourrissent chez les romanciers et les cinéastes, l’auteur reliant ici son objet à ses autres passions, la littérature et le cinéma.

Pour Thierry Paquot, « les bidonvilles sont le produit de plusieurs causes qui s’additionnent : l’exode rural, la migration économique, la pauvreté, le chômage chronique, la pénurie de logements abordables, la sous-qualification, l’absence d’une politique économique nationale assurant à chacun un emploi et d’une politique sociale solidaire, redistribuant aux plus démunis de quoi survivre dignement » (p.31). La bidonvilisation n’est pas un phénomène inéluctable. Le bidonville n’est pas dû à la surpopulation mais à la non-prise en compte des nouveaux arrivants dans les villes. Avant d’avancer cette idée qui devrait remettre en cause beaucoup de textes de nos manuels scolaires, Thierry Paquot a comparé et analysé l’histoire des quartiers précaires, et notamment en Europe et en France en particulier. Comment la France s’est-elle débarrassée de ces quartiers pendant les Trente Glorieuses ? Comment aujourd’hui laisse-t-elle s’en installer de nouveaux, plus discrets ?

Autre contrevérité riche d’enseignement, l’exode rural n’est pas la seule et principale cause des bidonvilles. En Afrique subsaharienne, par exemple, où les bidonvillois représentent 60% des urbains, l’exode rural ne compte que pour un tiers dans cette augmentation (p.38). Une des causes majeures, qui peut sembler une évidence, est l’accès difficile au logement. Les bidonvillois travaillent, pour la grande partie d’entre eux. Ce sont des urbains qui n’ont pas d’autre choix que celui d’un « mode d’habitat qui correspond à un mode de vie » (p.44).

« Les habitants de Dharavi, regroupés sur 200 hectares, travaillent majoritairement sur place » : 4902 entreprises, dont 1036 dans le textile, 932 dans la poterie, 567 dans l’industrie du cuir, 722 dans le recyclage de la ferraille, 498 dans la broderie et 152 dans l’alimentation (111 restaurants). En revanche, comme tous les autres bidonvilles, les rues sont en terre battue, les réseaux sont quasi inexistants… (p.47).

Ce petit ouvrage de Thierry Paquot remet, comme par habitude, les idées en place. Il éveille les consciences en partant du factuel et dans un esprit comparatiste. Les arguments avancés par l’auteur remettent en cause les idées reçues et les regards « occidentalisés » sur les bidonvilles. Un ouvrage à lire et à partager…