Depuis plusieurs années, les maisons d’éditions saisissent les questions des concours de recrutement pour faire fleurir un marché qui ne semble pas encore avoir atteint la saturation. Les éditions du Temps sont parmi les plus anciennes. Leurs ouvrages répondent à deux schémas possibles, le premier s’appliquant davantage en géographie et le second en histoire : soit un petit nombre de spécialistes élaborent un manuel de base de la question, soit une équipe plus étoffée prend en charge la rédaction d’articles disparates autour du sujet.

Ce Penser et construire l’Europe répond donc au deuxième schéma.
Autour d’Hélène Fréchet, traditionnelle directrice de ces ouvrages dans cette maisons d’éditions et à qui revient l’honneur d’une introduction résumant chacune des interventions, neuf auteurs ont rédigé un lot de dix articles de taille moyenne (entre 15 et 40 pages chacun).

On doit à Jean-Pierre Bois, professeur à l’Université de Nantes, une étude de l’idée d’Europe à l’époque moderne , et à ce titre il inaugure le corpus d’articles par une présentation du sujet hors du cadre chronologique initial. Il remonte ainsi rapidement aux héritages fondateurs, des rêves de monarchie universelle, qu’ils soient romain ou chrétien, aux brisures de la Renaissance, à la fois culture européenne et fin des unités possibles. Il fait ensuite un tour d’horizon des projets d’Europe de l’époque moderne, depuis la trop peu réaliste « République très chrétienne » de Sully en 1610, jusqu’au « Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe » de l’abbé de Saint-Pierre publiées parallèlement à la paix d’Utrecht en 1713. Si l’idée d’Europe subsiste au XIXe siècle, avec des utopies comme les Etats-Unis d’Europe de Victor Hugo, par exemple, les mouvements des nationalités tout autant que l’esprit de conquête semblent faire de l’Europe un simple rêve de poète.

Quatre des articles de l’ouvrage se concentrent sur chacun un personnage. C’est d’abord à Olivier Prat , de présenter les positions de Marc Sangnier et particulièrement son rôle précurseur dans le lancement des Auberges de Jeunesse. Jusqu’au bout, même après Munich, le fondateur du Sillon, voit dans la S.D.N. « le seul rempart possible contre la guerre ». Puis James Steel, de l’Université de Glasgow, se concentre sur la pensée de Churchill au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Selon l’ancien (et futur) Premier Ministre britannique, la construction européenne ne pouvait se passer de la préalable « association entre la France et l’Allemagne », propos prononcés dès septembre 1946 à Zurich.

Enfin Richard Ayoun, de l’I.N.L.C.O., consacrent deux artistes aux Pères fondateurs, Jean Monnet et Robert Schuman. On apprend ainsi que Jean Monnet était le petit-fils du maître de chaix des Hennessy, information essentielle à qui veut comprendre le rôle fondamental du bâtisseur de l’Europe dans la pensée politique de la seconde moitié du XXe siècle. Plus sérieusement, la construction de sa pensée permet à Jean Monnet d’envisager dès 1943 une paix européenne fondée sur une démocratie diffusée dans tout le continent et surtout par la suite de reprendre le rêve hugolien d’Etats-Unis d’Europe. L’étude de la jeunesse de Robert Schuman dans l’article qui lui est consacré est une donnée plus utile que celle de Jean Monnet. En effet, Schuman apparaît comme « un homme de l’Est », balancé entre France et Allemagne. Sa pensée aboutit à la vision d’une « communauté européenne supranationale administrée par une autorité unique et souveraine ». Le rythme pris par les deux hommes diffère, Monnet reprochant sa lenteur à Schuman.

Un autre lot d’articles monographiques, cette fois sur des aires géographiques, occupe cet ouvrage.

Le Benelux est étudié par Thierry Grosbois, de l’Université du Luxembourg, à qui l’on doit quelques autres articles sur cette aire. Le Benelux, constitué en 1943 pour permettre aux trois petits pays de peser davantage dans les négociations internationales, est d’abord une construction économique et monétaire qui débouche rapidement, dès 1944, sur une communauté douanière, à défaut d’une véritable union.

L’Italie républicaine est ensuite étudiée par Jean-Marie Palayret, directeur des Archives historiques de l’Union Européenne. Pilier de la construction européenne, comme l’illustrent de Gasperi et Moro, l’Italie apparaît comme le « Cendrillon de l’Europe », à la traîne d’un axe Paris-Berlin souvent cohérent, ayant parfois du mal à mettre en œuvre les initiatives communautaires.

L’Espagne enfin fait l’objet de deux articles. Le premier retrace le « long chemin de l’Espagne vers la Communauté européenne (1919-1986) ». Mathieu Trouvé, spécialiste des relations entre l’Espagne et l’Europe, souligne le paradoxe de liens diplomatiques globalement suspendus avec une dictature pourtant « tolérée et intégrée » au sein du continent européen. Malgré des tentatives de rapprochement dans les deux dernières décennies du franquisme, la Communauté européenne et la jeune démocratie espagnole peinent à trouver un accord dans des négociations compliquées. Le second article marque une continuité avec le précédent. Christine Delfour, professeur à Lille III, y traite des influences mutuelles de la construction européenne et de l’Espagne. La volonté de rejoindre en marche la Communauté européenne a fait consensus dans les partis démocratiques espagnols, jusqu’en 1996. L’Espagne a d’ailleurs largement bénéficié des subsides communautaires, comme l’illustre le cas du programme LEADER de la Montana Palentina, qui permet de rompre l’isolement dont est victime cette partie de la Castille-Léon.

Un dernier article touche « le moment fédéraliste ». Régis Ladous, professeur à Lyon III, y dresse une typologie des différents fédéralismes. Il distingue ainsi les fédéralistes intégraux, qui s’oppose, à l’image d’Alexandre Marc, à « l’idole stato-nationale », des fédéralistes issus de la Résistance, incarnés par Henri Frenay, ou des fonctionnalistes, auxquels l’auteur rattache la personnalité de Monnet.
L’ouvrage a les défauts de ses qualités. Il permet certes de faire un rapide tour d’horizon sur des questions plutôt pointues, mais les articles ne peuvent guère être lus dans la continuité. I

l pourra trouver place éventuellement dans la bibliothèque des candidats aux concours, mais paradoxalement ne sera pas très utile aux professeurs qu’ils seront devenus, en partie grâce à ce livre.