CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

« Merci aux Israëliens et Palestiniens qui forment le paysage humain de ce film. », telle est « l’épithaphe » qui clôt le film documentaire de Simone Bitton, qui paraît en DVD aux films du Paradoxe. Simone Bitton s’attache à faire découvrir aux spectateurs et téléspectateurs, par le biais de son premier long métrage, ce qui fait l’essence du Mur que l’on achève de construire entre Israël et la Palestine. Loin du documentaire « classique », qui s’appuyerait sur des cartes et des commentaires explicatifs, elle offre un portrait impressionniste de cette muraille et des habitants qui vivent des deux côtés. Elle montre qu’au-delà de la barrière, la vie continue et que nombreux sont ceux qui espèrent abattre le mur pour construire une paix durable.

Cette véritable œuvre cinématographique a été très remarquée lors de sa sortie en salle en 2004. Le film a obtenu de nombreuses récompenses : Quinzaine des réalisateurs (Cannes 2004), Grand prix du Festival International du Documentaire de Marseille (2004), Meilleur Film documentaire au Festival de Jérusalem (2004) et Prix Spécial du Jury du Festival Sundance USA (2005).

Simone Bitton n’est pas une documentariste comme les autres. Née au Maroc, dans une famille juive traditionnelle, elle a vécu à Jérusalem et à Paris. Elle détient la double nationalité française et israélienne. Diplômée de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), elle a réalisée une quinzaine de documentaires sur l’Afrique du Nord, le Moyen Orient et la Palestine en particulier. Juive arabe, elle est particulièrement touchée par la construction du mur, obstacle à tout dialogue.

Le film s’ouvre sur une scène édifiante par les dialogues et les images proposés au spectateur. Simone Bitton filme le mur, pas celui que l’on est en train d’édifier mais un mur plus ancien, moins haut qui sépare les quartiers de la ville de Jérusalem. Ce mur est décoré de peintures réalistes représentant des Hommes faisant la farandole, derrière eux des oiseaux (colombes) s’envolent. Une scène de paix sur un mur de séparation de deux communautés ! Au-delà de l’image, il y a le dialogue. Une conversation s’est engagée entre des enfants jouant près du mur et la cinéaste. Les enfants, des juifs, expliquent à leur interlocutrice ce qui fait la différence entre eux et les Arabes. Leur discours, reflet de celui des adultes qu’ils côtoient, est empreint de méfiance, de haine vis-à-vis de l’autre. Cette attitude discriminatoire est basée sur le faciès. Effrayant quand on pense que la création d’Israël s’inscrit dans le prolongement du génocide. De même, en construisant cette muraille, les juifs israéliens s’enferment autant qu’ils enferment leurs ennemis. Un membre du premier kibboutz établi compare la situation actuelle avec celle des ghettos où étaient contraints de vivre les juifs en Europe. Ici, ce sont les Israéliens qui construisent les murs de la prison.

L’interview du général Amos Yaron, directeur du cabinet du ministère de la défense, principal artisan du mur, permet de comprendre la logique qui prévaut dans la construction de cette barrière. Les autorités israéliennes ont choisi de construire cette muraille pour lutter contre les infiltrations de Palestiniens terroristes kamikazes ainsi que se protéger des vols de voitures et d’engins agricoles qu’elles imputent aux Palestiniens. Le mur coûte 2 millions de $ le kilomètre. Sa construction (réalisée par des ouvriers palestiniens) nécessite l’expropriation forcée de nombreux Palestiniens. Des exploitations agricoles sont coupées en deux. En effet, le mur est construit dans la zone palestinienne et non du côté israélien. Cette zone peut s’étendre sur 50 m. Elle comprend, à partir du territoire palestinien, une clôture, une tranchée, des barbelés, le mur proprement dit, une route de sable, une route pavée (où circulent des patrouilles militaires), le tout agrémenté de caméras et de système d’alarme.

Cet ensemble est une véritable balafre dans le paysage. Il constitue une discontinuité totale : les points de passage ne sont ouverts qu’une à deux heures par jour. Les véhicules sont fouillés et de jeunes gardes frontières contrôlent avec zèle les papiers des candidats au passage. Malgré tout, dans Jérusalem même, le mur laisse passer des Palestiniens à condition que ceux-ci soient capables d’escalader le mur de béton, moins haut et surtout très peu surveillé. Quoi qu’il soit, la présence du mur ne suffit pas à gommer le sentiment d’insécurité qu’éprouvent les Israéliens. L’armée est omniprésente partout et contribue à renforcer la notion de danger. Pour les Israéliens, eux-mêmes, le mur ne sert à rien sans la paix.

Simone Bitton livre ici un film engagé. Elle met l’accent sur les contradictions de l’Etat israélien dans sa grande entreprise de travaux publics. Sans aucuns commentaires moralisateurs, elle donne à voir le Mur. C’est le personnage principal du film. Elle lui consacre de longs plans séquences qui permettent au spectateur de prendre toute la mesure de la place que celui-ci tient à la fois dans le paysage mais aussi dans les têtes. Le rythme lent du film laisse au public le temps de prendre conscience de ce qui se noue là-bas.

En tant qu’œuvre cinématographique à part entière, il semble difficile de sélectionner un extrait de ce film pour le faire étudier à des élèves de troisième ou de terminale. En revanche, la programmation de cette œuvre dans le cadre des opérations Collège au cinéma ou Lycées au cinéma permettrait alors de travailler à la fois sur le fond et la forme du travail de Simone Bitton et de replacer la création artistique dans le parcours du cinéaste. Mais, aussi de s’interroger sur le sens de documentaire. Il y a beaucoup à faire et à faire réfléchir avec cette œuvre.
Pour l’enseignant, la vision de ce film permettra de mettre en image ce qu’il sait sur le Mur et de poursuivre sa réflexion sur les enjeux géopolitiques de la construction de cette barrière pour la région.

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