Patrick Picouet est maître de conférences à l’Université des Sciences et Technologies de Lille. Jean Pierre Renard est professeur à l’Université d’Artois. Il est l’auteur de Le géographe et les frontières, paru en 1997. Les deux auteurs ont publié ensemble un numéro de la Documentation Photographique : Frontières et territoires en 1993.
Leur propos s’organise autour de trois grandes lignes de réflexion.
La frontière, un objet géographique complexe, un construit socio-culturel
La frontière est un objet géographique par excellence car elle constitue un agent d’organisation territoriale de premier ordre. Elle est une construction sociale. C’est un objet sensible. Autour de la frontière se cristallise des émotions : la crainte du passage de la frontière, la peur de l’inconnu au-delà de celle-ci. La frontière possède une dimension patrimoniale. Même si, dans l’espace Schengen, elle a perdu sa fonction première, elle reste un marqueur identitaire.
Les frontières sont des miroirs du fonctionnement interne des sociétés, des nations, des Etats comme le disait Lucien Febvre : « Il n’existe pas de problèmes de frontières, il n’existe que des problèmes de nations ».
Les frontières sont des objets spatiaux multiscalaires, des espaces soumis à des stratégies et des politiques décidées à des échelles de pouvoir différentes.
La dimension culturelle du débat morphologique
Pour Picouet et Renard, la dimension historique de la frontière est essentielle. Nombreuses ont été / sont les guerres qui ont pour cause le tracé des frontières dites naturelles. La vision coloniale des territoires par les Européens, basée sur l’Etat-Nation, a d’autant plus échoué à s’implanter qu’elle ne correspondait à aucune réalité historique sur le terrain, surtout quand l’identité politique était déterminée par la religion.
Temporalités et frontières
Espace et temps relèvent de représentations. Franchir une frontière, c’est changer de temporalités. Même si Hagërstrand définit le « time geography » dans les années 1950 (basée sur les notions de budget temps, de mobilité et d’espace vécu), il faut attendre les années 1970, avec J. Levy et C. Grataloup (Revue Espace – temps) pour que la temporalité entre en géographie. Jusque là, le temps relevait de l’Histoire. La dynamique de la frontière est très liée à celle de la société et du territoire du dedans. Elle est le fruit de temporalités collectives et individuelles qui s’accompagnent de la mise en place d’une mémoire de la frontière (cf. la multiplication des musées de douane), alors que parallèlement se développent des espaces transfrontaliers.
Avec la mondialisation et le développement du terrorisme, ce ne sont plus les marges, les périphéries rurales qui sont les enjeux géopolitiques mais les hubs, les grandes métropoles, les lieux de commandement. Les marges deviennent des territoires de jeux et de loisirs pour les Européens (cf. développement du tourisme balnéaire, blanc, vert…) et les enjeux de l’aménagement de l’espace européen.
Commentaire
Ce petit opus comprend des documents très intéressants, y compris en couleurs. Toutefois, on regrettera qu’ils ne fassent l’objet que d’une analyse très partielle, car trop rapide. Le corpus documentaire, sur lequel s’appuient les auteurs, est plus une invitation à la réflexion qu’autre chose. Les enseignants du secondaire trouveront matière à choisir des documents qui leur permettront de construire divers cours : Plus de six milliards d’Hommes, en géographie seconde mais aussi les chapitres d’histoire de 4° et 1° concernant la colonisation. On regrettera que les bandes dessinées évoquées ne soient pas reproduites.
Finalement, l’impression qui se dégage de la lecture de cet ouvrage est qu’il s’agit d’un ensemble très décousu. Le texte des auteurs consiste trop souvent à faire le lien d’un document à l’autre. Il semble que le champ des frontières soit trop vaste à traiter en si peu de pages (150 pages). Le format réduit laisse une impression d’inachevé. De plus, les auteurs ont fréquemment recours à de nombreux renvois, qui achèvent de désemparer le lecteur. Un aspect du sujet est évoqué et les auteurs indiquent qu’ils en parleront dans une autre partie du livre. Le moment venu, le lecteur ne fait plus alors le lien avec la partie précédente.
L’ensemble souffre d’un déséquilibre. La moitié du livre est consacré à la première partie (il est vrai que c’est celle, à sa décharge, qui comporte le plus de documents). Les auteurs proposent une démarche intéressante dans cette première partie en exposant une démarche de modélisation de la dynamique complexe des espaces frontaliers, à partir de l’exemple de la Côte d’Ivoire. Ils s’interrogent sur la capacité à représenter le temps de la frontière et ses acteurs. Le « système de la frontière » élaboré par Jean Pierre Renard, dans les années 90, ne permettait pas d’envisager la frontière comme objet non linéaire où agissent une pluralité d’acteurs. Pour atteindre cet objectif, les auteurs ont recours à 5 grands modèles évolutifs, commentés, mais qui ne disposent pas, malheureusement, d’une légende en soi. Toutefois, ce travail permet de prendre la mesure du temps et des impacts de l’histoire sur l’organisation et la destinée d’un pays. Par ailleurs, le tableau synthétique des pages 118 – 119 est à recommander. Il présente la pluralité scalaire et temporelle de la frontière. Enfin, le dernier chapitre : Une réhabilitation de la mémoire commune de la frontière propose une réflexion intéressante sur la notion de frontière dans l’Europe des 27 et donne des pistes pour la recherche.
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