Regroupant des acteurs de terrain, nous disons parfois des praticiens, les Clionautes, en développant la veille éditoriale de la Cliothèque, on fait le choix de développer la formation disciplinaire.
La sortie quasiment simultanée de ces trois ouvrages importants sur le national-socialisme, nous a conduit à les proposer à notre équipe de rédacteurs.
Ces trois critiques ont déjà été publiées sur la Cliothèque, mais il peut être utile de les associer dans cette sorte de triptyque qui présente trois aspects différents mais complémentaires du nazisme.
Ces trois recensions permettent d’aborder l’étude de ce régime totalitaire à la fois dans le cheminement intellectuel qui a pu conduire une partie de la société allemande à adhérer à cette thèse, dans ses pratiques eugéniques, et dans la relation que cette pensée national-socialiste a pu entretenir avec les courants philosophiques de son époque.
Puisse ce travail de référence servir à la transmission des connaissances sur un phénomène historique qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Et pour les praticiens de l’histoire, que ces critiques contribuent à maintenir un niveau d’exigence en termes de formation.
C’est le choix que les Clionautes cherchent à promouvoir, celui de la transmission des savoirs.

Aly Götz
Les Anormaux : Les meurtres par euthanasie en Allemagne (1939-1945)
Flammarion, 2014, 311 p, 22 euros

mercredi 18 février 2015, par Jonathan Teurnier

Écrivain et journaliste, ayant travaillé dans de grands quotidiens allemands, Aly Götz a réalisé l’essentiel de ses travaux sur le IIIe Reich et plus particulièrement sur l’extermination des juifs d’Europe ainsi que sur l’histoire médicale sous le nazisme.
Il nous propose dans Les Anormaux : Les meurtres par euthanasie en Allemagne (1939-1945), une étude consacrée à la mise à mort médicalisée, de ceux qu’il appelle les belasteten, c’est-à-dire, littéralement, « ceux qui représentent un poids », dans le cadre du programme d’état Aktion T4. Autrement dit, 200 000 individus, enfants compris, affectés d’une déficience mentale, de maladies incurables ou de difformités physiques nécessitant des soins permanents les rendant inaptes à une activité professionnelle, auxquels il faut ajouter 350 000 personnes stérilisées de force dans la période 1933-1940. Au-delà de l’étude des méthodes, il s’agit surtout de s’interroger sur les conditions de faisabilité et d’acceptabilité de ces meurtres pratiqués sous les yeux même de la société allemande.
Partagé en 17 chapitres rédigés dans un style très journalistique, l’ouvrage fait état de redoutables problèmes méthodologiques : difficulté d’accès à des archives encore protégées par l’état (surtout en ex-RDA), poids du silence et de la culpabilité dans les familles de victimes, interprétation des sources complexifiée par la novlangue nazie, littérature lacunaire sur ce sujet. Ce texte permettra donc au lecteur d’approfondir sa connaissance d’un aspect du nazisme dont l’étude est en plein renouvellement, l’eugénisme et l’euthanasie des « non conformes », et il donnera au public enseignant un outil pour enrichir les cours consacrés aux régimes totalitaires en classes de troisième et première mais aussi ceux consacrés au génocide.

Les anormaux les meurtres par euthanasie en Allemagne

Johann Chapoutot
La loi du sang : Penser et agir en nazi
Gallimard, Bibliothèque des histoires, 568 pages, 2014, 25 euros.

mercredi 18 février 2015, par Jean-Pierre Costille

Johann Chapoutot est professeur à l’Université Paris III Sorbonne nouvelle et a notamment publié un numéro de la Documentation photographique consacré au nazisme qui faisait le point sur le sujet en 2012. Cet opus s’était alors révélé d’une très grande utilité pour nos cours en mêlant analyses précises et documents exploitables dans les classes. Cette fois, le projet est d’une toute autre ampleur.

Le nazisme, un cas à part ?

Dans l’introduction, l’auteur pose les fondements et cadres de son travail avec une idée forte : il faut considérer, c’est-à-dire tenir compte de ce qu’ont écrit les nazis. En effet, trop souvent, leurs écrits ont été balayés de la main au profit d’une idée qui disait qu’il s’agissait d’une abomination, d’une exception. Ce point de vue longtemps dominant pose tout de même un redoutable problème : en suggérant une particularité absolue nazie, que l’on réduit parfois même à la personnalité d’Hitler, on rend unique ce moment, on « « l’exceptionnalise » et il n’est donc pas besoin d’en étudier les fondements et développements idéologiques. Ce fut une abomination et cela suffit.
Or, justement, Johann Chapoutot montre les limites de ce raisonnement : en effet comment comprendre l’adhésion d’une partie de la population allemande ? Cette façon de faire isole également l’idéologie nazie comme s’il n’y avait aucun lien avec des éléments de la pensée européenne à l’époque. Comment comprendre aussi cette affirmation de non coupable énoncée par de nombreux responsables nazis au moment des jugements d’après-guerre ? Ne faut-il voir là que du cynisme ou de la stratégie ? L’auteur s’emploie à montrer que non.

La loi du sang, penser et agir en nazi

Jean-Louis Vullierme
Miroir de l’Occident. Le nazisme et la civilisation occidentale,
Paris, éditions du Toucan, 2014, 509 pages.

jeudi 2 avril 2015, par Laurent Gayme

Normalien agrégé de philosophie, docteur en droit et docteur en sciences politiques, spécialiste des approches cognitives en sciences sociales, Jean-Louis Vullierme, qui a enseigné à la Sorbonne, nous propose, avec Miroir de l’Occident, une analyse et une explication du nazisme : « J’appartiens à une famille en partie détruite par le nazisme et ayant lutté contre lui. C’eût été un motif suffisant de m’y interesser davantage que d’autres, mais il n’est pas le principal. Il m’a toujours paru décisif de comprendre ce qui constitue l’événement le plus destructeur de l’histoire moderne, d’en identifier les racines pour chercher à les extirper. Je jugeai également que la mémoire des morts exigeait à tout le moins que l’on sût pourquoi ils avaient tant souffert. Or la compréhension ne m’était pas immédiatement accessible. » (p. 9).