Mathilde Hirsch, réalisatrice pour l’INA et Arte et Florence Noiville, journaliste au Monde, présentent le parcours exceptionnel de Nina Simone.

Eunice Waymon, née dans une famille de pasteur de Caroline du Nord, se distingue dès l’âge de 3 ans en accompagnant à l’orgue les sermons de sa mère. Les foules se pressent pour écouter la jeune prodige, qui a appris de manière autodidacte la musique religieuse. Son père, ancien musicien, l’initie en secret au blues et au jazz, « musiques du diable » bannies à la maison par sa mère. La famille souffre de la crise de 29, la mère doit compléter les revenus par un potager et en faisant des ménages. Sa patronne blanche ne résiste pas à la tentation de venir écouter la jeune musicienne et propose de lui payer des cours de piano. La communauté de la ville de Tryon organise des collectes pour l’aider. La petite fille découvre alors une nouvelle culture et ambitionne de devenir concertiste. Elle ne ménage pas ses efforts pour apprendre la musique classique, jouant sans relâche pour jouer à la perfection. Elle intègre un internat pour se consacrer à la musique classique, le professeur de musique de l’établissement est rapidement dépassé par le talent de la jeune Eunice Waymon et un professeur prestigieux vient lui donner sur place des cours particuliers.

La famille s’installe à Philadelphie, Eunice Waymon prend des cours d’été à New York pour préparer le concours d’entrée au prestigieux Curtis Institute en 1951. Elle est cependant recalée et elle estime avoir été victime de racisme. En réalité, une élève afro-américaine y est élève au même moment et le concours est très sélectif (3 reçus sur 72 candidats en 1951). La jeune pianiste est confrontée à son premier échec, difficile à encaisser. Après un passage à vide, elle se remet au piano avec l’aide d’un professeur du Curtis Institute, Vladimir Sokoloff. A la recherche d’argent pour financer ses cours, elle commence à jouer dans un bar d’Atlantic City. Le patron la félicite après sa première performance mais ne l’engage que si elle chante. Pour éviter d’être jugée par sa mère, elle prend le pseudonyme de Nina Simone.

Elle rencontre un producteur new-yorkais, Jerry Fields, qui lui décroche des cachets dans des salles plus prestigieuses à Philadelphie. Nina Simone doit avouer la vérité à sa famille et subit la désapprobation de sa mère. Cette dernière n’acceptera jamais que sa fille joue de la musique profane. En 1957, il lui fait enregistrer un premier disque, composé de reprises.

L’année suivante, elle déménage à New York. Elle se marie avec un homme qui ne l’aime pas et a peu de ressources. Elle se résout à enchainer concerts dans les clubs de Greenwich et à faire des ménages. La chanteuse se fait remarquer par ses crises de colère et exige du public une attention soutenue, ce qui est rarement le cas dans les clubs de jazz. Toutefois, en 1959, elle joue dans une salle réputée de musique classique : le Town Hall. Avec l’album live qui en est tiré, elle se fait un nom et sort de la pauvreté. Nina Simone se rapproche également du poète Langston Hugues, de l’écrivain James Baldwin et de la dramaturge Lorraine Hansberry. Ces trois écrivains engagés l’initient à la politique.

Elle se remarie avec Andrew Stroud, un policier violent. Elle effectue aussi un voyage à Lagos avec James Baldwin, Langston Hugues et son guitariste et ami Al Schackman. Ce voyage l’incite à mettre en avant son héritage africain. Elle change alors de tenues de scène, porte désormais des robes en wax. Elle évoque le Black Power. Sur le plan personnel, sa première grossesse et les violences conjugales renforcent son instabilité. D’autre part, son mari endosse le rôle de manager. Il parvient à la faire jouer au Carnegie Hall en 1963, l’un des rêves de Nina Simone. Ses parents et sa première professeur de piano, Mes Massinovitch, ont fait le déplacement.

Mais 1963 est aussi l’attentat de Birmingham, lors duquel le Ku Klux Klan tue quatre jeunes filles dans une église. James Baldwin donne une grande allocution en hommage aux fillettes assassinées. Nina Simone chante Mississippi Goddam et s’engage pleinement dans le mouvement des droits civiques. Cette période d’activisme politique est aussi une période productive musicalement. Elle enchaîne en effet les albums : Broadway-Blues-Ballads en 1964, I Put A Spell On You et Pastel Blues en 1965, Wild Is In The Wind en 1966. Certains de ses morceaux les plus connus datent de cette époque : la version définitive de SinnermanStrange Fruit, Feeling Good.

Elle se sépare d’Andrew Stroud et divorce en 1972. Nina Simone est perdue, il gérait en effet sa carrière et ses finances. Elle découvre alors que ses revenus n’étaient pas tous déclarés. Le fisc saisit sa maison. De plus, le FBI l’a placée sous surveillance. Elle décide alors de partir pour la Barbade avec sa fille Lisa.  Après la fin de sa liaison avec le Premier Ministre de l’île, elle se rend au Libéria à l’invitation de Miriam Makeba. Au bout de deux ans, elle part ensuite pour la Suisse où elle décide de reprendre sa carrière en main. Elle a effectivement été invitée à jouer au prestigieux festival de Montreux. Mais le concert est catastrophique, Nina Simone divague, s’interrompt avant de reprendre son concert, oblige une spectatrice qui veut quitter la salle à se rasseoir. Son comportement se dégrade, peu de promoteurs acceptent de la faire jouer. Sa fille subit ses colères et choisit de rentrer à New York. Nina Simone appelle James Baldwin à l’aide, ainsi que son frère Samuel. Ce dernier la fait interner.

Un nouveau manager, Raymond Gonzales, relance sa carrière. Après un concert catastrophique, il persiste et réussit à lui faire prendre son traitement. Il lui trouve une résidence au Ronnie’s Scott à Londres, puis organise une nouvelle tournée américaine. Les dernières années, Nina Simone est manipulée par un aide-soignant et est atteinte d’un cancer du sein. Elle chante à un dernier concert le 8 juin 2001, au Palais des Congrès, à Paris. Elle meurt en 2003, peu après sa nomination comme docteur honoris causa au Curtis Institute.

Jennifer Ghislain