Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille dans le cadre de la prépa-ENA

Yves Montenay qui est avant tout spécialiste de la démographie a largement fréquenté lors de ses missions le monde arabo-musulman. Il conduit de ce fait une réflexion sur cet espace culturel qui n’est certes pas inédite du point de vue de la recherche mais qui est tout à fait intéressante dès lors que l’on ne cherche pas des sources nouvelles. L’auteur fait ici largement appel à des témoignages et aux traductions de la presse étrangère publiées dans « courrier international ».
L’auteur ne s’embarrasse pas de politiquement correct ni d’un quelconque angélisme. Il considère que dans une certaine mesure l’islam est en déficit de modernité, et il le prouve en s’appuyant sur une analyse de la colonisation mais aussi des politiques d’arabisation conduites par les états laïcs après les indépendances.
Dans le même temps, il explique la montée du fondamentalisme par la faillite de ces régimes, par la mauvaise exploitation de la rente pétrolière et par la corruption. Il parvient également à proclamer son credo libéral en expliquant que, les services publics étant inefficaces, la réponse privée des religieux permet de pallier leurs insuffisances, un raccourci saisissant.
En fait, cet ouvrage est une tentative de vulgarisation qui, après le 11 septembre donne une idée générale sur les mouvements à l’œuvre dans le Dar el Islam. Comment les intellectuels occidentalisés se retrouvent décalés dans leur environnement ? Comment les fondamentalistes peuvent séduire les jeunes laissés pour compte d’un système scolaire insuffisant ?, comment les imams se posent en guides politiques, comment finalement les sociétés laïques se sont ré-islamisées ?

De ce point de vue l’ouvrage n’apporte pas d’idées nouvelles sauf peut-être sur le rapport à la francophonie dont l’auteur, nous le savons, est un fin connaisseur et un fervent partisan. De ce point de vue, il est difficile en effet de lui donner tort. Comment comprendre, après plus de 130 ans d’histoire commune, les entreprises françaises se voient supplanter en Algérie par leurs homologues étasuniennes et même italiennes ou allemandes ? Comment imaginer il y a encore 30 ans que l’on se ferait interpeller en italien par les jeunes dans la ville tunisienne de Kairouan. Il est vrai que les italiens au temps du protectorat étaient plus nombreux que les français et que ces derniers, travaillant souvent pour les israélites tunisiens très nombreux avant la guerre des six jours étaient beaucoup plus proches des arabes.

L’ouvrage ne prétend pas faire le tour de la totalité de la question loin de là. Les relations entre islam et monde occidental sont complexes et surtout à différencier très largement d’un espace à l’autre. On s’interroge par exemple sur l’absence de toute réflexion sur le contact entre Islam et monde orthodoxe, du Sud de la Russie à la Bosnie Herzégovine. À ce moment là, bien des arguments sur un monde musulman agresseur et vindicatif vis-à-vis du monde chrétien auraient pu tomber.
Par contre l’auteur livre un très intéressant chapitre sur les perceptions croisées dans le monde musulman et dans le monde occidental sur la thèse de Samuel Huntington sur le choc es civilisations. Vu du coté arabo-musulman cette affirmation selon laquelle le monde serait divisé en civilisations amenées à s’affronter inexorablement serait le fruit d’un complot étasunien destiné à isoler l’Islam, un instrument idéologique d’une nouvelle croisade en quelque sorte. Et des intellectuels musulmans d’affirmer, avec juste raison, que les croisades du XI au XIIIe siècle s’inscrivaient bien dans une démarche guerrière de l’occident contre un monde musulman que l’on souhaitait affaiblir et repousser hors des lieux sains du judéo-christianisme.

Vu de l’occident, et pour cette part l’approche de l’auteur est bien plus discutable, on peut opposer le refus « politiquement correct » d’évoquer le choc des civilisations et en même temps les discours réels des décideurs. Hubert Védrine qui fut ministre des affaires étrangères de François Mitterrand étant largement cité.
Enfin, et c’est quand même ce qui est le plus surprenant, l’explication économique des causes du sous développement du monde arabo-musulman parait bien légère. Il est vrai que ce monde arabo-musulman a pu, dans certains de ses espaces connaître dans le cadre de la mondialisation un développement rapide. On pense par exemple à la Malaisie, un des bébés tigres, à Dubaï, à la Turquie aussi, aux portes de l’Europe quoi que l’on ait pu en dire lors de la campagne électorale présidentielle. Est-ce que les régimes laïcs socialisants sont les seuls responsables de ces échecs ? Le gouvernement algérien depuis la dernière guerre civile a fait le choix d’une politique d’ouverture économique financée par la rente gazière. Il revient dessus actuellement mais dans le même temps signe des accords à long terme avec ses partenaires d’étatiques comme gaz de France ou l’ENI.

Difficile donc, dans cette histoire de 14 siècles de trouver une cohérence dans les attitudes et les contacts. Yves Montenay décoiffe parfois et ramène les élites de ce monde musulman à leurs responsabilités. De ce point de vue l’ouvrage est méritoire. Il le serait encore plus s’il avait pu aller au-delà et montrer comment l’administration étasunienne, les autorités israélienne, d’autres gouvernements occidentaux ont cherché à instrumentaliser l’islam le plus rétrograde comme moyen de combattre l’Union soviétique à l’époque ou des groupes laïcs mai suspectés de vouloir remettre en cause un ordre libéral qui arrangeait bien les affaires.
Au final cet ouvrage, davantage un essai qu’une histoire est bien stimulant. Il permet d’ouvrir ou de poursuivre le débat, un débat permanent que l’auteur affectionne particulièrement, sans préjugés ni complexe de supériorité ; une posture intellectuelle que l’on apprécie particulièrement.

© Clionautes

Bruno Modica

Precision de l'auteur
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