Modeste bourgade de 6155 habitants à la veille de la guerre, Orthez (Basses Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques) est occupée par l’armée allemande du 28 juin 1940 au 22 août 1944. C’est une petite ville qui n’a pas connu d’événement exceptionnel durant ces quatre années, qui n’a pas été le centre d’une notable activité de résistance et dont la population a plutôt moins souffert que d’autres des pénuries caractéristiques des années noires compte tenu du caractère rural de son environnement (ravitaillement plus aisé, exemptions plus larges des travailleurs requis).

Jacques Milhoua, orthézien, professeur d’histoire, consacre un ouvrage de 300 pages à la ville et à ses habitants sous l’Occupation. Quinze chapitres regroupés en trois parties principales en constituent la structure : les Orthéziens durant l’Occupation, de l’agissement rebelle à la Résistance, de la libération d’Orthez à l’armistice (on peut regretter l’utilisation de ce terme pour qualifier la capitulation de l’Allemagne nazie le 8 mai 1945).

Les chapitres consacrés aux Orthéziens durant l’Occupation sont les plus intéressants. Orthez présente la particularité d’être situé sur la ligne même de démarcation qui suit le tracé Mont-de-Marsan, Orthez, Salies-de-Béarn, Saint-Jean-Pied-de-Port. La ville est placée au croisement de la route de Bordeaux et de l’axe routier Pau-Bayonne, ainsi que sur l’axe ferroviaire Dax-Bayonne-Pau. Il résulte de cette situation une forte présence allemande, administrative, policière et militaire (Kreiskommandantur, Feldgendarmerie, annexe de la Gestapo, douanes).
Cinq postes de contrôle de passage de la ligne ont été établis ; le trafic ferroviaire, voyageurs et marchandises, est rigoureusement surveillé. La suppression de la ligne de démarcation en novembre 1942 s’accompagne néanmoins du maintien d’un contrôle de police.
Du fait du fort effectif du contingent allemand, de nombreuses bâtisses, maisons privées, édifices municipaux et publics sont réquisitionnés. C’est dans la présentation des relations quotidiennes entre les soldats allemands et la population de cette petite ville béarnaise que réside l’intérêt majeur de l’ouvrage. S’appuyant sur plus de 120 témoignages d’Orthéziens, l’auteur parvient à restituer concrètement et précisément la cohabitation quotidienne et à brosser un tableau des comportements humains… et souvent ambigus. On pense ici au concept « d’accommodation » défini par Philippe Burrin dans La France allemande (Le Seuil, 1995). Dans la journée, hors patrouille, les Allemands se promènent en ville ; ils font laver leur linge par les habitants et font leurs achats dans les commerces de la ville où la politesse est de rigueur. Des soldats ont appris à parler un peu le français… voire le béarnais ! Ils craignent plus que tout de devoir quitter Orthez et d’être mutés sur le front russe (ce qui se produit à partir de 1942). Les plus âgés se montrent débonnaires et ferment les yeux sur les multiples trafics qui sont le quotidien au passage de la ligne ; Orthéziens et occupants fréquentent les mêmes cafés.

Les relations vont néanmoins se détériorer avec le temps surtout à partir du moment où les réquisitions de travailleurs se font plus exigeantes, qu’il s’agisse du STO ou, plus fréquemment, de la construction de « mur de l’Atlantique » (l’océan est assez proche). Une seconde partie présente les diverses formes d’opposition à l’occupant, de l’« agissement rebelle » à la résistance (sans toutefois proposer une définition de la résistance). La résistance fut tardive et très modeste à Orthez. Ses aspects organisationnels ne sont pas étudiés et le « groupe d’Orthez » n’est pas facile à identifier dans la mesure où il n’est pas véritablement mis en perspective avec la Résistance départementale, régionale ou nationale. Deux actions sont fort bien présentées à partir de nombreux témoignages, sans toutefois que soit clairement affirmé leur appartenance à une forme de résistance : le passage de la ligne de démarcation et le fait des cacher des personnes menacées et fugitives.
Le passage clandestin de la ligne est présenté de manière détaillée et concrète : passage du courrier vers la zone non occupée (ce qui est interdit) mais surtout passages d’hommes, de femmes et d’enfants. Il faut distinguer le passage des habitants pour leurs activités professionnelles ou familiales et le passage des personnes menacées, juifs en particuliers.

Si quelques Orthéziens font profit de ces passages, beaucoup le font par patriotisme, humanisme et volonté de résistance. Nombreuses ont les familles d’Orthez et des environs immédiats qui cachent des juifs, des enfants en particulier, ainsi que des réfractaires aux STO, des réfugiés et des fugitifs du camp de Gurs (qui n’était pas très éloigné). Si quelques Orthéziens sont des passeurs occasionnels, d’autres deviennent spécialistes et de petites filières se mettent en place : on passe la ligne de jour comme de nuit, à pied, en barque (à travers le gave de Pau), en train, en charrette, à bicyclette. La prison d’Orthez est trop souvent à l’arrivée de ces dangereuses expéditions.

La dernière partie de l’ouvrage présente la libération de la ville (les Allemands fuient avec précipitation), la formation d’une municipalité provisoire ; les divisons politiques locales, l’épuration (en particulier les travaux de la commission de confiscation des profits illicites).
L’ouvrage fourmille de précisions locales et de détails concrets qui le rendent très vivant et permettent de mieux appréhender ce que fut la vie sous l’Occupation. Sa faiblesse réside dans l’absence de sources écrites (archives publiques ou privées) de mise en perspective, de comparaison, de recours aux problématiques historiques pourtant très riches et très nombreuses sur les thèmes abordés. Cette lacune fragilise particulièrement la présentation des aspects du régime de Vichy, de la Révolution nationale, de la collaboration et de l’épuration. Centré sur la description de la vie quotidienne, ce livre est d’abord un ouvrage d’histoire locale.

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