Toutes les vingt-quatre heures, 200 000 urbains s’ajoutent sur Terre. « D’ici à 2030, le territoire urbain mondial va croître chaque jour d’une surface supérieure à celle de Manhattan », déclare Ben Wilson, auteur de Metropolis, une histoire de la ville, la plus grande invention de l’humanité. Cet ouvrage, publié par les Éditions Passés/Composés en 2024 dans sa version française, est une invitation à un voyage à travers plus d’une vingtaine de villes sur plus de 7 millénaires, afin d’y explorer les bons et les mauvais effets de l’invention de la ville. Véritable best-seller, Métropolis a été traduit dans plus de 15 langues. Il est organisé en quatorze chapitres qui abordent à chaque fois une thématique différente et en partant de l’histoire d’une ville sur une période donnée. Le résultat forme un aperçu de la vie urbaine à travers des histoires de villes anciennes et modernes et de leurs populations. Ainsi, l’auteur débute son ouvrage avec la Mésopotamie dans l’Antiquité et emmène le lecteur jusqu’à Shanghai et Lagos à notre époque.
Dans l’introduction de l’ouvrage, l’auteur Ben Wilson présente le concept de Métropole et son importance grandissante dans le monde moderne. Il explique que les métropoles sont devenues les moteurs économiques et culturels de nos sociétés, concentrant une grande partie de la population, des richesses et du pouvoir. Pour Ben Wilson, la ville est moins un entrepôt d’architecture qu’un organisme qui façonne les créatures qui y vivent. Pour préparer la rédaction de son ouvrage, l’auteur a de nombreux voyages en direction de nombreuses villes d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Au sein de son récit chronologique, Ben Wilson a choisi des villes qui avaient pour lui quelque chose à raconter, non seulement de leur époque particulière, mais également de la condition urbaine en général. Le choix de certaines villes apparaissait évident pour l’auteur, comme Athènes, Londres ou New-York, alors que d’autres le sont peut-être moins, à l’image d’Uruk, Harappa, Lübeck et Malacca. L’auteur annonce que cet ouvrage a pour objectif d’explorer l’histoire, l’évolution et l’impact des plus grandes métropoles du monde.
Les premières métropoles
Dans les premiers chapitres, Ben Wilson retrace les origines des premières métropoles. C’est aux alentours de 5000 avant J.-C. en Mésopotamie que s’est développée la première ville, Uruk. Les récents changements climatiques ont récemment aidé à repenser les ruines de cette ville et la planification d’autres centres urbains anciens. Selon Ben Wilson, Uruk était un palimpseste, c’est-à-dire une accumulation d’époques construites les unes sur les autres. Son architecture remarquable était principalement constituée d’édifices religieux. C’est également dans cette ville qu’ont été inventés le premier système de chiffres, les premières techniques de production de masse ainsi que l’écriture cunéiforme. Pour son côté plus sombre, l’archéologie atteste également de la présence d’esclaves à l’intérieur des enceintes de la ville.
L’auteur met en lumière les découvertes archéologiques relativement récentes des grandes villes de la civilisation Harappan, vers 2600 avant J.-C., dans la vallée de l’Indus dans l’actuel Pakistan. Ces villes étaient si propres que Ben Wilson suppose qu’elles pourraient avoir servi de base historique à l’histoire du jardin d’Eden. À contrario, Babylone est présentée comme la « ville du péché originel » qui regorgeait d’aspects peu recommandables de l’urbanité, décriés depuis au moins 2000 ans av. J.-C.
Plusieurs chapitres portent sur les civilisations dites classiques avec des villes comme Athènes, Rome ou Alexandrie. L’auteur y analyse les facteurs géographiques, politiques et économiques qui ont permis l’émergence de ces premières concentrations urbaines majeures. Il montre comment ces anciennes métropoles ont jeté les bases de la vie citadine moderne.
Les métropoles européennes
Une partie des chapitres du livre porte sur l’essor des métropoles européennes. Ils présentent ainsi la montée en puissance des grandes villes européennes à partir du Moyen Âge. L’auteur décrit l’importance de cités comme Paris, Londres, Venise ou Amsterdam dans le développement du commerce, de la finance et de la culture. Il analyse leur rôle moteur dans les grandes découvertes, les révolutions industrielles et l’expansion coloniale.
C’est le cas d’Amsterdam qui, au XVIIe siècle, semblait être un endroit charmant, cosmopolite, « un patchwork de confessions religieuses différentes, aucune ne prenant l’ascendant sur les autres. La tolérance était donc une nécessité. Les villes néerlandaises étaient ouvertes aux immigrés. » Selon l’auteur, Amsterdam a été « conçue autour des besoins de ses citoyens (…) et non autour de la monumentalité ou de l’expression du pouvoir. » Il ressort clairement du livre que l’exubérance sociale et culturelle d’Amsterdam a été fortement soutenue par sa prospérité économique. Cette prospérité, à son tour, était le corollaire d’un système commercial et financier qui était le précurseur du capitalisme moderne. La ville était le siège de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, « une puissance impériale à but lucratif soutenue par le gouvernement » qui envoyait des commerçants à travers le monde (et qui a fondé la Nouvelle-Amsterdam en 1624). C’est là que se trouvait le premier marché des valeurs mobilières au monde et la banque d’échange d’Amsterdam, à l’origine de nombreuses innovations bancaires modernes : chèques, débits directs, transferts de comptes. C’est également là qu’a été créé « le premier journal moderne à grand tirage ».
L’impact de l’ère industrielle
Ben Wilson explore ensuite l’impact de l’ère industrielle sur l’urbanisation rapide au XIXe siècle. Il décrit la croissance fulgurante de villes comme Manchester, Chicago ou New York, devenues des centres industriels et commerciaux majeurs. L’auteur aborde les défis sociaux posés par cette urbanisation accélérée : logements insalubres, criminalité, pollution, etc.
L’évolution des grandes métropoles au XXe siècle, marqué par les deux guerres mondiales et les bouleversements géopolitiques. L’auteur analyse l’émergence de nouvelles mégalopoles comme Tokyo, Mexico ou Moscou, et les défis urbains auxquels elles ont dû faire face (transports, étalement urbain, ségrégation, etc.).
Les grandes métropoles à l’ère de la mondialisation
Pour finir, Ben Wilson se penche sur les enjeux contemporains des grandes métropoles à l’ère de la mondialisation. L’auteur décrit le rôle stratégique de villes comme New York, Londres, Tokyo ou Hong Kong dans l’économie mondiale. Il aborde les défis environnementaux, sociaux et politiques auxquels sont confrontées ces mégalopoles, ainsi que les perspectives d’avenir.
Ainsi, le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à la ville de Lagos au Nigeria, qui « devrait devenir la plus grande ville du monde d’ici le milieu de ce siècle, sa population devant doubler pour atteindre plus de 40 millions d’habitants d’ici 2040. » D’un certain point de vue, Lagos est l’exemple même du désespoir urbain, « tristement célèbre pour ses bidonvilles tentaculaires, sa corruption et sa criminalité, ses infrastructures épouvantables et les pires embouteillages du monde ». Pourtant, Ben Wilson y voit des aspects positifs. Il y décrit des entreprises, dans le domaine de la technologie, qui prospèrent dans les bidonvilles (réparation et remise à neuf d’appareils). À Lagos, entre 50 et 70 % des gens vivent du secteur informel. On estime à 11 millions le nombre de micro-entreprises à Lagos. Ben Wilson résume ainsi une caractéristique majeure de la ville : « L’énergie et la créativité de Lagos émergent en grande partie de son chaos apparent et de l’ingéniosité de ses habitants à innover pour se sortir des pièges de la ville ».
En conclusion, avec Metropolis, Ben Wilson a réalisé un travail conséquent qui rend la lecture passionnante. L’auteur souligne l’importance grandissante des métropoles dans le monde actuel, devenues les véritables centres névralgiques de la vie économique, politique et culturelle. Cependant, on peut regretter certains oublis et la mise à l’écart de certaines populations, à l’image des Amérindiens. Tenochtitlan, plus grande que Paris dans les années 1500, apparaît surtout comme un site de conquête espagnole. La géographie raciale au cœur de l’entreprise coloniale européenne est également sous-estimée. Néanmoins, l’ouvrage de Ben Wilson appelle à repenser la gouvernance et l’aménagement de ces immenses concentrations urbaines pour les rendre plus durables et vivables.