« Nous sommes une espèce composée de bien des peuples, et riche de sa diversité »1, tel est le credo de Lluis Quintana-Muret. Il démontre que la génétique est un outil pour l’historien depuis en 2001 avec le séquençage du génome humain. Les grands progrès de ces vingt dernières années ont permis de mieux connaître l’évolution de l’Homme, des populations et leurs déplacements et de leurs métissages. Une science utile pour savoir qui nous sommes en comprenant mieux d’où nous venons et comment nos ancêtres se sont adaptés aux modifications de leur environnement.

De Darwin à la génomique

Darwin dans L’origine des espèces (1859), avec la théorie de l’évolution, est à la source de la quête des origines et donc de la génétique. L’auteur retrace cette histoire de la science de Mendell à Ronald Fisher, Sewall Wright, d’Ernst Mayr, Theodosius Dobzansky, Julian Huxley à Motoo Kimura. Il présente, de façon à la fois simple et claire, l’ADN, la notion de mutation et le projet de décryptage du génome humain.

Ces travaux ont permis de montrer les relations homme/singe sur l’arbre de l’évolution, la diversité des humains et leur appartenance à des groupes de populations grâce à l’étude de l’ADN mitochondrial ? Enfin, on peut parler de paléogénétique avec le premier séquençage d’un humain ancien : un paléo-Eskimo étudié par une équipe danoise. Ce sont ces travaux récents qui ont montré la trace dans les populations actuelles d’ancêtres néandertaliens mais aussi le métissage entre Néandertaliens et Dénissoviens.

Conquêtes et peuplements

L’étude de l’Homo Sapiens et des premiers hominidés, comme « Toumaï » a conduit les chercheurs sur les traces des déplacements. L’auteur évoque la complexité des « Homininés »2. Ce sont les fouilles récentes, croisées avec les informations fournies par l’ADN qui ont permis de montrer la, ou plutôt les sorties d’Afrique. Les données évoluent rapidement et des controverses existent par exemple sur un ou plusieurs berceaux pour Homo Sapiens.

L’étude des premières agriculture et des premiers élevages montre des déplacements sur de très longues distances. Ici les études génétiques complètent l’archéologie. L’exemple des migrations bantoues est éclairante. L’Afrique est un vaste espace aux migrations et métissages divers. L’Europe3, elle-même, est très métissée, produit de quatre grandes étapes de peuplement. Les Asie sont à la fois contrastées et lieux de rencontre comme le montre l’étude génétique des populations notamment d’Asie centrale.

La lointaine Océanie a été la destination de populations africaines et asiatiques avec des isolats génétiques parmi les Aborigènes. Les îliens ont navigué au long cours à travers le Pacifique.

Enfin l’auteur aborde la question du peuplement du continent américain. Des traces anciennes ont été retrouvées au Mexique (civilisation Clovis) puis en Pennsylvanie (traces encore plus anciennes). L’auteur fait état de trois grandes périodes de dispersion de populations venues par le détroit de Béring. Ces populations longtemps isolées ont ensuite connue des métissages avec des populations européenne et africaine qui marquent le génome des Américains d’aujourd’hui.

Adaptation à l’environnement

L’analyse du génome nous renseigne sur la façon dont les humains se sont adaptés aux modifications de leur environnement. La contrainte environnementale a été un facteur de la sélection naturelle en favorisant les éléments les plus adaptés. Cette capacité d’adaptation a permis aux humains d’être présent sur tous les continents (ou presque).

La plus célèbre sélection est, sans doute, celle qui porte sur l’acquisition du langage (gène FOXP2) Les principes et les formes de la sélection naturelle sont rappelés et illustrés par divers exemples. Quelques unes des mutations sont présentées en détail : capacité à digérer le lait avec les débuts de l’élevage et avec des exemples récents au Kenya et en Tanzanie, la question de la pigmentation de la peau, de la résistance au froid chez les Inuits, celle de la taille avec les Pygmées, ou à vivre à haute altitude des Tibétains.

L’auteur conclut cette troisième partie sur l’intérêt de la diversité, l’avantage à l’hétérozygote.

Hommes et microbes

Un thème bien venu en ces temps de pandémie, par un spécialiste de ces questions. En effet, Lluis Quintana-Muret dirige l’unité de Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur.

Comment la génétique nous renseigne-t-elle sur les relations des humains avec les pathogènes ? Que peut-elle nous apprendre sur l’évolution des défenses immunitaires ? La mortalité infectieuse a jusqu’à la fin du XIXe siècle été très élevée avant que deux innovations scientifiques viennent contribuer à une meilleure connaissance et donc défenses contre les microbes : Pasteur et la génétique (étude comparée des atteintes de VIH et du paludisme sur l’homme et sur le chimpanzé).

La génétique montre aussi les traces héritées des immunités acquises parfois il y a très longtemps contre un pathogène, par exemple dans le cas du paludisme.

L’auteur montre, à partir d’une étude du génome d’individus anciens et actuels d’une même région de Colombie britannique, comment l’arrivée de nouveaux pathogènes apportés par les Européens a entraîné une évolution de ces populations. Il évoque quelques études sur la tuberculose, le VIH, la gastro-entérite… Il décrit son travail sur les gènes de l’immunité innée et celui de Laurent Escoffier sur la sélection polygénétique (réaction combinée de plusieurs gènes). Tout un champ pour de nouvelles recherches.

Métissage, culture et médecine

Ce sont les aspects positifs des brassages humains et culturels qui sont analysés, les avantages sélectifs et les pistes pour la médecine.

L’humain du XXIe siècle est le fruit d’une longue évolution faite de métissages anciens et nombreux comme le montre les exemples décrits comme celui des Bantous.

L’auteur précise ce que nous devons à nos lointains ancêtres : héritages néandertaliens et dénissoviens notamment en matière immunitaire.

Aujourd’hui de qui fut longtemps un avantage pourrait se retourner contre les héritiers. Dans le cas des coronavirus la réponse immunitaire forte, trace néandertalienne, explique-t-elle les COVID grave ? Des variants génétiques du chromosome 3 sont ainsi mis en corrélation avec la sévérité de certains cas. Cette variation faiblement présente parmi les Asiatiques (Chine, Japon, Sud-Est) expliquerait-elle la plus faible mortalité ?

Un dernier sujet est abordé, celui de l’influence de la culture sur l’évolution. Les études portent en particulier sur les différentes corrélations entre évolution des populations matrilocales et patrilocales, les effets des règles d’alliance et de filiation, le système des castes. Une étude montre les effets génétiques de l’adoption du vêtement. La grande évolution est celle du néolithique du fait des modifications de l’alimentation. L’auteur rappelle les différentes réponses aux pathogènes des nomades et des sédentaires, des ruraux et des urbains.

Il aborde enfin les conditions d’expression de génome, ses causes et ses conséquences notamment dans le domaine de la santé : réponse immunitaire, diabète, obésité. Il conclut sur les recherches à venir sur la médecine de précision.

Un ouvrage agréable à lire qui permet une approche aisée de connaissances très actuelles sur l’évolution de l’humain grâce à la génétique.

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1    Citation p. 8

2    France 5 a récemment proposé dans l’émission Science grand format, un excellent documentaire sur

Kromdraai, à la découverte du premier humain – disponible jusqu’au 24.01.22 : https://www.france.tv/documentaires/science-sante/2907467-kromdraai-a-la-decouverte-du-premier-humain.html

3    Pour l’Europe on pourra se reporter à l’intervention d’Eva-Maria Geigl au Festival les Printemps de l’Archéologie – St Dizier  27-31 mars 2019 https://youtu.be/c75FEVQaYBg