Dans la nuit du 18 au 19 février 1973, débute en effet une équipée pittoresque qui devait semer un émoi politico-médiatique considérable bien qu’éphémère. Un groupe de six pieds nickelés viole la sépulture du maréchal Pétain à l’île d’Yeu, où le vieillard avait achevé son existence sénile en détention, et enlève sa dépouille. Leur intention est de la ramener à la nécropole de Douaumont pour l’y enterrer parmi ses hommes tombés à Verdun, ainsi que le vieux soldat en avait exprimé le vœu. Mais le vol du cercueil est vite découvert et soulève un émoi considérable, dans un contexte sensible de campagne électorale législative. Trouble politique, mobilisation policière et fort retentissement médiatique se conjuguent. Tandis que, à l’issue d’une errance saugrenue, le dispositif de sécurité déployé contraint les ravisseurs à renoncer à leur projet et à cacher leur encombrant paquet en région parisienne, l’enquête avance. Après avoir d’abord soupçonné un commando franquiste d’être venu d’Espagne, elle identifie rapidement les véritables participants. Ses comparses arrêtés et se sachant lui-même recherché, le chef de l’équipe, Hubert Massol, choisit de tomber en beauté en donnant une conférence de presse interrompue par son interpellation. Après trois jours de fugue, le cercueil est retrouvé le 22 février et rapatrié sur l’île d’Yeu pour y être définitivement réinhumé. Ses ravisseurs sont remis en liberté dès le 24 et ne seront finalement jamais jugés : leur affaire rocambolesque est classée à la faveur de l’amnistie présidentielle consécutive à l’élection de Giscard d’Estaing.
Ce vaudeville farfelu aux allures de branquignolade morbide n’en a pas moins un substrat politique réel. Le documentaire permet en effet une plongée panoramique dans le milieu de la «Pétainie», structuré autour d’ex-notables de la Collaboration et d’Anciens Combattants restés fidèles au Vainqueur de Verdun. Ils portent la revendication d’un transfert du corps de Pétain à Douaumont qu’ils conçoivent comme une manière indirecte de le réhabiliter, et de redonner une légitimité à leur famille politique. Depuis l’avènement de la Ve République, ils attendent du pouvoir politique ce geste que personne n’envisage sérieusement de leur accorder, malgré quelques promesses électorales inconsistantes. Cette «Pétainie» est dominée par les fortes personnalités de deux avocats rivaux, le très légaliste Me Isorni, défenseur du maréchal à son procès en 1945, et le tonitruant et sulfureux Tixier-Vignancour, politiquement engagé à l’extrême-droite. Désireux de forcer le destin dans ce combat des chefs, ce dernier est le commanditaire officieux du rapt du cadavre de l’ile d’Yeu, qu’il conçoit comme un coup d’éclat en pleine campagne électorale. L’affaire avortée, il entend d’ailleurs bien assurer la défense de ses complices et faire de leur jugement un procès en révision du maréchal… qui n’aura donc pas lieu.
Cette apothéose ratée est en fait le chant du cygne d’un maréchalisme en voie d’extinction biologique et idéologique. Vingt ans après la mort de Pétain, au moment où Résistants et Collaborateurs vieillissants arrivent à l’horizon de la retraite et où la génération qui les a précédés, celle des vétérans de 14-18, se couche massivement dans les cimetières, la nostalgie inspirée par le personnage devient résiduelle. La foule qui assiste à la réinhumation de l’île d’Yeu est composée de badauds curieux et non de dévots recueillis. Les dernières chimères de la mémoire pétainiste se cristalliseront ensuite autour du vichysto-résistant François Mitterrand et du dépôt annuel de la gerbe présidentielle… Sur le plan politique, la page est également tournée. La relève assurée à l’extrême-droite par la création du FN tire davantage ses références fondatrices du combat pour l’Algérie française que de ses quelques génuflexions circonstancielles en direction de Vichy.
Le téléspectateur scrupuleux sera peut-être étonné par les éléments de commentaire affirmant que Pétain était « exilé » sur l’île d’Yeu, alors qu’il y purgeait sa condamnation à la détention perpétuelle. Mais il ne manquera pas d’apprécier le traitement adopté pour relater cette étrange affaire, qui renforce sa tonalité distrayante. Illustrant l’odyssée du cercueil de Pétain sous la forme d’un docufiction, les scènes jouées par des comédiens ont l’agrément de conférer une étoffe très « audiardienne » à cette équipée saugrenue. Elles sont le fil rouge d’un travail documentaire par ailleurs tout à fait solide, associant des images d’archives bien choisies aux témoignages de Hubert Massol, chef des ravisseurs de 1973 et toujours président de l’ADMP (Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain), et d’un de ses équipiers. Le tout est éclairé avec bonheur par le commentaire expert de l’historien Jean-Yves Le Naour, auteur du livre qui a inspiré ce film. Il ne reste qu’à espérer qu’après son passage dans les festivals et à la télévision, ce documentaire réussi puisse bénéficier d’une édition en DVD.
© Guillaume Lévêque