Réalisée par des membres du réseau d’associations Migreurop sous la direction d’Olivier Clochard, géographe (Poitiers, MIGRINTER), cette 2ème édition de l’atlas des migrants en Europe propose une lecture critique des politiques migratoires et sera présentée ce samedi 14/11/2012 à 14h30 au salon du livre des sciences humaines de Paris.
Structuré en 4 parties, 35 sujets et réunissant les contributions de 50 auteurs, l’ouvrage se veut engagé sur cette délicate question que se renvoient les gouvernements sans arriver à la solutionner.
Un phénomène récent et en constante aggravation…
Il suffirait presque, pour s’en convaincre, de seulement constater l’écart entre les deux doubles pages introductives présentant la chronologie des cadres juridiques, faits et évènements ayant marqué le phénomène migratoire en Europe : de 1948 à 2000, une construction européenne progressive et peu de faits si ce n’est la création du centre de Sangatte – de 2001 à nos jours, une double page presque « illisible » tellement les traités, déclarations et annonces se sont multipliés, faisant hélas écho aux tentatives, souvent infructueuses, des populations pour rejoindre l’Europe.
Les attentats du 11 septembre 2001 constituent le très net déclencheur de l’aggravation du phénomène, à partir duquel le migrant devient clairement identifié comme un danger. La crise économique ayant, quant à elle, contribué à entériner cette vision des choses.
Pourtant, il y a encore quelques décennies, nombre de migrants n’avaient même pas besoin de recourir au droit d’asile puisqu’ils trouvaient reconnaissance dans les pays hôtes comme « travailleurs immigrés ». Les demandes d’asile étaient acceptées, au début des années 1980, à hauteur de 85 %, ce même chiffre traduisant depuis les années 2000, le volume…des refus ! D’où la fabrique des sans-papiers par le système lui-même.
Et si les mouvements migratoires par fronts pionniers sont aujourd’hui terminés, ceux résultant des problèmes politiques et économiques, en hausse, seront inévitablement accompagnés de déplacements liés aux modifications environnementales (croissants eux aussi). L’article de Chloé Altwegg Boussac, page 20, est, à ce titre, tout à fait éclairant, nous montrant les conséquences du réchauffement climatique : désertification, baisse des rendements agricoles, inondations, cyclones et autres pénuries d’eau faisant de l’Europe un espace à la forte capacité d’adaptation n’ayant pas fini de recevoir de nouveaux arrivants, « réfugiés environnementaux », qui contribueront, entre autres, à l’augmentation de la pression foncière en milieu urbain.
…pour lequel on s’équipe
Caméras, tours, radars, centres en tous genres et les emblématiques murs : 48 frontières concernées sur plus de 30000 kilomètres, barbelées, maçonnées, évidemment surveillées mais ne constituant pas la réponse, déjà pour des raisons écologiques (évolutions génétiques différenciées de la flore, modification des migrations animales) mais surtout parce qu’ils détournent les flux, faute de les empêcher, forçant à emprunter des voies toujours plus longues et plus dangereuses.
Au delà de ces aspects matériels « visibles », c’est sur le fichage et les bases de données que portent les démarches avec, là aussi, des conséquences néfastes : le fichier Eurodac contenant les scans des empreintes digitales collectées par les autorités frontalières est à l’origine de nombreuses mutilations d’individus se coupant ou se brûlant les doigts à l’aide de braises, colles et autres acides.
C’est encore en mettant des moyens dans des opérations massives de surveillance et d’action que la migration est contrôlée et empêchée : en témoigne l’autonomie et les ressources croissantes de l’agence Frontex créée en 2004, basée à Varsovie et n’hésitant pas à violer un certain nombre de droits humains pour parvenir à ses fins sans vraiment être inquiétée, ses responsabilités étant diluées avec celles des Etats-membres partenaires.
…et on s’arrange
« Qu’ils viennent quand et là où nous voulons, avec les qualités et dans la quantité que nous souhaitons, et surtout pour la durée que nous aurons fixée, mais qu’ils ne prétendent pas rester ! »
C’est ainsi qu’Alain Morice résume, page 32, l’idée globale des États européens pour qui les migrants constituent une main d’œuvre peu chère et flexible, renforçant leur effet « d’appel ». Une très bonne carte, page 30, explique, en guise d’exemple, les « rouages » du travail saisonnier agricole précaire dans lequel sont pris de nombreux migrants.
Si ces éléments montrent comment s’accommoder, à bas coût, de la présence des migrants, les méthodes (érigées en politiques) pour les contenir dans leurs pays d’origine sont, elles, nettement plus nombreuses témoignant souvent d’un bel « égoïsme » d’Etat.
A l’échelle interne de l’Union Européenne, les États nouvellement arrivés (9 sur les 10 pays ayant adhéré en 2004) ont dû montrer « patte blanche » au sujet de l’étanchéité de leurs frontières extérieures et c’est avec presque 4 ans de décalage que les contrôles à leurs frontières ont pu être levés. La Bulgarie et la Roumanie ne sont, pour l’heure, pas considérées comme assez sûres pour être pleinement intégrées à l’espace Schengen (cas des Roms pris pour véritables cibles en France).
Au-delà, ce sont des cas d’externalisation de la politique migratoire, de « responsabilité partagée », qui sont à relever. L’exemple de la collaboration entre l’Italie et la Lybie est, à ce titre, évocateur : l’Italie aide le développement de la Lybie en y investissant (mais s’y retrouve car les sociétés italiennes s’y voient attribuer les marchés) en échange de quoi la Lybie freine les déplacements de migrants venus de pays d’Afrique plus au sud en les empêchant de rentrer en Lybie et donc d’y transiter pour aller en Europe. Mais dans la réalité, la Lybie, à l’image d’autres pays « gardes-frontières » de l’Europe, n’a pas les moyens matériels, juridiques et même l’envie politique pour assumer ce genre de missions se traduisant souvent par des conséquences dramatiques.
…avec en conséquence la souffrance humaine et, de plus en plus, la mort
Le débat tourne ici autour de la question de l’enfermement, véritable aveu de faiblesse politique, de surcroît paré d’un vocable propret sensé atténuer les difficultés de cette réalité : « maintien », « zone d’attente », « zone humanitaire »…
De nombreuses études de cas (Belgique, Royaume-Uni, Espagne…) révèlent, outre le nombre croissant de migrants enfermés, les conditions de rétention qui s’avèrent pour le moins difficiles, tant sur le plan de l’hygiène que celui de la sécurité sans oublier évidemment la dimension psychologique (notamment pour les enfants).
Comme l’évoquent Marie Charles et Pierre-Arnaud Perrouty, « l’internement administratif est institué en véritable mode de gestion de l’immigration clandestine ». La directive « Retour » laisse transparaître de gros écarts entre la durée légale de détention et la durée effective que certains pays ont allongée assez librement. Et les auteurs d’ajouter « quand on sait qu’il ne faut pas plus de deux ou trois semaines aux administrations pour savoir si un migrant est expulsable ou pas, une durée de détention aussi longue n’est plus seulement utilisée en vue d’organiser matériellement l’expulsion mais comme un véritable instrument de répression vis-à-vis de ces indésirables » d’autant que, d’après les chiffres, moins de la moitié des détenus auraient été expulsés (en 2009).
Dès lors, comment ne pas s’étonner des « résistances » de la part des migrants ? Incendies, émeutes, manifestations, tentatives d’évasion ou encore grèves de la faim ne s’affichent plus comme des cas de figure isolés. Des Tunisiens internés dans des camps italiens sont même allés jusqu’à se coudre la bouche pour éviter l’expulsion.
Si c’est en caressant l’espoir d’un avenir meilleur, c’est également pour échapper à ces mauvais traitements lors de leur détention que de nombreux migrants tentent, coûte que coûte, de fuir, d’entrer en Europe, d’y revenir.
Beaucoup d’entre eux seront condamnés à mener une vie d’errance : les dernières pages de l’ouvrage retracent, à l’aide de cartographies très pertinentes, des itinéraires de vie rythmés par l’alternance entre des portions de parcours choisies et d’autres subies, entre les démarches administratives et d’autres davantage clandestines, la durée de ces itinéraires se chiffrant en mois, voire en années…
Le plus désespérant reste sans nul doute le dernier texte qui relate le pénible exercice du comptage des morts en migrations, toujours plus nombreux depuis 20 ans qu’il s’agisse de suicides, d’excès du froid, de maladie, d’empoisonnement, d’asphyxie dans les transports ou encore, chiffre énorme, des noyades en Méditerranée. Le total des décès tournerait autour de 16000 et constitue une estimation a minima, « le calcul des noyés, par exemple, étant fondé sur le décompte des corps sur les plages, ainsi que sur les estimations avancées par les rescapés des naufrages, lesquels ayant lieu loin des côtes ».
…sans finalement résoudre la cause du problème
Comme le rappelle Alain Morice, si la migration est un droit (Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948), les États le violent de manière permanente de par leur souci d’exercer un droit souverain sur leurs frontières, à l’entrée comme à la sortie.
C’est bien de là que vient le problème, une vision souvent étriquée à l’échelle étatique et qui, évidemment, a un coût ! Les dépenses engagées dans l’économie de la surveillance et de la détention ne pourraient-elles pas être allouées à des aides à la réinsertion dans les pays d’origine ? D’après Pascaline Chappart, au sujet des Roms, seuls 2 % des retournés avaient reçu, en 2011, une « aide à la réinsertion économique » !
Se défaire de cette vision du migrant comme « problème » s’avère nécessaire mais prendra sans doute du temps. D’autres exemples dans l’Atlas montrent que c’est en véritable modèle que cette idée est instituée mais que tout n’est pas révélé aux yeux du grand public : on parle rarement de nos territoires d’Outre-mer qui se sont également érigés en « forteresses », des bateaux militaires fermant les yeux sur la dérive de navires de migrants (cas d’un bateau faisant le trajet Lybie-Italie au printemps 2011), on brandit la réduction des arrivées aux Canaries mais combien se noient car ils ne peuvent plus passer par le Maroc pour rejoindre l’Espagne (enclave de Ceuta) ?
Tout cela nous renvoie à la question d’une gouvernance planétaire, encore une fois inévitable au vu des modifications environnementales en cours et à venir, à l’indispensable meilleure redistribution des richesses.
Un très bel ouvrage aux explications claires, à la cartographie originale et soignée et une belle illustration, hélas douloureuse pour les sujets d’étude, de cette idée que c’est souvent le droit qui dessine la géographie. Et, à un mois des fêtes, une réelle idée de cadeau pour lire utile, penser et agir !