Otto Dix, lettres et dessins, Catherine Teissier, éditions Sulliver, collection Arts et Lettres de tout temps, 288 pages, 22 €, novembre 2010

Souvent présenté dans les manuels d’histoire comme peintre allemand illustrant la guerre de 14 18, Otto Dix, a pourtant réalisé une œuvre tout à fait considérable puisqu’il a vécu de 1891 à 1969. Sa reconnaissance en tant que peintre majeur est intervenue après guerre et surtout après sa mort.
Catherine Teissier, professeur au département d’études germaniques de l’université de Provence présente les différentes facettes du personnage qui a traversé en tant qu’artiste toutes les convulsions de l’histoire allemande, la première guerre mondiale et la défaite, l’effervescence de la république de Weimar, la montée du nazisme et l’installation du régime totalitaire, la seconde guerre mondiale, une captivité de un an et demi à Colmar, avant que la reconnaissance des différents milieux artistiques des galeries ne l’amène à poser une sorte de regards désabusés sur son existence. Malgré son expérience de la première guerre mondiale, il a pourtant été incorporé dans le Volksturm en 1944.

Issu d’une famille d’ouvriers, aîné de quatre enfants, il rentre dans le milieu artistique par l’intermédiaire d’un cousin lui-même artiste peintre. Il pose pour lui avant de rentrer avec une bourse à l’école des Arts décoratifs de Dresde.
Dix s’engage dans l’armée comme volontaire dès 1914. D’après Catherine Teissier il n’y a pas forcément dans son œuvre de l’époque, essentiellement des cartes postales du front, de dénonciation de la guerre en tant que telle. On n’y retrouve plutôt une sorte de fascination pour cette affaire monstrueuse mais en même temps puissante.
C’est au retour de la guerre qu’il commence sa liaison avec Martha Koch, et que le couple installé à Dresde, connaît une vie de bohème et d’insouciance créatrice. Malgré tout, en février 1923 Otto Dix et Martha se marient, ils auront au total trois enfants que le peintre représentera souvent.
Au niveau de sa création, la guerre n’en finit pas de hanter l’artiste. Son tableau, la tranchée, a été vendu au musée de Cologne en 1923 mais il finit par faire scandale. L’achat est dénoncé. Paradoxalement l’auteur de la présentation des lettres des dessins de l’artiste ne situe Otoo Dix pas dans un quelconque courant artistique. C’est d’ailleurs une des limites de cette publication. Pourtant, le matériau est d’une grande richesse. On peut retrouver dans une lettre à sa femme l’enthousiasme de l’artiste lorsqu’il apprend que son tableau a été vendu au musée de Cologne. On lit aussi au détour d’une lettre à l’un de ses amis en 1926, une inquiétude prémonitoire en ce qui concerne le Troisième Reich.
Dans le même temps, il se préoccupe de la conservation de ces derniers pour ses tableaux, du règlement de certaines de ses factures et de son régime alimentaire. La publications est également illustrée de dessins qui se trouvent parfois dans des lettres qu’il écrit à sa famille ou à ses amis. Dans les années 30, il écrit particulièrement souvent à sa fille Nelly ainsi qu’à son ami, le docteur Simons.
Pendant la période de la prospérité, entre 1924 et 1929, l’artiste connaît un succès croissant, participe à différents mouvements, et on peut le qualifier comme l’un des chefs de file de l’expressionnisme. Pour autant, il ne participe pas au mouvement des associations d’artistes révolutionnaires qui étaient suscitées par le Front rouge, une émanation du parti communiste allemand.

Le 1er février 1933, il évoque l’arrivée du Troisième Reich ainsi que sa destitution à partir du 12 avril 1933 de l’Académie des beaux-arts de Dresde par le commissaire du Reich. Il finit d’ailleurs par en démissionner le 17 mai 1933. On retrouve à partir de cette époque dans ses correspondances les difficultés économiques qui le touchent. Dix est très vite considéré comme un artiste suspect et deux de ses œuvres majeures, les mutilés de guerre et la tranchée sont présentés dans l’exposition sur l’art dégénéré en septembre 1933. En 1934, il trouve refuge avec sa famille près du lac de Constance, il s’installe à partir de septembre 1936 tout près de la frontière suisse, ce qui n’est peut-être pas si imprudent, et se consacre essentiellement à la peinture de portrait et de paysages.
À partir de 1937, il est à nouveau inquiété par les nazis qui transforment d’ailleurs l’exposition sur l’art dégénéré en exposition itinérante. Il est arrêté en novembre 1939 mais finit par être relâché.
Incorporé à la fin de l’année 1944 dans le Volkssturm, il parle dans ses lettre à son fils Ursus d’une saloperie militaire, de ses problèmes pour trouver du tabac, et de son statut de prisonnier à partir du 18 avril 1945. Il semblerait qu’il ait pu créer pendant cette période, puisque ses correspondants lui font parvenir peintures et pinceaux et que le commandant du camp de prisonniers semble l’avoir pris sous sa protection. De retour à Constance en 1946 il se remet à peindre, des paysages dans un premier temps, même si ses lettres sont entrecoupées de l’évocation de difficultés de transport et de chauffage.

En 1947 il évoque par l’une de ses rares déclarations de principe sa conception de l’art. Ceux qui espéraient trouver une théorie de son processus créatif risquent d’être déçus : « je n’ai jamais formulé par écrit de déclaration sur mon art puisque mes tableaux sont, comme leur examen extérieur vous enseignera, eux-mêmes des déclarations des plus sincères, une sincérité que vous trouverez rarement de nos jours. Je ne suis pas non plus du tout disposé ni en mesure de parler de sujets esthétiques ou philosophiques, et tout le reste ne serait que bavardage 20 et subjectifs. Je suis pas non plus disposé à dévoiler les « profondeurs » absence de profondeur de mon humble citoyen. Que celui qui les yeux pour voir, voie ! »

En 1955, Nelly, la fille aînée du peintre, meurt une septicémie. Malgré ces péripéties familiales dramatiques, l’artiste se préoccupe toujours des mouvements artistiques, même s’il semble avoir du mal à trouver sa place parmi les peintres abstraits très largement représentés dans les expositions d’après-guerre.

Les dessins qui sont publiés dans ce recueil sont, dans la plupart des cas, des illustrations pour des lettres qu’il écrit à sa famille ou à ses amis, pourtant on n’y retrouve toujours le sens extraordinaire du mouvement et de la composition qui caractérise ces peintures à l’huile, ces scènes de groupe ou ses portraits. On y retrouve (page 41 par exemple) cette scène de passants devant une vitrine avec les commentaires d’une femme qui tend le cou vers des chapeaux exposés, tandis qu’un homme les bras chargés de paquets semble être bénéficiaire du marché. On trouve aussi cette scène d’un enfant qui vient de renverser sa chaise qui vient illustrer une lettre, semble-t-il à Martha.
Lorsqu’il réalise le portrait d’un scientifique en 1953, il illustre sa lettre de croquis à la plume montrant le scientifique devant un microscope, il y parle des bacilles ou de bactéries de virus et décrit très exactement les couleurs qu’il va utiliser : bleu clair, bleu foncé, le rose, un peu de rouge etc. Sa dernière lettre publiée dans ce recueil date de décembre 1967, après qu’il ait eu sa première attaque cérébrale. Il termine en disant qu’il est triste et fatigué.

Lorsque l’on a été fasciné par l’effervescence créatrice que la République de Weimar a pu connaître, on a pu situer forcément Otto Dix parmi les peintres majeurs.
La lecture de ce livre le rend finalement beaucoup plus proche et montre les différentes facettes de cet artiste. Amoureux fougueux, époux fidèle et attentionné, père de famille très présent pour ses enfants, il vivait son processus créatif comme un cheminement intérieur qu’il jetait sur la toile ou qu’il griffonnait au hasard de la plume.
Pour mieux connaître cet artiste il faudrait, après le très important travail de Catherine Teissier, une étude de ses réalisations. Peut-être que ceux qui voudraient approfondir ce travail pourraient trouver dans les deux ouvrages ci-dessous les compléments utiles.

http://www.otto-dix.de/start_html

Otto Dix : 1891-1969
Eva Karcher (Auteur), Geneviève Lohr (Traduction)
Relié: 216 pages Editeur : Taschen (13 octobre 2010)

Otto Dix Olaf Peters 220 pages Prestel Publishing Septembre 2010 ISBN-10: 3791350218 ISBN-13: 978-3791350219