Pascal Roggero , agrégé de sciences sociales, est maître de conférences de sociologie à l’université des sciences sociales de Toulouse où il est responsable d’une des rares équipes en France à utiliser la systémique complexe pour étudier les phénomènes sociaux et politiques, notamment dans leurs dimensions territoriales. Il est cofondateur de la revue internationale nouvelles perspectives en sciences sociales et de l’atelier anthropologique et gouvernance des systèmes territoriaux de l’association européenne pour la modélisation de la complexité.
Dans le cadre du CIRESS (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Systèmes Sociaux), Pascal Roggero développe ses champs de recherche, qui relèvent plus particulièrement de la sociologie à travers l’approche des systèmes complexes et s’intéressent aux politiques et stratégies de développement local ainsi qu’ aux processus de décision en matière de politiques publiques territoriales. Ses travaux ont notamment abouti à la constitution d’un observatoire régional du politique.
Dans le cadre de cet ouvrage de 221 pages au format 13X21, P. Roggero nous plonge au milieu de la géographie humaine, de la géographie appliquée, face à une société en délicatesse avec son territoire. A travers six témoignages d’universitaires réunis ici, il nous invite à revisiter la notion de territoire, notion première pour tout géographe avec celle d’espace.Le territoire, notion surannée à l’heure de la mondialisation ? pas du tout ; sa nature anthropologique l’en empêche. L’espace devient territoire quand il prend la forme d’un lien créateur de ressources et porteur de sens. Il est construit, actualisé en permanence par les actions, interactions, les relations et les représentations de ceux qui le font. Il est géopoétique. Dans cette actualisation, P. Roggero affirme que la démarche essentielle est celle du projet ; l’anthropolitique doit avoir une base territoriale sensible, sensorielle, existentielle. Le territoire est pertinent.

Avant propos
Pour preuve, on observe par exemple que le XXIème siècle entraîne une séparation finale entre l’habiter et le bâti ; habiter et bâtir renvoient à la proximité et la régularité d’une terre matricielle (moyen de subsistance et espace de paix) ; l’habiter est affecté aujourd’hui par la mobilité des humains et des objets. L’habiter se décompose graduellement aujourd’hui en vicinité (peuplement et co-présence), en localité (système local d’interaction), en communion (association au lieu permettant un sens d’appartenance). Le monde contemporain se traduit par une désynchronisation de ces 3 éléments et interroge sur la notion de territoire. Toutefois ce nomadisme post moderne qui véhicule une conception d’un social fluide, comme sans ancrage territorial, à y regarder de plus prêt, apparaît discutable.
Le territoire comme construction poétique ; il faut penser le territoire comme un construit mouvant capable de s’autoproduire. Comment se construit le territoire ? Les processus par lesquels les réseaux, les flux participent à la production et transformation de territoire. Le territoire n’est pas le terroir des paysages des néo-ruraux, il est processus, une question de relations, de dispositions ; dans une perspective complexe, il convient de dire le territoire en articulant ce qui l’inscrit durablement dans la géographie et ce qui l’ouvre aux réseaux relationnels et à un espace social. Il faut une rencontre de l’artiste et du scientifique qui peut faire ressentir ce que nulle étude scientifique ne peut restituer. Le territoire est un espace vécu dont l’appréhension mobilise imagination, sensibilité du poète mais dont l’activité scientifique ne peut se satisfaire. Des convergences existent entre la pensée complexe et la pensée scientifique quand elle est fondée sur un humanisme renouvelé.

L’ouvrage se décline ensuite en six chapitres, illustrant à leur façon, les différents processus de perception de la complexité préalablement définie.
Vingt huit ans de mandat au service d’une ville et d’une communauté de communes :une tentative de retour sur la complexité des processus. Jean Claude Lugan

Le territoire est processus et projet face à un certain délitement par le haut de l’état, une tentative supranationale ou une nécessaire recomposition comme le « pays ». En fait le ressourcement démocratique par le local semble le plus adéquat. On peut alors parler d’ anthropolitique sur le territoire local tenant compte des interdépendances régulatrices à des échelles plus larges.
Un engagement d’un homme au service de leur territoire est une bonne chose, mais l’élu doit maîtriser l’art de la vacuité, orchestrant les motivations sans schémas. La diversité reste la règle, son respect une éthique et sa relance une bonne stratégie.

Ni prescripteur, ni leader. Le gouvernement par la vacuité. Michel Roux
Il n’est pas aisé de piloter la construction de territoires harmonieux. La moindre politique fondée sur un régime de vérité uniformisante, au lieu de rassembler, divise et exclut en réduisant la diversité. Le dirigeant est celui qui sait où il faut aller et entend conduire le monde dans l’intérêt de tous, mais ce postulat participe aux difficultés que connaissent nos sociétés et au discrédit de ceux qui les pilotent. Tel est le constat. Cette idée est vraiment d’actualité ! L’auteur pense que les nouvelles formes de gouvernance doivent s’interroger sur les conditions d’une restauration de l’écoute, de la parole, des êtres singuliers, des vrais gens ?

Cela passe par repenser les échelles auxquelles se prennent les décisions, penser le présent et l’affronter sur de petits territoires sur lesquels le contrat naturel et le contrat social sont tenus de se féconder.

La composante poétique du rapport au terrain : le non dit de la recherche sur le territoire. Pascal Roggero et Claude Vautier
Les auteurs valident l’idée selon laquelle poésie et sciences sont liées ; deux extraits permettent de s’en convaincre : si la poésie n’est pas le réel absolu, elle en est bien la plus proche convoitise et la plus proche appréhension. La nouvelle approche des choses de la terre dont nous avons besoin doit associer connaissance et sensibilité, beauté et vérité, exactitude et amour, créativité et réceptivité. L’appropriation du territoire devient alors un cheminement entre science et poésie, qui s’éloignant des constructions théoriques, tente de lier dans une nouvelle boucle perception, compréhension, conceptualisation, modélisation, validation et interprétation argumentée.

Géopoétique et complexité ; résonances et dissonances Amélie Chanez et Pascal Pons
Les auteurs s’essaient à une comparaison des projets de connaissance que proposent la théorie de la complexité et le courant géopoétique. En peu de mots, dire ce qui relie et sépare ces deux approches afin de fixer les idées, cerner les enjeux, éclairer le débat. Au final, leur volonté de faire science conduit les deux à des positions proches mais les trajectoires diffèrent. La complexité aura t-elle le cœur pour sacrifier la beauté ? ou le courage de continuer à faire science ? pour les auteurs, il faut encourager le dialogue entre les deux courants.

L’île, le savant, le poète, l’acteur Marina Casula
Par un éclairage sur la réalité insulaire à partir de son expérience personnelle, de la Corse dans le cadre de sa thèse de doctorat, l’auteur montre que l’île est un excellent laboratoire de la complexité en ce qu’elle est un tout irréductible qui exige un effort de relance entre les différents types de savoirs (savant, politique, poétique). Le territoire est bien à la croisée de multiples relations professionnelles, politiques et de l’ordre de la représentation.

Perspective systémique en sociologie des territoires : la région Bretagne en interaction avec l’Etat-Nation et l’Union Européenne Aït Abdelmalek
L’auteur propose une réponse à la question comment combiner une idéologie nationale et l’identification d’une culture politique européenne , à travers l’exemple des agriculteurs bretons. S’interroger sur ce nouvel espace politique revient à s’interroger sur la constitution d’un nouveau modèle de société. Effectivement ces territoires sont étudiés à la lumière des médiations nécessaires entre les institutions européennes et les organisations agricoles.
Partir de ces exemples, conduit à une certaine dispersion mais non dénuées de qualité, car cela permet de faire dialoguer des personnes qui ne le font pas, et d’éclairer les phénomènes territoriaux de différentes manières. Cette pluralité constitue une richesse, par son aspect civique et sa réflexion collective. Bien entendu , ceci n’exclut nullement les échanges plus scientifiques à l’intérieur du paragdime de la complexité. En fait, l’intérêt de cette diversité doit trouver une structuration plus aboutie, et P. Roggero, de plaider pour un dispositif transdisciplinaire permettant de capitaliser les points d’accord théoriques et méthodologiques en les actant dans des publications significatives.

Voilà un livre fort intéressant, mais un peu complexe car émanant d’un milieu de spécialistes. On le conseillera à tous les amoureux de la géographie qui souhaitent revisiter les derniers acquis quant à la notion de territoire. Le mot est vraiment d’actualité. De très riches bibliographies le complètent à chaque chapitre. Ce livre met en lumière la place de l’humain, de chacun, dans son rôle politique et citoyen face à sa perception plus ou moins consciente du territoire. C’est un livre précurseur, sur ce que sera la nécessaire redéfinition de la place de chacun dans un monde qui bouge très vite.
On lui reprochera son caractère trop peu grand public, un livre de spécialistes pour petit comité scientifique, alors que le sujet mérite une plus large diffusion. L’auteur le reconnaît lui même, en suggérant une structuration plus aboutie, éclairante sur la diversité, la complexité territoriale, la complexité de la nature humaine.
On attend un prochain ouvrage, traitant de la complexité du territoire, dans une optique de vulgarisation pour faire vivre la géographie; c’est aussi ça, l’obligation du scientifique !
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Compte-Rendu par Pascal Bouvier